Après une longue attente de 3 heures, Ali est enfin amené dans le box des accusés!
La délégation belge formée de Luk Vervaet, maître Nicolas Cohen, ma mère, Smain Smahane et moi même. Un ami venu de Normandie, qui depuis pas mal de temps suit l’affaire de près. La famille et les amis venus de Melilla et Nos avocats marocains maître Dadsi et maître Jallal.
Comme d’habitude dans les rangées tout devant, juste derrière celles réservées aux avocats.
Ali arrive et nos regards sont tous dirigés vers lui, je l’observe très attentivement pour m’assurer qu’il va bien. Il a, Dieu merci, je le remarque très vite, récupéré! 🙂
Il s’assied tout près du mur en vitre du box de façon à pouvoir nous voir et qu’on puisse échanger nos signes habituels. Pour nous prouver qu’il va mieux, un sourire aux lèvres et un regard destiné a chacun accompagné de salutations!
A un moment donné, sa femme lui fait signe que leur petite fille a bien grandi, j’ai fait signe qu’elle a aussi bien grossi, nous rions tous, d’un rire silencieux pour éviter de nous faire remarquer. Ali dont les sourires s’effacent aussitôt tant la tristesse de ne pas la voir le gagne.
Luk intervient à son tour pour lui faire signe que lui par contre devient de plus en plus petit, mais Ali lui fait signe en levant la main très haut, pour lui faire comprendre qu’il est bien grand pour lui! Ali aime énormément Luk Vervaet!
Ali est appelé à la barre, se tient debout devant les 5 juges, aux cotés de son interprète et de maître Cohen, maître Dadsi et maître Jallal.
Pendant une demi heure nous assistons à un échange entre le Procureur et le juge d’un coté et les avocats de l’autre. Des documents passaient des mains du procureur au juge dans une ambiance très spéciale.
C’est maître Cohen qui a ouvert le débat en citant : Cela fait un an et demi que nous avons demandé une enquête sur la torture. A la dernière audience, le procureur général avait dit qu’il n’y avait aucune enquête en cours. Par le dossier déposé aujourd’hui au tribunal par le procureur général de Rabat, nous avons la preuve du contraire.
La défense n’avait jamais vu ce dossier, ni les pièces déposées aujourd’hui, c’est pourquoi la défense a demandé le temps nécessaire pour examiner minutieusement ce dossier.
Sur ce, le procureur général se met debout et va communiquer le contenu de ce dossier, à haute voix à toute la cour en citant chaque mot lentement, on pouvait même compter les syllabes! Il commence à citer ce qu’Ali avait déclaré depuis le début, tout comme si c’était ce qu’il en déduisait de cette affaire, au point que nous croyions qu’il le défendait! Il a même ajouté que cette cour allait traiter cette affaire comme exigé, dans une totale équitabilité!
Mais tout est devenu plus clair quand il est arrivé à sa conclusion en disant que Ali a été examiné par trois médecins légistes et par la police qui ont tous constaté, qu’il n’y a pas eu de torture! Qu’il n’y a pas de séquelles d’une quelconque maltraitance! Qu’il n’y a pas de traces visibles sur la photo prise lorsqu’il avait été reçu en prison juste après la garde à vue de 12 jours après son extradition qui date du 14 décembre 2010! Et tout cela se trouve dans un rapport fait par ces légistes datant de décembre 2011!
Le juge dit tout haut en langue arabe : « Commençons par entendre nos arabes,! » en faisant allusion aux avocats marocains. Je trouve ça honteux l’attitude de ce juge qui s’est montré plus d’une fois fort dérangé par la présence de maître Cohen et envers qui il semble ne pas avoir de respect!
Maître Dadsi, Jallal et Cohen ont insisté sur le fait qu’il leur faudra du temps pour examiner toutes ces nouvelles pièces. Ils ont aussi avancé immédiatement quelques questions :
– Est ce que pendant ces auditions par ces médecins légistes et par la police, Ali a eu droit à un interprète?
– Le procureur prétendait qu’Ali avait refusé de se déshabiller car soi disant il n’avait plus aucune trace visible. Les avocats ont donc à ce propos demandé immédiatement à Ali si c’était vrai, ce qu’Ali a démenti!
– Est ce que le tout premier PV fait par la BNPJ figurait dans ce dossier et dans la négative qu’il le leur faudra absolument!
– Qu’en est il des photos que la direction de la prison avait fait, lorsque Ali avait été réceptionné dans l’état critique suite aux tortures. (Les prisons prennent le soin de se protéger, afin qu’ils ne soient pas poursuivis pour maltraitance sur les détenus, à la date à la quelle on les ramène en prison, afin de prouver qu’il était déjà dans cet état là)
Après délibération, l’audience fut reportée au lundi 18 juin 2012!
Luk Vervaet et Farida Arrass.
Le 22 mai 2012,
après la visite à Ali dans la prison de Salé le 21 mai 2012.
Comment Ali a-t-il réussi à mettre un terme à l’humiliation dont il était victime dans sa propre cellule par des codétenus qui n’avaient aucune once de respect envers lui.
Ali raconte après que je lui pose la question :
Comment ça se passe la vie dans ta cellule avec les 4 codétenus qu’on t’a imposés et dont tu disais qu’ils étaient insupportables ?
Ali : « Le comportement de deux d’entre eux ça allait encore, mais les deux autres ont vraiment tout fait pour me dégouter ! »
« Ils sont dérangés lorsque je fais la prière d’Al fajr (l’aube) parce qu’on est obligé de la prier à haute voix ! »
Je lui dis : Prie en haussant bien fort la voix, comme ça tu te vengeras de ce qu’ils te font subir !
Ali me regarde en souriant et me répond :
« Non ma chère sœur, ce n’est pas du tout comme ça qu’il faut se comporter. Il faut savoir prendre son mal en patience. Tu sais au départ ils étaient très insultants envers moi, se moquaient de tout ce que je faisais y compris mes prières. Me dérangeaient lorsque j’essayais de faire une sieste, par de cris, des rires, des bruits,…. Mais je n’ai jamais riposté par la violence.
Si eux me dérangeaient moi je les ai tout de même respectés en ne les dérangeant pas. Même lorsqu’ils dormaient et que je me levais prier à l’aube ils se plaignaient et j’ai baissé la voix un maximum pour éviter de les déranger. Les deux autres codétenus m’ont aussi dit qu’ils allaient faire du bruit et leur mener la vie dure pour se venger, mais je leur ai demandé de ne pas le faire qu’il fallait qu’on leur donne l’exemple et que le bien doit toujours surgir de quelque part afin qu’il se propage. Alors que les deux perturbateurs faisaient une sieste et que les deux autres codétenus voulaient les molester, je me suis fâché sur eux pour qu’ils cessent. Quelques jours après tout a commencé à changer. Les espagnols m’ont dit qu’ils allaient demander au directeur qu’on les change de cellule pour qu’il puisse prier à son aise avec un ton de regret. »
Ali aime tellement partager tout ce qu’il a que les autres apprennent très vite à faire pareil.
Ali m’a aussi dit, qu’il s’est cousu deux draps ensemble pour en faire un rideau pour créer un espace bien à lui, son espace d’intimité. Les autres codétenus ne franchissent jamais cet espace tellement ils respectent Ali. Il me dit en ricanant : « Je sais bien coudre tu sais ! Mais voilà, le gars qui m’a ramené le fil et l’aiguille vient maintenant me demander tout le temps de lui rafistoler ses vêtements. »
Ali nous racontait comment il entretient son linge, il dit en riant : Je fais exactement comme ma mère faisait. Je mets de l’eau, de la poudre et un peu de javel ! Alors ma mère sursaute en lui disant mais non ! Il ne faut pas mettre de la javel ! Ali continue, mais si mais si, ça facilite ahahahhahah il rit un peu puis il ajoute : Je laisse tremper un peu puis j’attaque en frottant les zones stratégiques et il pointe ses doigts vers ses aisselles et nous en rions tous !
Je lui demande s’il a besoin de poudre à lessiver, il répond toujours de très bonne humeur : « Mais non ma chère sœur, ici nous pouvons nous procurer du Tide et même du OMO (il prononce ça d’une manière qui nous fait éclater tous de rire !)
Il cuisine, fait sa lessive, nettoie son coin, étudie le Coran, prie, entretien une bonne relation avec ceux qui veulent bien s’entendre, mais voilà….
« El Nené ! C’est le gars qui a du fric à craquer et qui tente d’acheter tout le monde en prison. » Ali dit qu’il s’en prend souvent à lui et qu’avec ce genre d’énergumène il n’y a vraiment pas moyen de s’entendre puisqu’il est habitué à acheter (corrompre) tout le monde !
Ali dit : « Il n’a pas bon parce que j’ai refusé de me laisser acheter, que je sois un homme de principes le dérange trop et de ce fait, il poursuit ses agressions envers moi ou me menace de différentes manières. »
Ali jure, que pour lui ce n’est pas du tout difficile de lui envoyer une droite, mais qu’il ne peut le faire de crainte que sa situation empire.
Je poursuivrai incha Allah, vous raconterai tout ce dont je me rappellerai.
En attendant, continuez à penser à tous les prisonniers arbitraires svp! Priez pour eux!
Farida Aarrass
Le 22 mai 2012.
Salam, Paix à tous!
Nous venons de rentrer il y a plus d’une heure, elhamdolillah, toujours aussi déterminés à poursuivre cette lutte.
Chaque audience est couverte de surprises aussi alarmantes les unes que les autres. Ce lundi 21 mai par exemple, lorsque le procureur s’est levé et a pris la parole au sujet du contenu du dossier d’Ali, des exigences formulées par la défense, entremêlées de phases où on pensait qu’il était en train de venir au secours de mon frère, nous étions dans un état psychologique inquiétant! Je me demandais ce qu’il faisait, car je peux vous jurer qu’il parlait du devoir qu’il se faisait de faire respecter l’impartialité de ce procès, de rendre justice à ce détenu qui à l’issu des douze jours de garde à vue n’a rien avoué, n’a rien formulé, n’a rien reconnu!
Mais ce qui est certain, c’est que le procureur ainsi que les autres zigotos qu’on s’amuse à appeler des juges et compagnie…. ont raté leurs vraies vocations! La COMEDIE!
Ils se sont amusés encore une fois à nous la jouer!
Cela ne fait qu’un premier procès de 9 audiences et là nous en sommes qu’à là 4ème en appel si je ne m’abuse!
Ils doivent certainement se dire que nous allons nous fatiguer, qu’on finira par abandonner!
Ce qu’ils ne savent pas, c’est que si eux n’ont aucune considération pour les êtres et bien nous oui! Nous n’allons certainement pas baisser les bras devant autant d’hypocrisie.
Je reprendrai dès que possible les récits et anecdotes qu’Ali m’a raconté ou que nous avons vécu incha Allah.
Au passage je tiens quand même à remercier nos amies françaises Gwen et Céline, je suis rentrée et ai trouvé leur courrier sur la table.
Que Dieu veille sur vous et sur tous les autres également.
Votre contribution est la bienvenue car nous allons de nouveau reformer une délégation qui repartira le 18 juin pour assister à la prochaine audience.
A très bientôt les ami(e)s!
Farida ♥
Le 22 mai
« Mes sentiments après avoir rendu visite à Ali.
C’est incroyable à quel point l’état physique et moral de mon frère Ali peut influencer le mien!
Hier nous lui avons rendu visite à 4 : ma mère, Horia son épouse, Hamza mon jeune frère et moi.
Ali souriait en nous regardant l’approcher en salle de visite. Les étreintes, les embrassades plus rien ne semble être suffisant pour rassasier le manque, le vide que son absence produit dans nos vies!
Nous sommes assis autour de lui, moi comme d’habitude je lui tiens la main tout le long, ses mains sont toujours aussi froides d’ailleurs.
Ma mère lui pose une série de questions : « Rassure moi mon fils, on ne te fais pas de mal ici? »
« Est ce que tu manges bien? »
« Est ce que tu peux voir un médecin ici pour ton allergie? »
Sur un ton aigri ma mère poser toutes ces questions et rajoute même : « Souffres tu de cholestérol? »
Sur ce j’éclate de rire et Ali aussi, bizarrement nous avions pensé à la même chose. On se regarde et on rit encore et les autres suivent. (Le cholestérol dans une prison, où on ne mange que très léger ou même très rarement bien…) 🙂
L’ambiance tourne vers la gaité et l’humour du coup. Ali pose ses questions habituelles, me demande après tous ceux qu’il connait à commencer par notre père, la famille et tous les autres qui pour lui sont aussi devenus des membres de la famille.
Il me demande de bien répondre à chaque personne qui soutient ou qui poserait des questions le concernant.
Ali semble malgré ce qu’il venait de vivre à l’audience, totalement apaisé.
Même les problèmes qu’il vivait en cellule suite au partage de celle ci avec des espagnols de souche, des narco trafiquants, il les a réglés.
Je lui demande, comment il a fait?
« Ici en prison nous sommes malgré nous confrontés à des situations difficiles. Le fait qu’on nous mette ensemble dans une cellule alors que nous sommes si différents. Culture ou religion différentes… nous oblige à faire des efforts, des concessions. Le but principal pour nous étant qu’on améliore la qualité de vie en prison. »
Je lui dis, comment ça? Tu m’avais pourtant dit qu’ils étaient mal polis, qu’ils t’humiliaient, etc…
« Oui, mais j’ai su comment régler ça. Je suis resté poli envers eux malgré tout ce qu’ils me faisaient et j’ai fini par me faire respecter. »
(Je vous raconterai des détails lorsque je serai sur mon portable incha Allah)
Sur ce il poursuit en nous disant qu’il est très content que nous soyons toujours là car ce n’est vraiment pas le cas de tas d’autres détenus.
Rajoute comme chaque fois : « Dis bien à Luk de ne pas lâcher! Il doit continuer cette lutte c’est important pour moi de le revoir à chaque audience »
« Ah oui! N’oublie pas ceux qui m’ont écrit, même si je ne reçois plus leur courrier! puis il ajoute avec un énorme sourire qui fait tant plaisir à voir : « Vous n’imaginez pas à quel point ça fait du bien de se savoir soutenu par des belges de souche! Par Dieu, ça me rend fou de joie! »
Ali a rajouté quelque chose dans laquelle je me suis retrouvée : « C’est quand même étrange la vie, nous vivons des péripéties, des choses inattendues. Qui aurait pensé qu’un jour j’allais me retrouver dans cette situation? Que par le biais de cette si désagréable expérience allait découler une union si forte entre personnes si différentes?
Je suis heureux, je suis patient!
Cela fait trois mois que je ne sors plus à la cour, mais je me suis appliqué à l’apprentissage de la lecture du Coran. J’en ai reçu un qui est écrit en arabe, traduit en français et même en phonétique. Je m’occupe à des choses dans la cellule, ma lessive, ma cuisine, je peux même coudre… d’ailleurs j’ai cousu deux draps ensemble et en ai fait un rideau pour avoir un peu d’intimité dans le coin qui est le mien dans la cellule.
J’ai proposé à Ali de profiter du temps qu’il est en prison pour s’instruire, car il n’a même pas terminé ses études primaires. Il me répond qu’il est partant pour améliorer son écrit français car il le mélange fort avec l’espagnol et qu’il a une très mauvaise orthographe.
Ce sont pour moi tous des signes qui me prouvent qu’Ali va mieux moralement qu’il se crée les moyens de résistance qu’il lui faut pour tenir le coup!
A un moment donné, il regarde son épouse Horia qui est à sa droite et lui dit : « Tu dois surement beaucoup souffrir Horia » Elle lui répond très spontanément : « Parce que toi tu ne souffres pas? Nous partageons tout! » J’en avais les larmes aux yeux 🙁
Quel couple courageux! Lui et elle ayant tant souffert et pourtant si unis! Horia est une femme exemplaire, sa sagesse est une leçon pour beaucoup. J’en suis fière.
Je poursuivrai cette entrevue, désolée, mais nous devons nous préparer à quitter l’hôtel. »
23 mai,
Une autre partie du récit qui me revient :
Vous savez peut être ou peut être pas, que lorsqu’on ramène des affaires, que ce soient des denrées alimentaires, vêtement, autre…. à la prison, tout est minutieusement fouillé et que même certaines choses ne passent pas. (J’y reviendrai…)
Pour rester dans la bonne humeur, je disais à Ali : « Je ne t’ai pas fait de gâteaux, mais je les ai achetés. Je t’en ai ramené un peu de chaque sorte afin que tu te régales » Je souris!
J’ajoute : « Tu te rappelles Ali quand je faisais moi même les pâtisseries à l’occasion des fêtes? Je prenais le temps de les décorer et d’en faire de différentes sortes…puis tu arrivais et tu en mettais deux trois gâteaux à la fois en bouche! Puis je te criais dessus! : « Mais prend le temps de les admirer et de les déguster purée ça m’a pris tellement de temps pour les faire!
Ali a éclaté de rire et me dit tu t’en souviens?! Puis tout à coup il redevient sérieux et nous dit (et c’est là que je sens que ça va nous toucher) : « Tu sais après avoir été mis si longtemps en isolation, coupé de tout contact humain, isolation sensorielle et temporelle! J’avais perdu toutes mes bonnes manières. A tel point que lorsque enfin je me suis retrouvé avec un codétenu en cellule, ce dernier me faisait tout le temps des remarques du genre : Mange avec la bouche fermé tu fais trop de bruit! Ou encore d’autres remarques qu’il ne citera pas tant cela le gênait. »
Ali avait le regard triste et nous disait que l’isolation est une torture horrible que l’être humain ne peut pas supporter ça! Qu’il a accepté toutes les remarques en s’excusant et en retrouvant les bonnes manières à adopter! Il nous dit, je suis resté si longtemps tout seul que même les bruits que je faisais en mangeant me rassuraient de mon existence, mais voilà que j’en étais venu à oublier que c’était malpoli. »
🙁
STOP à ces méthodes inhumaines de détention! Battons nous pour que cela cesse!
Farida Aarrass