Le Belge Ali Aarrass a été extradé de l’Espagne vers le Maroc, le mardi 14 décembre, pas même un mois après que le Conseil des ministres espagnol avait approuvé son extradition.
Depuis le 19 novembre, date de la décision d’extradition par le gouvernement socialiste, la famille et les avocats d’Ali en Espagne et en Belgique, les organisations des droits de l’homme et Amnesty International, des militants et des sympathisants à Melilla, à Londres et Bruxelles ont redoublé d’efforts pour empêcher son extradition. Pendant trois semaines, ils ont ré-informé la justice, les médias, les partis politiques et les gouvernements de toutes les preuves indéniables de torture systématique, de traitements inhumains et dégradants auxquels sont soumis les accusés dans les dossiers de terrorisme au Maroc. En particulier dans le procès Belliraj, pour lequel l’extradition d’Ali Aarrass a été demandée. Ni l’Espagne, ni la Belgique n’ont voulu tenir compte des preuves accablantes apportées. Ils se sont ainsi rendus coupables de non-assistance à personne en danger, voire de collaboration et de complicité dans la pratique de la torture.
L’extradition elle-même, perpétrée le 14 décembre, s’assimile plus à un enlèvement, à une « illégal rendition » (extradition extrajudiciaire), qui fait la réputation de la CIA, qu’à une procédure judiciaire légale et respectueuse des droits de l’homme.
Personne n’a été mis au courant. Et une semaine après sa disparition, il n’y a toujours personne qui sache où Ali se trouve ni comment il va. Tout ce que ces avocats ont appris depuis, c’est que des responsables d’Interpol seraient venus chercher Ali Aarrass à la prison de Valdemoro, à Madrid, où il avait été transféré de la prison d’Algeciras, une semaine auparavant. Ils pensent qu’il a été transféré à Casablanca le jour-même.
Pour protester contre son éventuelle extradition, Ali Aarrass observait une grève de la faim depuis une vingtaine de jours. Ali avait avait écrit à ses proches : « Aujourd’hui, vendredi 26 novembre 2010, après que ma femme me raconte tout ce que vous faites pour m’aider, j’ai immédiatement décidé de reprendre une grève de la faim, c’est la troisième. J’ai pris cette décision afin de ne pas vous laisser faire seuls. C’est la seule chose que je puisse faire pour mener cette lutte à vos côtés. M’affamer ! » Ce qui n’a pas empêché l’Espagne d’extrader un homme complètement affaibli.
Saisi par les avocats d’Ali Aarrass, le Haut Commissariat aux Droits de l’homme des Nations Unies à Genève avait pris une mesure provisoire le 26 novembre 2010 et demandé à l’Espagne de ne pas extrader Ali Aarrass avant que le Haut Commissiariat ait entendu et donné son avis sur les arguments des deux parties. L’Espagne a feint d’abord de s’aligner sur cette demande, comme la plupart des pays qui respectent les obligations internationales. L’Espagne avait d’ailleurs déjà été rappelée à l’ordre par le Comité contre la torture de l’ONU dans son rapport de novembre 2009 sur ses extraditions illégales. Dans son rapport, le Comité exigeait de l’Espagne de l’informer sur « …la situation des personnes suivantes : Basel Ghalyoun, citoyen syrien renvoyé de force en République arabe syrienne le 22 juillet 2008 et sur M. S., citoyen algérien transféré de force du Centre de rétention des migrants de Madrid le 21 novembre 2008 et dont on ne sait ce qu’il est advenu.. » Le Comité contre la torture rappelait à l’Espagne que « tous les accords bilatéraux d’extradition conclus par l’Espagne comprennent une obligation expresse d’interdire l’extradition d’individus s’ils risquent d’être soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant ». Il y avait donc un espoir que cette fois-ci les choses allaient se passer autrement.
Le 7 décembre, le représentant de l’Espagne à Genève envoie une lettre avec l’argumentation de l’Espagne argumentant pour l’extradition d’Ali Aarrass. Le 10 décembre, le directeur du Haut Commissariat transmet cette lettre espagnole aux avocats en leur demandant de formuler une réponse dans un délai de deux mois. Et quatre jours plus tard… l’Espagne extrade Ali Aarrass !
Pendant 2, 5 ans, le consul belge en Espagne a toujours refusé de rendre visite à Ali Aarrass. Ce qui avait été confirmé et justifié le 29 novembre par le ministre Vanackere à la Chambre en réponse à une interpellation de la députée Zoe Genot : « Pour ce qui concerne votre question relative à une visite du consul, l’assistance aux Belges détenus à l’étranger ne prévoit pas l’organisation de visites consulaires dans les pays de l’Union européenne ». A la surprise générale, le consul belge s’était finalement décidé à aller rendre visite à Ali et à demander une visite consulaire à la prison pour… le 16 décembre 2010. Soit deux jours après qu’Ali Aarrass allait être extradé ! Et le consul avait donc été informé par la prison que sa visite ne pourrait avoir lieu, puisqu’Ali Aarrass était déjà extradé. Soit l’Espagne a empêché consciemment la visite d’un consul belge à son ressortissant, soit la Belgique était au courant et a voulu sauver la face, feignant avoir fait les efforts diplomatiques nécessaires. Le consul belge n’a pas pris la peine de contacter les avocats d’Ali ou sa famille sur son extradition. C’est par la presse que cette extradition a été portée à la connaissance des proches d’Ali Aarrass !
La Belgique a fait savoir à maintes reprises qu’elle « n’évoquerait pas ce dossier ni avec l’Espagne, ni avec le Maroc ». Dans sa réponse à Zoe Genot, le 29 novembre, le ministre se défend de ne pas avoir pris contact avec l’Espagne pour s’opposer à une événtuelle extradition d’un Belge : « je n’ai pas évoqué le dossier d’extradition avec mon collègue espagnol car il n’est pas d’usage que la Belgique intervienne dans une procédure d’extradition entre pays tiers même lorsque cette dernière concerne un ressortissant national. De plus, j’ai entière confiance dans les garanties que le système judiciaire espagnol offre au niveau des procédures d’extradition et du respect des droits de l’homme. Il prévoit, en effet, des possibilités d’appel et ce, jusqu’au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme en cas de non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Vu ce qui précède, je n’entreprendrai pas de démarche qui pourrait être interprétée par mon collègue espagnol comme une ingérence dans des affaires internes et surtout comme un manque de confiance dans le système judiciaire espagnol »
Et après la demande de bien vouloir au moins s’informer auprès des autorités marocaines sur la situation d’Ali Aarrass après son extradition, pour savoir où il se trouve, la Belgique sort un nouvel argument. Après son extradition, Ali Aarrass n’est plus belge : « Comme votre frère est considéré comme de nationalité marocaine par les autorités marocaines, nos services ne les contacteront donc pas pour votre frère » (Message du 20 décembre du ministère des Affaires étrangères à Farida Aarrass) .
Non seulement ceci est un message clair à tous les Belges de double nationalité, que même quand ils sont nés et qu’ils vivent dans notre pays, n’ont aucun lien avec leur deuxième pays, la Belgique les abandonnera dès qu’ils ont un problème dans ce pays. Et pas seulement là, mais partout hors de Belgique, comme l’ont vécu le Belge Moussa Zemmouri à Guantanamo ou le Belge Oussama Atar en Irak.
Vu l’existence des rapport des organisations de défense de droits de l’homme, lus – on peut l’espérer ! – par les sevices comptétents et les dipomates belges en place, la Belgique est parfaitement au courant de ce qui se passe au Maroc. Le document de l’ambassade américaine à Rabat du 14 août 2010, révélé par Wikileaks, et qui cite deux diplomates belges, l’a encore confirmé. Mais la Belgique préfère se cacher derrière des formules diplomatiques pour justifier sa non-intervention.
Après 9 ans d’existence de la prison de Guantanamo, l’heure est venue d’interroger la responsabilité et la complicité des Etats européens dans la pratique de torture. Un procès qui a déjà commencé en Grande Bretagne, où la Cour suprême britannique a condamné le rôle de la Grande Bretagne dans la torture de Binyam Mohamed au Maroc, avant son transfert vers Guanantanmo. Comme disait l’avocate britannique Gareth Peirce : les excuses des Etats pour non-intervention contre la torture ne doivent plus être acceptées. Ni au nom de la sécurité, ni parce que qu’il ne s’agit que de ’terroristes’, ni parce qu’il s’agit de personnes qui n’ont pas la bonne nationalité. Elle écrit : « La torture est le fait d’infliger délibérément de la douleur par un état aux personnes en captivité. La torture est interdite, ainsi que l’utilisation de ses résultats. La Convention des Nations Unies contre la torture ou traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants met l’accent sur le fait qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles pouvant justifier son utilisation, ni l’état de guerre, ni une menace de guerre, ni aucune autre urgence publique. Aucunes de ces raisons peuvent être invoquées comme une justification. Que les ordres venaient d’en haut est explicitement exclu comme moyen de défense. La Convention exige que chaque fois qu’il y a torture et quelle que soit la nationalité de la victime ou du bourreau, il faut que les auteurs doivent être poursuivis ou être extradés vers un pays qui est prêt à les poursuivre ».(Gareth Peirce, Dispatches from the dark, on torture and the death of justice, Verso 2010).
Pour notre pays, il n’est pas encore trop tard pour intervenir dans le dossier Ali Aarrass. Mais le temps presse.