« Le cas de M. Ali Aarrass, citoyen Belge d’origine marocaine, bien que déjà cité dans le rapport alternatif soumis au Comité, nous semble particulièrement éloquent sur l’absence de sérieux dans les enquêtes relatives aux allégations de tortures à la lumière des derniers éléments relatifs à l’expertise médicale qu’il a subi.
Rappelons qu’il a été arrêté à Algésiras, en Espagne le 1er avril 2008 et placé en détention, avant d’être extradé vers le Maroc 14 décembre 2010, malgré la demande expresse du Comité des droits de l’homme de ne pas l’extrader, en raison des risques de torture qu’il encourrait au Maroc. Dès son arrivé au Maroc, il a été détenu au secret pendant plus de dix jours, sauvagement torturé et contraint de signer des aveux, en arabe, langue qu’il ne lit pas. C’est sur la base de ces aveux obtenus sous la torture qu’il a été condamné le 24 novembre 2011 à 15 années d’emprisonnement ferme.
A la suite de sa saisine du Comité contre la Torture, M. Aarrass a fait l’objet d’une expertise médicale pour vérifier ses allégations, ce qui n’est que très rarement le cas pour les nombreux autres détenus condamnés sur la base d’aveux sous la torture et pour lesquels les juges ne prêtent aucune attention à leurs allégations.
Cet examen mené par 3 médecins désignés par le Procureur général près la Cour de Rabat, et qui a conclu à l’absence « de traces pouvant être en rapport avec des actes de torture allégués », a été analysée par un médecin indépendant de l’association IRCT (International Rehabilitation Council for Torture Victims), qui en a relevé les nombreuses failles.
Il souligne que ce rapport médico-légal est « bien en deçà des normes internationalement admises pour l’examen médical des victimes de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, tels qu’il sont définis par le Protocole d’Istanbul ».
Il précise notamment que le rapport médico-légal très bref, « ne fournit presque aucun détail sur les examens effectués, et une description très partielle des résultats de ces examens.[…] Aucune tentative n’est faite dans le rapport pour corréler, ou non, les résultats de l’examen physique avec les allégations de torture, ni d’ailleurs avec des antécédents de traumatisme. […] Il n’apparait nulle part que M. Aarrass ait consenti à cet l’examen, ni dans quelles conditions ce dernier s’est déroulé (durée de l’examen, autres personnes présentes, détenu menotté ou non etc). […] Il relève l’absence de diagrammes du corps d’appui et de photographies annexées au rapport qui indiqueraient plus précisément la position anatomique et la nature des marques indiquées[…].
Le rapport médical ne fait aucune mention d’une évaluation psychologique ou psychiatrique, en dépit des problèmes de concentration, la peur et le stress excessif décrits par la victime. Il s’agit d’une omission importante de l’évaluation et du rapport, qui démontre que l’examen n’est pas conforme aux normes internationales pour l’évaluation des allégations de torture».
On peut ainsi légitimement s’interroger sur l’indépendance des médecins désignés par les autorités de l’Etat partie pour effectuer des expertises médicales et pour enquêter sur les allégations de tortures comme dans le cas de M. Bouchta Charef, cité en exemple par les autorités marocaines dans ses réponses aux recommandations finales du CAT.
Il convient de rappeler qu’après la publication de la vidéo relative à M. Bouchta Charef postée le 19 avril 2011 sur Youtube, dans laquelle il témoigne des tortures subies lors de sa détention au secret à Témara et notamment d’avoir été violé par ses geôliers au moyen d’une bouteille, et de son appel à des associations médicales indépendantes à venir constater les violations subies par les détenus dans les prisons marocaines, les autorités du pays on accordé une attention particulière à cette affaire fortement médiatisée.
L’expertise en question avait été réalisée par des médecins choisis par l’administration pénitentiaire en présence d’agents des services de sécurité. M. Charef a fait savoir qu’il avait vécu cet examen médical comme une humiliation supplémentaire et a contesté les conclusions des experts en continuant à revendiquer le droit d’être examiné par des médecins indépendants pour vérifier ses allégations.
Ainsi, la dénonciation publique de la torture par le ministre de la Justice laissait espérer des mesures concrètes pour mettre un terme définitif à cette pratique à commencer par des enquêtes sérieuses et indépendantes sur les allégations de tortures et la poursuite des auteurs.
Or, tous les cas cités ci-dessus illustrent que les interventions des autorités marocaines dans les affaires les plus médiatisées et les expertises menés par des médecins choisis par les autorités sont insuffisantes. Ces médecins mènent des examens en toute hâte et en présence de membres des services de sécurité. Ces conditions ne sont pas conformes au Protocole d’Istanbul relatif aux standards internationaux d’enquête sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Quant aux médecins légistes indépendants, proposés par les associations pour mener des expertises médicales pour les détenus qui ont affirmé avoir été torturés, ils sont systématiquement refusés par l’administration pénitentiaire, qui reste nous le rappelons, placée sous l’autorité directe du Palais royal et non du ministère de la justice ». (page 7)
Sur le Belge Hicham Bouhali Zriouil
« Malgré ces recommandations, la loi anti-terroriste 03-03 reste toujours en vigueur dans sa forme initiale. Elle n’a pas été révisée tant pour la question relative à la définition même du terrorisme que pour celle des délais de garde à vue et des garanties fondamentales des prévenus.
Ainsi, la même définition vague et extensive du terrorisme reste applicable ainsi que le fait que la faculté de poursuivre des personnes pour les délits d’apologie et d’incitation au terrorisme, définis d’une manière particulièrement vague et sans que les faits poursuivis ne comportent nécessairement un risque concret d’action violente.
De nombreuses personnes restent à ce jour détenues après avoir été condamnées en vertu de cette loi. D’autres sont, encore aujourd’hui, arrêtées ou extradées sous l’emprise de cette loi, y compris pour des motifs politiques.
C’est ainsi que M. Hicham Bouhaili Zriouil, citoyen Belge d’origine marocaine, accusé de terrorisme et arrêté en Syrie le 25 juillet 2011, a été extradé vers le Maroc le 11 octobre 2011, par la force et pour des motifs inconnus, alors que la Belgique, pays dont il est ressortissant, avait émis un mandat d’arrêt international contre lui.
A son arrivé au Maroc, M. Bouhaili Zriouil a été détenu au secret et interrogé pendant plus d’une semaine par les services de sécurité et contraint de témoigner contre lui-même sous la contrainte.
Il a été accusé de « formation d’un groupe terroriste en vue de commettre des actes terroristes et l’agression intentionnelle de la vie d’autrui et à leur sécurité » , d’« atteinte à la sûreté nationale », d’« incitation à l’intimidation et à la violence » et d’« incitation d’autrui à commettre des crimes terroristes », et, bien qu’il ait formellement nié toutes ces accusations il a été condamné à vingt années d’emprisonnement ferme par la cour criminelle de Rabat, le 23 février 2012, le juge, s’étant basé pour justifier cette condamnation exclusivement sur les procès verbaux d’enquête préliminaire établis par les services de sécurité marocains et sur les procès verbaux d’audition de M. Zriouil établis au cours de sa garde à vue durant laquelle il a subi menaces et traitements cruels, inhumains et dégradants. Comme dans la grande majorité des affaires de terrorisme, aucune preuve ni aucun élément matériels n’ont été produits par l’accusation pouvant justifier la condamnation ». (Page 5)