Bruxelles, le 27 septembre 2012
Le 24 septembre, j’ai eu l’immense honneur de faire partie, de la prestigieuse délégation internationale venue assister au procès en appel de Ali Aarrass. Dans les lignes qui suivent, je vais décrire ce que j’ai personnellement pu constater de visu. Avant cela, quelques remarques préliminaires m’apparaissent importantes pour la bonne compréhension de mon analyse.
J’ai eu connaissance du dossier Aarrass suite à la campagne freeali.be initiée par Farida Aarrass, je n’avais à ce moment pas d’a priori quant au fond du dossier. Aujourd’hui, après en avoir pris connaissance dans le détail et après avoir assisté à la dernière audience de la cour d’appel de Sale, je puis affirmer que je soutiens sans réserve la famille et que j’ai l’intime conviction qu’Ali est innocent. Pour autant, je vais m’efforcer d’être le plus honnête possible dans la description des faits, le lecteur aura donc compris que malgré mon manque d’objectivité assumé et revendiqué, mon souci reste de relater le plus fidèlement possible ce à quoi j’ai pu assister. Ces précisions préliminaires étant faites, je peux commencer le récit de cette journée du 24 septembre 2012…rétroactes :
Lundi 24 septembre, il est 09.30 lorsque l’ensemble de la délégation se rend en convoi vers la prison de Sale où est détenu Ali. Arrivés sur place vers 10.00, les nombreux journalistes présents sortent caméras et appareils photos tandis que Farida entame les formalités d’usage préalables à sa visite. Très vite, les premiers signes de nervosités des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire apparaissent, ceux-ci se retranchent dans la prison, sans permettre encore à Farida d’y pénétrer pour visiter son frère.
Nous sommes observés (depuis un bon moment) par un homme en costume sombre, un téléphone vissé à l’oreille, rapidement, un car remplis de policier « anti-émeute » prend position de manière ostensible. Un autre homme, lui aussi au costume sombre et au visage tout aussi sombre se présente à nous, nous signifiant l’interdiction de prendre des photos et de filmer. Il dit être le préfet. Malgré ses injonctions, nous continuons de plus belle à filmer tandis que Farida, elle continue à négocier le droit de visiter son frère, une négociation qui nous semble ardue alors que ce n’est censée être qu’une simple formalité administrative. Quelques minutes plus tard, se présente à nous un policier gradé cette fois, en uniforme, et sur un ton poli mais ferme, il nous donne l’ordre de nous disperser. Il me fait très vite comprendre, via un bref aparté en arabe, qu’à défaut d’obéir à son ordre, certains d’entre nous pourraient se retrouver en garde à vue, il me donne pourtant l’assurance que Farida et sa famille pourront visiter Ali, nous décidons donc tous d’obéir à son ordre, nous n’avions d’ailleurs pas vraiment le choix de faire autrement. Nous nous rendons donc tous vers un café tout proche, laissant Farida terminer ce que nous pensons être la procédure administrative normale.
Nous sommes assis depuis quelques minutes lorsque Luk Vervaet reçoit un coup de fil de Farida, les gardiens de la prison auraient reçu l’ordre de refuser l’accès à la famille tant que toutes celles et tous ceux qui ont pris des clichés ne se présentent pas spontanément et tant que, affirment t’ils, les prises de vue ne sont pas effacées. Nous décidons très vite, après que certains iront spontanément montrer qu’ils se soumettent donc et effaceront leur clichés ; finalement ; on ne sait pas trop ni pourquoi ni comment, les gardiens changent d’avis et laissent finalement entrer Farida, la maman ainsi que l’épouse de Ali, tous les autres membres de la famille sont quant à eux interdit d’accès à la prison de Sale.
Il est 14.00 lorsque nous nous retrouvons tous devant les marches du palais de justice, Farida et sa grâce naturelle, vient donc de voir son frère, elle nous redonne une dose d’énergie et de combativité…
Nous improvisons une petite manifestation sous les flashes d’un photographe de l’AFP qui prend clichés sur clichés, les policiers tentent bien de l’intimider, mais celui-ci apparemment coutumier du fait parvient malgré tout à faire son travail.
Après un énième contrôle, nous prenons tous place dans la salle d’audience, les officiers des services de renseignement sont là aussi, notant ostensiblement tout ce qui se passe sous l’œil des caméras de surveillances récemment installées, paraît-il, dans le tribunal.
Ali apparaît, son visage s’illumine lorsqu’il se tourne vers la salle et voit cette prestigieuse délégation, c’est un moment de grande émotion que des mots ne peuvent pas décrire, à ce moment précis je me fais la réflexion que je suis particulièrement honoré d’en faire partie.
L’audience commence enfin, après quelques discussions de procédure, Me COHEN débute sa plaidoirie, les avocats de la défense se sont répartis le dossier, Me COHEN axera sa stratégie en particulier sur la torture et les aveux extorqués par la torture. Il est tout simplement brillant, le président de la cour tente plusieurs fois de l’intimider, lui coupant la parole lorsqu’il aborde les très récentes déclarations du rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, arguant du fait que le Maroc est un pays souverain et que du reste ceci n’aurait rien à voir, en l’espèce, avec le dossier ARRASS. Très combatif, Me Cohen ne se laisse pas intimider et continue sa stratégie.
Juridiquement, celle-ci est imparable, Me COHEN met en avant six arguments juridiques qui sont tout simplement en béton, en effet n’importe quel étudiant de première année arriverait aux mêmes conclusions, chacun des arguments se suffit à lui-même, le droit n’a pas été respecté du tout dans ce dossier, c’est malheureusement presque aussi simple que cela. Les violations tant du droit marocain que du droit international sont manifestes et flagrantes et à condition d’être de bonne foi, on ne peut aboutir qu’aux mêmes conclusions, le dossier est littéralement vide, aucune preuve matérielle aucun début d’indice de culpabilité, aucun début de preuve, si ce n’est des pseudo-aveux, une signature d’un document rédigé dans une langue qu’Ali ne comprend pas et extorquée par la torture. Pour ceux qui le souhaitent, je tiens à disposition les arguments juridiques à l’appui de ce qui précède.
Le comportement des magistrats mérite aussi d’être mis en évidence, cinq juges assistaient à l’audience, l’un d’eux s’est rapidement endormi ( ! ), tandis que la seule femme magistrat lisait un bouquin, seul le président de la cour semblait suivre les débats, cela fait parait-il partie de leur tactique, il nous démontre ainsi l’absence de considération à l’égard de la délégation, alors qu’en réalité, la présence de ces sommités internationales et de la presse internationale est fondamentale et plaide en faveur de Ali.
Aujourd’hui plus que jamais, l’évidence s’impose pour tout qui estime que le concept de « Justice » est une valeur supérieure, Ali Arrass est innocent, il doit être libéré sans délai.
Une question reste cependant en suspens, qu’est ce qui explique l’acharnement du système sur cet homme ?
On ne peut qu’émettre des hypothèses à cet égard, et la mienne est la suivante : Au départ, les services de sécurités croyaient vraiment qu’Ali faisaient partie d’une mouvance, ils l’ont torturé pour obtenir des informations, mais quand on a rien à ne se reprocher, on ne peut pas dire grand-chose si ce n’est je suis innocent, ses tortionnaires, voyant qu’Ali ne fournissait aucune informations les intéressant, et pour cause, vu qu’il n’est en rien impliqué, ont supposés que c’est parce qu’il était super entraîné, qu’il était formé à un supporter la torture et ne rien lâcher…à ce moment, j’imagine avec effroi ce qu’il a dû enduré. In fine, ils ont dû se rendre compte qu’ils avaient fait une énorme bavure, et pour se sortir de ce guêpier, ils préfèrent sacrifier un homme plutôt que reconnaître leurs erreurs.
Et les magistrats dans tout cela, pourquoi cautionnent ils ? Ici aussi on ne peut qu’émettre des hypothèses, mais une source très proche du dossier et qui tient à garder l’anonymat estime que le choix de la personne des magistrats n’est pas innocent, ceux choisis en première instance qui ont prononcés la peine de 15 ans seraient en réalité tenus à l’obéissance, puisque des dossiers les concernant seraient entre les mains des services secrets, les juges en question se seraient rendus coupables de corruption, vendant des jugements aux plus offrants, et ce sous l’œil complice d’une certaine hiérarchie, qui par ce fait, s’assure des magistrats très dociles ! Espérons que ceux d’appel soient plus libre ou qu’ils aient reçu d’autres injonctions.
L’affaire a été mise en continuation au 01 octobre, que peut-on attendre de l’arrêt qui sera rendu le jour même ? En bonne logique Ali devrait être acquitté et totalement blanchi….en bonne logique seulement, mais en l’occurrence, au Maroc c’est une autre « logique » qui prévaut. Aussi un arrêt qui condamnerait certes à une peine, mais d’un quantum qui correspond à ce qu’Ali a déjà subi (5 ans d’incarcération le 01 avril prochain) est aussi envisageable, quitte à engager la responsabilité de l’Espagne et de la Belgique par la suite.
Espérons que le 1er octobre sera la fin du cauchemar pour Ali et les siens et qu’ils pourront à ce moment se reconstruire, continuons à les soutenir, chacun à la mesure de nos moyens, ce qu’ils subissent est une véritable injustice qui ne peut laisser insensible toute personne ayant un minimum d’humanité ! Le combat n’est pas fini, d’ores et déjà on peut affirmer que la Belgique et surtout l’Espagne devront assumer leur responsabilité devant les juridictions internationales !
Free Ali !
Aziz Madrane