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Fragments de vie carcérale

Fragments de vie carcérale 8 , par Ali Aarrass

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Permettez-moi de vous aider à trouver quelques raisons pour comprendre le comportement des matons : 1- La peur. 2- La méfiance. 3- La routine. 4- Les états d’âme… Je vous laisse en ajouter d’autres ou laisser un commentaire.

Il y a la peur d’être surpris, d’avoir de l’empathie avec les détenus et de perdre son emploi ! La méfiance vis-à-vis des prisonniers, qui peuvent être menacés par les autorités, qui peuvent leurs faire du chantage, et qui finiront par mettre le gardien en danger. La routine, d’avoir l’habitude de « travailler » en maltraitant, en torturant, puis il rentre chez lui comme s’il n’avait rien fait de mal. L’état d’âme prêt à donner corps et âme pour ses subordonnes, aveuglé des yeux et du cœur, aucun civisme, ni pitié, capable de rester dans un poste qu’ils lui ont désigné dans n’importe quel domaine et endroit, de résister à n’importe quelle condition et de faire face.

Aujourd’hui, libre, en regardant cet immense espace devant moi, avec des humains, enfin solidaires, conscients, audacieux, admirables et adorables… Là, je me rends compte où j’étais durant ces douze années, où le néant règne et auquel il a fallu faire face chaque jour !

Je vous demande d’écouter, écouter les cris des opprimés, des humiliés, entre ces quatre maudits murs. Dans le noir, ils nous demandent de l’aide contre les oppresseurs. Nous devons manifester la solidarité, l’amour pour cet humain. Nous ne devons pas craindre le silence du pays. Nous devons le traduire dans notre langage. D’autres sont ignorants et inconscients de la réalité de ces crimes. Je leur dis, mais depuis quand avez-vous les yeux dans le dos ?

Que fais-tu de l’être humain ? Avons-nous tous besoin d’une sage-femme pour accoucher ?

Voici l’une de réalité de la vie humaine. Un bébé ne peut pas retourner dans le sein de sa maman, quand la vie lui devient trop pénible ! Avant d’être kidnappé, dans le miroir, je me voyais vieillir. Dans la vie carcérale sans miroir, je me voyais avant que les autres me voient et me jugent. À savoir que nous finirons tous un jour par découvrir une île inexplorée, elle le restera toujours (la tombe).

Je me rappelle qu’à l’âge de dix ans, j’avais suivi un cortège de funérailles au cimetière de ma ville natale (Melilla) pour l’enterrement d’un voisin espagnol, j’étais impacté de voir mon voisin sous terre et enterré !

Que peut-on dire aujourd’hui de tous ces enfants partout dans le monde, traumatisés, terrorisés et affamés sans leurs parents, condamnés à rester seuls… Si cette image de mon voisin enterré, que je n’arrive pas à oublier, me revient encore après plus de quarante ans, je vous laisse imaginer les enfants dans quel état psychique ils doivent être. Moi non plus, je n’arrive pas à me débarrasser des tortures qu’ils m’ont infligées.

En cellule, je commence à sentir la fin des travaux, de moins en moins de bruit, les caméras étaient installées et testées. Tout ceci donne l’espoir de voir le bout du tunnel. Mais rien ne se présentait pour nous annoncer la fin de privations de nos droits fondamentaux, rien !

Depuis tout ce temps passé en isolement en Espagne et au Maroc, la négligence et la non-considération de l’être humain étaient identiques. C’est comme le menuisier qui fredonne de la même façon en fabriquant un rebec ou un cercueil !

Ma lune de miel des douze années est terminée. Maintenant il faut passer à l’étape suivante du combat, avec de la patience et beaucoup de sagesse. La récolte sera très bonne…

Revenons aux isolements.

En Espagne, d’une prison à l’autre précisément à Algeciras (Botafuegos ), je devais attendre la décision de la justice et la procédure était très longue.

En parallèle j’avais écrit à l’ambassade belge à Madrid, c’était mon quatrième courrier, mais en vain. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à me poser des questions. Pourquoi tant d’injustices ici, mon enlèvement, l’insalubrité sinistre des prisons en isolement. Mon transfert dans cette prison était fait pour faciliter les visites de ma famille. Le climat était aussi très bon, contrairement à Madrid.

Dès mon arrivée, après toutes les formalités et l’installation dans ma cellule, la porte blindée s’est ouverte d’un coup et trois gardiens étaient là, prêts á me faire sortir à la cour. Une fois qu’ils ont terminé la fouille corporelle, l’un d’eux m’a dit : « Ali , tu vas sortir à la cour en compagnie d’autres prisonniers, tu es d’accord ? »

Je ne m’attendais pas à ce qu’ils me le proposent et demandent mon accord. J’ai répondu que s’ils veillent sur ma sécurité, il n’y avait pas de problème pour moi. Un autre me répond, « ici on sait bien faire notre travail, tu n’as pas à t’inquiéter ». Ceci signifie qu’ils étaient prêts à intervenir, on était sous surveillance constante. La grande porte qui donne vers la cour s’ouvre, je vois cinq prisonniers s’approcher pour me saluer et, sans tarder, ils m’offrent à boire un café de la cantine juste à côté de la cour…

C’est bien la première fois que je suis sorti avec autant de détenus, six mois après mon enlèvement. Une règle en prison était de se montrer solidaire avec les nouveaux arrivés, de ne pas leur poser des questions, d’attendre qu’ils soient à l’aise pour raconter sans obligation le pourquoi de leur arrestation. En isolement, les détenus sont très vite dévoilés. Par-contre, dans les quartiers des droits communs où la surpopulation fait ravage, il est difficile de savoir qui est qui. Sauf si les gardiens veulent divulguer qui est pédophile, violeur et d’autres cas d’abus.

Alors je vous laisse imaginer l’enfer et comment il serait reçu par d’autres prisonniers qui n’ont rien à perdre. Je me rappelle un prisonnier isolé totalement à la frontière avec le Portugal en Espagne (Badajoz). Celui-ci, durant les quatre mois que j’ai passés là-bas, sortait seul, parce qu’il avait tué des vieilles dames dans leur ascenseur. Il avait fait la une des journaux et à la télévision. Ces prisonniers, ils avaient bien l’intérêt à rester isolés, car ils risquent l’impasse.

Des histoires comme celles-ci se répètent souvent en Espagne. Tout le contraire des prisons du Maroc ! Ce qui était dégoûtant, c’était de voir des violeurs d’enfants et ceux qui les ont maltraités et tué leur femme, être reçus avec des embrassades, c’était l’hypocrisie totale. Cette scène m’avait choqué. La moindre des choses était de les affronter afin qu’ils les changent de quartier ! Quand tu lui en fais la remarque, hypocritement, il te répond qu’ici on est tous égaux. Ne pensait-il pas à la victime qui aurait pu être l’une de sa famille ?

Fragments de vie carcérale (7), par Ali Aarrass

dans ACTIONS/EXTRADITION/Fragments de vie carcérale/LA PRISON AU MAROC/TORTURE par
(Photo souvenir : quand Karima a visité Robben Island en Afrique du Sud, elle a posté ce message derrière les barreaux de la cellule où Nelson Mandela a été enfermé pendant 18 ans)

 

 

 

 

Nelson Mandela, toute sa vie, il l’a sacrifiée pour l’être humain et sa dignité. Son combat ne s’est pas arrêté quand il fut mis en prison, non ! Il a continué à se battre durant les 27 ans d’emprisonnement. Il s’est battu, il a lutté et fédéré contre l’apartheid : un racisme d’état, la discrimination, l’esclavage. Il s’est opposé à tous ceux qui ont essayé de rendre les noirs au néant et faire d’eux des créatures inférieures.  

Je vous invite à lire son histoire sous le nom « Un long chemin vers la liberté ». Vous comprendrez en le lisant, les valeurs d’un être humain qui a sa place sur cette terre. Vous allez vous retrouver parmi d’autres personnes qui refusent de voir la réalité en face, aveuglées par le racisme, l’orgueil et leur couleur de peau. Aussi le sacré de l’être humain, le vrai et le faux qui se cachent en lui…

Mandela était pour moi un leader, un exemple à suivre. Il a fait comprendre à son ennemi et à son semblable qu’il n’était pas haineux, après tous les crimes qui ont été commis contre des humains durant de longues décennies.

J’aimerais vous faire savoir et partager mon sentiment, concernant mon point de vue sur la haine. J’ai été kidnappé depuis le poste de mon travail, par le gouvernement espagnol, arrêté arbitrairement et mis en détention dans l’isolement total. Deux ans et neuf mois après que la justice m’a donné un non-lieu, j’aurais dû être libéré tout simplement parce que j’étais innocent. Mais le gouvernement a l’époque en 2008 du parti socialiste ouvrier ne l’a pas voulu ainsi, car ils voulaient m’extrader au Maroc. La suite, vous la connaissez et pour ceux et celles qu’ils l’ignorent encore, allez sur le site freeali.be.

Après toutes ces années d’injustice, des tortures abjectes, grâce à la complicité de l’Espagne, qui était censée respecter la décision de la justice, dans un État de droit, et face à la non-assistance de l’État belge qui a tourné le dos à son citoyen durant 12 années, pendant lesquelles je n’ai pas arrêté de demander aux autorités belges d’intervenir et de défendre un innocent, un citoyen qui voulait une assistance consulaire, douze années pendant lesquelles je voulais simplement leur parler et qu’ils m’écoutent personnellement… Aujourd’hui, devrais- je avoir de la haine d’après vous ?

Non, jamais ! Parce que la haine te dévore les entrailles, te détruit à l’intérieur de ton corps et te pousse à la vengeance. Par-contre, là, maintenant en ce moment, c’est la rage qui ne me quitte pas : une rage issue de toutes les injustices, des crimes, des violations avec la complicité de l’Espagne, du Maroc, des tortures abjectes et le silence de l’État Belge à l’égard de son citoyen…

Oui, il y  cette rage en moi, qui me pousse à marcher la tête haute, pour défendre d’autres prisonniers, aujourd’hui abandonnés, après avoir été eux aussi torturés et condamnés injustement et arbitrairement et surtout au Maroc…

Bien entendu, une rage en moi pour que je puisse continuer à me battre et dénoncer ces tortionnaires, les bourreaux et les poursuivre en justice. Aujourd’hui tout le monde sait que j’avais dénoncé les tortures abjectes qui m’ont été faites. En étant encore en prison, car je ne voulais pas que d’autres subissent les mêmes traitements cruels. Oui, il fallait que cela marque une fin…

En Espagne, l’un des avantages était que je maîtrisais la langue espagnole. Ma langue maternelle, comme le rif et le français qui durant toutes ces années étaient un bagage très utile, pour pouvoir faire face au monde carcéral.

Dans pas mal de circonstances, j’ai pu éviter des conflits avec d’autres détenus qui manigançaient d’une fenêtre à une autre en langue espagnole. Ce qui est important à retenir chez ces prisonniers, c’est qu’il faut leur parler dès le premier jour de ton arrivée, te présenter poliment avec du respect et les inviter à boire un café ou une infusion pour leur montrer ta solidarité…

Car enfin on était tous dans les mêmes circonstances de détention. À chaque fois que j’ai été transféré, d’une prison à une autre, sans tarder on faisait les présentations, on discutait longuement et on partageait nos expériences de vie carcérale depuis nos fenêtres.

Du coup, voilà que le distributeur des boissons chaudes est arrivé dans notre module d’isolement, j’ai passé commande pour moi et aussi pour les plus vulnérables qui n’ont pas d’argent sur leur compte. Se faire servir dans la cellule une boisson chaude était un moment d’humiliation mais, en même temps un plaisir, boire une boisson chaude durant les 23h enfermé était un bon moment de notre existence et l’espoir de quitter un jour cet affreux endroit!

Dans toutes les prisons du monde, la torture existe ! Mais au Maroc, la torture c’est une routine; la corruption règne dans toutes les institutions juridiques, administratives, sociales et pénitentiaires, ajouté à tout cela, l’anarchie totale. Par la répression au quotidien du peuple marocain, ils veulent nous faire croire que le Maroc est en voie de développement !

Restons au Maroc, précisément à la prison de Salé ll, là où j’ai passé 6 ans d’isolement avant d’être transféré à l’autre prison de Tiflet ll. J’aurai l’occasion de partager avec vous mon témoignage…

Dans l’isolement de Salé ll.

Les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois passent lentement, très lentement. Coupé du monde extérieur et intérieur. Les fouilles se faisaient très vite et souvent, pour nous provoquer et tester nos réactions et notre dignité. Aujourd’hui, en ce moment, quand je rembobine mon vécu durant toutes ces années-là, je me rends compte que j’ai vraiment survécu à toutes ces épreuves et atrocités barbares et inhumaines !

Je me suis demandé pourquoi de telles pratiques, de telles méthodes de torture physique et psychologique, nous étaient infligées.

Une phrase que les matons répétaient souvent était : « Ali quand tu sortiras en liberté, tu oublieras toutes ces années » Que peut-on répondre à ces tortionnaires, qui ont été choisis et sélectionnés pour nous infliger ces traitements inhumains ? Surtout quand ils montrent de la fierté en voulant nous rabaisser et nous humilier par de tels propos !

Un bon matin, j’entends des bruits de travaux et je sens des odeurs de soudure. À quoi cela vous fait penser ? Oui, ils étaient en train de terminer les travaux à la prison. La prison de Salé fut inaugurée à la fin octobre 2010. Je suis arrivé le 24 décembre 2010, ceci explique le criminel de l’état marocain, celui du vite fait mal fait, ils étaient pressés de nous enfermer comme des criminels coupés et privés de tous nos droits fondamentaux.

Comment peut-on accepter et oser infliger de telles conditions d’emprisonnement à des êtres humains qui n’étaient pas encore condamnés, donc présumés innocents ?

À qui faut-il en vouloir pour une partie de tous ces crimes ? À l’Espagne ou au Maroc ? Ou à la Belgique pour avoir gardé le silence durant ces 12 années ?

Non ! Je n’ai pas de place dans le cœur pour la haine ! Mais bien pour la rage !

Un matin, la porte s’ouvre comme d’habitude, le petit-déjeuner était là sur le sol, je me suis penché pour vite le prendre, avant qu’il ne soit poussé par le pied du maton. J’ai remarqué de longs fils de câbles électriques de couleurs différentes dans le couloir. Je devais attendre l’arrivée du gardien chargé du quartier, pour savoir à quoi serviront les câbles. Des jours ont passé et à chaque fois que la porte blindée s’ouvrait pour le repas, je ne voyais pas de gardien, les câbles étaient toujours là au sol.

Un jour, j’entends que quelqu’un parle au talkie-walkie, il dit à son collègue : « je suis au quartier ( B ) couloir 2 » et l’autre lui répond : là-bas, tu installes les deux caméras fixes ». Alors, une fois de plus je vous demande de réfléchir. Pourquoi de tels traitements inhumains nous ont été infligés quand nous étions hors caméra ? Est-il impossible pour ces matons d’être humains et aimables quand ils ne sont pas surveillés par des caméras ? Dites-moi pourquoi !

 

Nelson Mandela (1994: 340–1) : « The challenge for every prisoner, particularly every political prisoner, is how to survive prison intact, how to emerge from a prison undiminished, how to conserve and even replenish one’s beliefs.
The first task in accomplishing that is learning exactly what one must do to survive.
To that end, one must know the enemy’s purpose before adopting a strategy to undermine it.
Prison is designed to break one’s spirit and destroy one’s resolve. To do this the authorities attempt to exploit every weakness, demolish every initiative, negate all signs of individuality – all with the idea of stamping out that spark that makes each of us human and each of us who we are. »
 

Fragments de vie carcérale (6), par Ali Aarrass

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Beaucoup diront que les prisonniers d’aujourd’hui au Maroc, vivent dans le « luxe ».

J’aimerais bien qu’ils passent deux à trois jours enfermés chez eux, mais alors sans bonne nourriture, ni sucreries, ni téléphone, ni télévision, ni radio, ni eau chaude, ni personne à qui parler !

Pour moi, le luxe, c’était d’avoir un bout de crayon et un morceau de papier pour dénoncer les tortures abjectes et les privations de nos droits ! Il m’était interdit d’avoir cela dans ma cellule.

Je me rappelle la première fois qu’on m’a fait passer chez le médecin, après tout ces long mois de privation. J’étais malade et très faible, sans forces, du coup j’ai vu un crayon sur la table qui était censé être son bureau sans réfléchir je l’ai pris discrètement et je l’ai caché !

Avant, je pensais écrire avec mon sang, s’il le fallait, pour dénoncer les tortionnaires et les tortures.

Ce crayon, je l’ai coupé en trois morceaux et je les ai partagés avec deux autres prisonniers.

C’était aussi un luxe d’avoir un coupe-ongle. Mes ongles, je les frottais au sol en gravier !

Voilà le luxe dans l’isolement au Maroc !

C’était aussi un luxe de n’avoir ni vêtements de rechange, ni sous-vêtements. Tout m’était confisqué ! Comme c’était aussi un » luxe », de me laver avec de l’eau très froide ! Au Maroc, il faisait un froid terrible en hiver.

Pour justifier ces conditions de vie inhumaine, il n’y avait qu’un seul mot, tout simplement le mot discipline !

Cela voulait dire qu’il nous était interdit de parler, de manifester, de dénoncer les conditions de détention! En bref, nous tenir et faire de nous des robots!

Mais , pas de chance pour eux, la discipline était en moi depuis mon enfance !

Les nuits étaient plus longues que les journées. C’était le moment où je commençais à réfléchir plus longuement. Toute ma vie défilait dans le noir total.

Des nuits sans pouvoir fermer les yeux, des moments agréables et inoubliables de mon enfance, mon adolescence, des moments de folie, avant de rejoindre ma maman à Bruxelles depuis ma ville natale de Melilla. En sachant que j’allais la quitter, mon cœur s’était brisé en deux, car j’allais laisser derrière moi mon papa et ma grand-mère, celle que j’ai toujours aimée. Malgré toutes les injustices, les épreuves des années d’emprisonnement, j’ai gardé l’espoir de pouvoir un jour les retrouver… Avec le temps, une chose fondamentale m’a aidé à résister. Celle de me répéter : « Ali, il y a-t-il encore des choses dans la vie auxquelles tu n’as pas encore goûté ? » Savoir qu’un jour je serais libéré et pourrais revivre à nouveau me donnait une force inébranlable.

Quelques jours après l’arrivée de ces  Sahraouis, dans ma cellule, j’ai senti des odeurs de fumée de cigarette. Je suis monté sur le lavabo encastré dans le mur pour attirer l’attention du fumeur.

C’était l’un des  Sahraouis et directement il s’est excusé. Je ne voulais pas en rester là et j’ai ajouté : «  Comment est-il possible que des hommes comme vous, militants, combattants, qui avez affronté ce régime criminel, dictateur et qui êtes restés avec vos principes afin de pouvoir récupérer vos terres, qui vous retrouvez aujourd’hui dans ces conditions inhumaines, comment est-il possible que vpus soyez vaincus par un morceau de cigarette ? »

Là, c’était le silence, sans commentaire… Comme je lui avais parlé en français, j’étais certain qu’il m’avait compris.

Le jour d’après, le soir tombé, il appelle celui qui lui a parlé la veille sur la cigarette ! Je lui dis : Oui, c’était bien moi. Il m’a remercié pour ce conseil. Pour terminer il ajoute qu’ à partir d’aujourd’hui il ne fumait plus… J’ai ajouté qu’il était libre de son choix. Mais il faut savoir qu’ils seront condamnés, et pour bien longtemps. Donc pourquoi choisir une mort lente en prison !

À son tour de me poser une question. Qui étais-je ? Il voulait savoir à qui il avait parlé.

Je me suis présenté, sans tarder il m’avait reconnu. Je dois dire qu’il m’avait surpris. J’ignorais que mon affaire était connue aussi par des Sahraouis !

En Espagne, j’ai appris à ne m’attacher à aucun prisonnier. Avec le temps on m’a enseigné qu’en isolement sensoriel, l’une des tortures, c’est quand tu commences à côtoyer un détenu et t’habitues à lui, ils viendront soit le changer de quartier ou alors le transférer dans une autre prison. Croyez-moi, j’ai été maître de moi-même, de mes sentiments, durant 12 ans j’en ai vu des prisonniers politiques et d’opinion défiler sous mes yeux.

Leur but étant de nous déshumaniser dans l’isolement et faire de nous des êtres abandonnés, écartés d’autres êtres humains. Aujourd’hui encore, je n’arrive pas à oublier ces hommes courageux, qui ont réussi à se faire une place en Isolement. J’étais inspiré par Nelson Mandela:

La sagesse, l’intelligence, le courage, la persévérance, l’humilité, la modestie, la dignité…

D’autres aussi que j’ai laissés derrière moi, j’aurai l’occasion d’en parler.

Fragments de vie carcérale (5), par Ali Aarrass

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Je vous demande de fermer vos yeux, de vous concentrer sur ces moments d’injustice où un innocent est en train de passer par toutes ces épreuves. Mettez-vous dans sa peau en vous concentrant autant que vous le pouvez !

Maintenant, dites-vous que ceci aurait pu arriver à l’un de vos proches bien aimés, ou alors à vous-même.

Et dites-vous que justice sera faite un jour. Comment vous sentez-vous là, maintenant après avoir ouvert les yeux ?

Moi, je me suis senti fort de corps et d’esprit…

Bon, je reviens sur la différence entre les isolements en Espagne et au Maroc.

En Espagne, dans chaque prison où j’ai été transféré, j’ai reçu dès mon arrivée mes accessoires sanitaires : couverts, couvertures propres, j’avais le droit de voir le médecin tous les jours, de prendre une douche, d’appeler au téléphone, de sortir à la cour, donc aucun de mes droits fondamentaux ne mettait refuser ! Attention, ne croyez surtout pas que je logeais dans un « cinq étoiles ». Non ! Mais plutôt en isolement sensoriel. Car la torture psychologique était présente tout le temps. Je sentais la différence quand je sortais à la cour pour une heure après avoir été enfermé en cellule durant 23 heures, croyez-moi, je n’avais pas envie de retourner en cellule et d’être privé de ce moment en semi-liberté et de cette occasion de voir le ciel en forme de carré et d’être privé d’un peu d’oxygène!

 Et physiquement, si tu commences à être dangereux pour les prisonniers ou contre les gardes, ils viendront te chercher pour te mettre dans un angle mort hors caméra. Après s’être acharné contre toi, ils t’enverront au cachot pour 45 jours, puis tu seras transféré dans une autre prison sous un régime carcéral plus dur que le précédent ! Il était inutile de te montrer le plus fort, surtout si tu avais tort !

Donc, vous voyez la différence entre un isolement au Maroc et en Espagne ? Au Maroc, ils m’ont privé de dentifrice et de brosse à dents, et cela durant cinq mois !

Je vous laisse imaginer le grand plaisir que j’ai pris en me brossant les dents, quand ils m’ont restitué ce droit ! Leur argument est la « sécurité » de peur que des prisonniers n’en fassent un instrument pointu pour agresser quelqu’un. Voilà la seule raison pour m’avoir privé de ce droit durant cinq mois !

Je vous rappelle qu’en Espagne, les deux ans et neuf mois dans les isolements de haute sécurité, jamais je n’en ai été privé !

Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. C’est vous dire aussi que malgré les formations que l’Amérique et l’Europe font au Maroc pour améliorer les conditions « sécuritaires », elles ne sont pas respectées, car leur tradition et leur méthode de langue de bois et de bras de fer les empêchent de s’en débarrasser ! Ils ont ceci dans le sang, le savoir-faire pour terroriser, humilier, affamer, rendre l’humain comme une bête ou un zombie bourré de drogue et de médication. Voilà ce qu’ils veulent faire de nous et c’est pareil à l’extérieur des prisons, dans la société et la population marocaines, la répression, rien d’autre que la répression !

Maintenant faisons un détour par les premiers cinq mois d’isolement sensoriel au Maroc.

Je suis témoin de l’arrivée des nouveaux prisonniers ; cela leur à pris toute une nuit. De bon matin, d’autres sont arrivés dans mon quartier. Quelques heures plus tard, j’ai entendu un maton dire au prisonnier de s’approcher de la porte de sa cellule pour lui poser des questions suivantes : « Tu es Marocain ou Sahraoui ? ».

Le prisonnier lui répond: je suis Sahraoui. Du coup, le maton s’énerve, le prend par son cou et commence à le frapper en l’insultant, en lui crachant au visage. Quelques jours après, il parle avec un gardien, pour lui dire qu’il attend la visite de sa famille et qu’elle devait venir du sud-est. Quand j’ai commencé à réfléchir, j’ai compris de qui il pouvait s’agir et je me suis souvenu : c’était début décembre 2010, avant mon extradition au Maroc. Depuis ma cellule de la prison de Valdemoro à Madrid, les nouvelles à la radio parlaient de manifestations dans le sud-est. Là où il y a de nombreuses arrestations de militants Sahraouis qui veulent l’indépendance du Sahara occidental. Oui J’ai été témoin, à la télé comme tout le monde, de ce qui s’est passé avant leur arrestation, mais aussi des tortures qui leur sont réservées car ils ont bien été torturés! Lors de leur incarcération à Salé ll, début janvier 2011, ils étaient une vingtaine, du camp de Gdeim Izik.

Ils les ont séparés dans toute la prison et isolés, comme moi. J’entends dans mon quartier venir les tortionnaires et les maltraiter dans leurs cellules. Je pouvais les entendre !

Au début de mon dépôt à Salé ll, mes repas étaient servis par des matons. Je m’étais dit que ce n’était pas du tout normal que je sois privé de mes droits fondamentaux et qu’en plus je ne sois pas servi par d’autres prisonniers, comme en Espagne. On voulait nous faire croire qu’on était encore au centre secret de Temara ! Coupé du monde, torturé, électrocuté, maltraité, violé, humilié, insulté, couvert de crachats et d’urine…

Donc obligé de croire, avec ces conditions de détention inhumaines, qu’on était kidnappé et que personne ne savait où on était !

Je dois reconnaître qu’au moment où le quartier commence à se remplir, je me suis senti plus en sécurité. C’est là que le côté humain joue son rôle! Là, vous comprenez que l’isolement dans n’importe quel pays dans le monde, est et restera une torture, mais surtout où Maroc ! L’une des raisons étant que certains matons, qui exécutent les ordres, étaient sous la contrainte. Je comprends, mais cela ne m’empêche pas de les affronter et de leur faire savoir qu’ils doivent faire leur boulot sans maltraiter les prisonniers. Mon but étant de leur rappeler que nous sommes tous des humains, et que bientôt justice sera faite. Je voulais les sensibiliser et leur dire que je comprenais qu’ils étaient sous la contrainte : mal payés, sans couverture sociale, certains sans moyens de transport, et l’emploi du temps avec des horaires de travail impossible etc. Certains parmi eux commencent à avoir de l’empathie et de la confiance, j’ai remarqué cela dans leur traitement à mon égard. Je savais qu’il était nécessaire d’acquérir la confiance des gardiens censés êtres là pour servir notre quartier …

Sachez bien que cela m’a demandé beaucoup de patience car, à chaque arrivée d’un nouveau gardien qui venait comme un félin, il fallait à nouveau lui couper les griffes …

Il était important de leur faire savoir qu’il y a des limites à ne pas dépasser, tant pour moi que pour eux-mêmes.

Je leur ai fait savoir qu’en France les matons ont droit une fois par mois à une consultation psychologique chez un médecin spécialisé. Et que ceci n’existe pas au Maroc !

Je savais que ce genre de conversation les mettait mal à l’aise. Ils étaient beaucoup moins informés que moi sur le sujet ! Une fois de plus, j’ai leur faisais savoir qu’ils étaient privés eux aussi des droits, et c’est l’une de raison pour lesquelles vous devenez des matons sans état d’âme, dans le cadre de vos fonctions ; à long terme vous devenez violent et vous vous acharnez contre nous !

J’ai remarqué que certains ont été blessés dans leur orgueil, mais oser leur parler dans de moments propices les faisait réfléchir. Parce qu’ils n’ont pas l’habitude de telles conversations et moins encore venant d’un prisonnier.

Je savais qu’en étant isolés, ils pouvaient m’écouter mieux sans que nous soyons interrompus.

Certains parmi vous se poseront la question. Était-il nécessaire de parler à des gardiens prêts à exécuter des ordres des leurs supérieurs contre d’autres prisonniers ? La réponse est que je savais que je pouvais gagner la confiance de certains gardiens dans le but d’imposer le respect de chaque personne. J’ai toujours tout fait pour me faire respecter, sans rien leur donner en échange. Aussi pour me tenir informé des nouvelles à l’extérieur et à l’intérieur de la prison. Tout ceci m’a demandé beaucoup de temps afin de conquérir ma place dans un endroit fermé, isolé et coupé du monde !

Fragments de vie carcérale (4), par Ali Aarrass

dans ACTIONS/Fragments de vie carcérale/LA PRISON AU MAROC/TORTURE par

Nous devons prendre conscience que seul le meilleur en sortira infailliblement ! C’est quelque chose qui ne tombe pas tout cuit dans notre bouche. Ne sois jamais découragé. Il est vrai que dans un état  répressif, la tâche des opposants n’est pas facile. Par contre et malgré cela, nous devons manifester pacifiquement et sans violence, avec persévérance !

En prison j’avais tout le temps un pas d’avance sur le système carcéral : j’ai fait de mon isolement un monde propre à moi ! Je pouvais dans ma tête imaginer, étudier le régime carcéral, enregistrer le claquement et la fermeture de toutes les portes et savoir d’où ça venait ! J’ai été maître de moi-même, je leur ai fait savoir qu’ils ne pouvaient pas m’imposer leur règlement pénitentiaire, ni leurs lois qu’eux-mêmes ne respectent pas !

Je voulais vivre chaque minute en conscience avec moi-même et en accord avec mes valeurs. Je me suis senti le directeur de ma vie, je pouvais dire oui et non quand je voulais. Cela m’a poussé à leur faire croire que j’ai été le maître de mon destin : car le chemin qui mène à la liberté et à la dignité humaine demande parfois de renoncer à la facilité, pour suivre les exigences de sa volonté au plus profond de soi-même.

Il n’est pas toujours facile d’acquérir nos droits dans une prison et moins encore en isolement quand on est coupé du monde sous un contrôle constant.

En isolement en Espagne et au Maroc

En Espagne j’ai été aussi isolé et mis dans un quartier d’isolement avec les plus dangereux et des prisonniers politique de L’E.T.A et d’autres de droit commun avec de longues peines. Je voulais seulement vous faire savoir la différence des isolements entre l’Espagne et le Maroc.

En Espagne d’abord. Malheureusement comme c’était ma première expérience préventive, les trois premiers mois d’isolement sensoriel, j’étais traité comme un présumé « terroriste criminel, » en attendant la procédure de justice, ils étaient censés me surveiller de très près tous les jours pour en savoir plus sur mon comportement. Ils utilisaient les fouilles de ma cellule en jetant tout par terre brutalement et me fouillaient avec des attouchements pour m’humilier et tester ma réaction.

Chose que je n’ai pas acceptée bien sûr, quand c’était suivi par des commentaires racistes, des insultes sur ma personne présumée être « un terroriste « mais pas encore condamnée. Aussi ils me faisaient souvent changer de cellule, quand je leur demandais la raison, ils fermaient le parlophone, du coup la porte blindée s’ouvrait et je devais me diriger vers l’autre cellule…  Il était important de savoir que les gardes ne pouvaient ni me frapper ni me maltraiter, car je pouvais les dénoncer auprès de la justice à Madrid chez le juge Baltazar Garzón, chargé de mon cas après une très longue enquête faite à mon insu avant mon arrestation, puisqu’elle a duré deux ans et neuf mois.

Un non-lieu

La justice espagnol a dû me donner un non-lieu, donc j’ai été innocenté. Mais malgré que la justice a décidé de me libérer, le gouvernement du parti socialiste ne l’a pas voulu ainsi. Nous savons que dans tous les États de droit dignes de ce nom en Europe rien ne peut être au-dessus de la justice ! C’est vous dire et peut-être vous rappeler, combien d’injustices, de violations des droits de l’homme ont eu lieu ! Au nom de la lutte contre le terrorisme… Les services secrets espagnols (CNI) avec la coopération des services marocains  (DST), sous les ordres du roi du Maroc, ont convaincu l’Espagne et certains pays européens en leur montrant des scénarios bien montés, filmés avec leur caméra, d‘arrestations de jeunes, dont la grande majorité sont innocents. Tout ceci pour faire leur propagande de « F.B.I marocaine » ! Je vous invite à visualiser les enregistrements de coups montés de toutes pièces de leurs descentes pour neutraliser les présumés membres de réseau terroriste qui ne se connaissaient même pas entre eux. Une fois arrivés en prison, ils sont séparés, puis ils se rencontrent à l’infirmerie ou dans le fourgon cellulaire en direction pour leur procès, c’est alors là qu’ils font connaissance et puis ils sont choqués de découvrir qu’ils font partie du « même réseau ». Donc je vous laisse imaginer et juger, où est la crédibilité de ces policiers terroristes et criminels qui osent même faire des communiqués à la presse pour dire qu’ils étaient prêts à agir avec des « armes » et tout un « arsenal ». Alors qu’ils n’ont même pas de quoi nourrir leur famille…

 Durant les  douze années d’emprisonnement, j’ai découvert et analysé, que le Maroc était prêt à sacrifier ses citoyens pour faire croire au monde extérieur qu’ils sont très forts dans la persécution du terrorisme. Oui, contre des jeunes qui ne se connaissent même pas entre eux. Bien sûr, il leur fallait un peu de crédibilité dans leur procès verbal bien monté de toutes pièces. Les jeunes arrêtés devraient avoir un profil qui était le suivant : avoir une connaissance basique de l’islam, fréquentation de la mosquée, opinion sur la politique et soutien aux opprimés dans le monde…

J’aimerais ajouter ceci.

Le monde ne peut plus rester neutre, en étant témoin des atrocités des crimes, des tortures abjectes des maltraitances tels qu’ils l’ont fait avec moi et d’autres au Maroc ! Et envers un peuple qui ne demande qu’à vivre librement dans sa dignité humaine ! Il est grand temps que cela change. Ce système policier au Maroc est en train de semer la peur, de terroriser le peuple marocain. Aujourd’hui, je me pose la question, combien de temps resterons-nous cachés sans vouloir faire surface? Il faut affronter ce système policier criminel, cette dictature despotique qui veut faire de nous des esclaves d’une monarchie, d’une dynastie qui nous pousse à marcher la tête baissée en rasant les murs !

Et pour finir, on croirait qu’on est dans un système archaïque, là quand on n’a pas d’éthique on devient alors pathétique ! À qui faut-il en vouloir ?

Je pense que si le monde évolue dans le bon sens, on doit évoluer avec lui ! La génération future ne doit pas suivre celle qui l’a précédée. Car grandir c’est souffrir dans le bon sens. La dictature au Maroc finira par tomber comme la poussière, elle s’élève, s’élève, et finit par tomber d’elle-même !

Donc je reviens dans le monde carcéral, là où mes convictions se sont renforcées durant ces  douze années. Je me suis posé les questions suivantes. Etais-je en sécurité entre ces quatre murs ? Où trouver ma sécurité ? Étais-je prêt à défendre ma sécurité et à repousser le danger ?

Une chose fondamentale m’a aidé, c’est que je ne me suis jamais, à aucun moment, satisfait de rester statique. En prison je devais rester sincère et réceptif à tout. Je ne pouvais pas créer le nouveau en demeurant immergé dans l’ancien ! Un nouveau-né ne peut demeurer attaché à sa maman … Alors sommes-nous prêts à changer notre façon de penser et à agir pour avancer dans une solidarité humaine ? Et sommes-nous prêts à tout accepter quoi qu’il arrive ?

Et jamais, à aucun moment, nous ne devons permettre aux échecs apparents de nous décourager !

Prenons le temps de bien réfléchir et d’être bien honnêtes avec nous-mêmes !

Un long silence

Il y a des moments en prison qui ne peuvent passer inaperçus : dans un long silence, très long qui dure des journées interminables. Durant ce temps-là, un prisonnier en Espagne isolé dans notre quartier, pète les plombs et commence à frapper sur la porte de sa cellule !

Il criait, il ne voulait pas rester seul, il demandait d’être en compagnie avec d’autres personnes en cellule. Les gardiens ont ouvert la porte blindée et les coups venaient de tous les côtés, une fois maîtrisé et menotté il fut mené au cachot, quinze jours après ils l’ont ramené dans la même cellule. Par la fenêtre le soir, il nous a parlé et commenté ce qu’il lui est arrivé et qu’il recevait la visite d’un médecin tous les jours au cachot ; celui-ci lui a posé la question : qui l’avait mis dans cet état ? Avec des traces de coups sur son corps ?

Il a répondu qu’il avait glissé dans les douches. Le médecin a pu faire son rapport. S’il avait dénoncé les gardiens, nous a-t-il dit, il ne serait pas encore sorti du cachot… Ceci n’arrive qu’aux prisonniers de droits communs, a-t-il ajouté !

Ils connaissent bien les règles et les astuces dans les prisons. Celui-ci a été mis à l’écart des autres parce qu’il était soupçonné de trafic de drogue.

Je dois dire, que par une fenêtre en écoutant les autres parler, j’ai appris beaucoup, c’était comme si j’allais à l’université. Car en prison les savoir-faire sont tellement grands et riches e la connaissance est illimitée. Le soir tombé, je devais faire le triage de ce savoir précieux, très utile pour toutes ces années d’injustice.

Car en isolement, c’était important de savoir comment arriver à être fort, convaincu que je devais surpasser ces conditions dures et éprouvantes, physiquement et psychologiquement pénibles pour un innocent.

 

Fragments de vie carcérale (3), par Ali Aarrass

dans ACTIONS/Evénements/EXTRADITION/Fragments de vie/Fragments de vie carcérale/LA PRISON AU MAROC/TORTURE par

Je vous demande de m’excuser, car je vais devoir souvent prononcer des mots désagréables comme : kidnappé, torturé, violence, humiliation, prison, isolement, etc.
Ceci dit, je continue pour mieux expliquer ce côté humain qui fait que, malgré les tortures abjectes, les conditions de détention difficiles à supporter durant de longues années, il faut rester debout, bien ferme dans ses convictions.
Nous savons tous que l’homme a la spontanéité et il est prédisposé à porter de l’aide à son semblable !
 Au début de mon isolement dans la prison de Salé 2, j’entendais quelqu’un frapper de l’autre côté du mur de ma cellule, j’étais encore en état de choc, je me suis levé du sol et me suis dirigé vers le mur pour savoir d’où venaient ces coups. Je réponds aussi par des coups, j’entends une voix qui dit de monter sur le lavabo encastré dans le mur, je suis monté et j’ai vu une main de la cellule voisine qui m’offrait un fruit ; je n’ai pas hésité une seconde, je l’ai remercié pour ce geste humain.
Puis plus de nouvelles depuis ce jour-là du voisin. Je dois dire que, encore aujourd’hui, je garde dans l’esprit cette solidarité et bien sûr le goût de ce fruit que j’ai dégusté avec grand plaisir et puis je devais me débarrasser de l’épluchure dans la toilette avant que les matons ne les trouvent, pour ne pas mettre en danger le voisin d’à côté, car ils savent que j’étais sensé n’avoir de contact avec personne !
Les cinq premiers mois de mon isolement, au sol avec deux couvertures, portes et fenêtres fermées, une nourriture immonde et immangeable, sans douche, sans médecin, sans coiffeur, sans sortir à la cour, sans visite familiale…
Couché sur le dos, je fixe le plafond de mes yeux et du coup je vois ce plafond descendre et s’approcher de mon visage.
La faim était présente tout le temps, la nourriture, quand elle arrive, je la mange parfois en fermant les yeux et en triant les petites bestioles et les cailloux, le pain sale et sec. Malgré cela, j’étais moralement capable de leur démontrer que je n’avais besoin de rien et de rester debout même si mon corps me joue un tour avec un dysfonctionnement articulaire.
Bien sûr, ceci après leur avoir demandé à maintes reprises le pourquoi de toutes ces entorses à mes droits fondamentaux. Je savais très bien qu’ils étaient sous les ordres des hauts placés !
Les mois passent, les odeurs dans ma cellule commencent à devenir fermentées et insupportables mais je dois reconnaître que je m’étais habitué à ces conditions inhumaines et déplorables.
Les matons, quand ils ouvrent la porte blindée de ma cellule, bouchent leur nez et me demandent : pourquoi tu n’ouvres pas la fenêtre ?! Je leur ai fait savoir que cela ne me dérange absolument pas et qu’elle était fermée avant mon arrivée.
L’heure de la distribution des repas, ils poussent le plateau avec leurs pieds en fermant vite la porte. Ce geste est pour me faire savoir que je ne suis rien qu’un criminel ou un animal. Cela fait partie des humiliations et les tortures blanches d’isolement, ce sont les consignes.
Je savais qu’il leur était facile d’ouvrir cette maudite fenêtre et de ne plus me priver des tous les droits fondamentaux, mais je ne devais pas tomber dans leur jeu.
Il est très facile pour les personnes fragiles de céder et d’être une pâte à modeler pour les tortionnaires.
D’autres se font avoir par le chantage et des promesses, qui ne sont jamais respectées.
Un après-midi, la porte blindée de ma cellule s’ouvre, je vois le gardien de mon quartier avec un prisonnier avec une tondeuse en main prêt à me couper les cheveux avec mon accord. Je n’ai pas refusé ce que je savais être un droit. Donc ils rentrent avec une chaise toute en morceaux, directement je me suis rappelé de la fameuse chaise du centre secret de Témara, là où les bourreaux m’ont torturé et passé à tabac durant douze jours et nuits …
Directement je lui dis de changer cette chaise pour une autre en bonne condition, chose qu’il n’a pas refusé, il ordonne au coiffeur de prendre une juste à côté de son poste. J’ai vite remarqué que le gardien était mal à l’aise à cause des odeurs. Il me dit avec respect : pourquoi n’ouvres-tu pas la fenêtre ? J’ai lui dit qu’elle était très haute et que c’est de votre devoir à vous de faire le nécessaire pour que je sois dans de bonnes conditions de vie. Avant son départ, il m’a dit qu’il allait signaler cela à son chef. Me voilà les cheveux coupés, mais il me fallait une douche, je commence à me gratter partout. Ce qui était important c’était de les voir arriver vaincus en m’offrant mes droits fondamentaux sans les supplier ni plier les genoux.
Un bon matin le directeur se présente avec ses gardes et me dit : as-tu besoin de quelque chose ? Conscient de l’état dans lequel j’étais. Qu’auriez vous répondu ?
Je m’attendais à ce qu’il se présente d’abord… Rien de tout cela, directement avec sang froid, comme ils ont l’habitude de le faire. C’est pour te démontrer qu’il est le plus fort et le seul à détenir l’autorité en prison. Aussi quand il est accompagné par ses gardes fidèles, il utilise la langue de bois. Avant de lui répondre, je le regarde dans les yeux, directement je me suis dit, « Ali reste fort devant eux, ne tombe pas à leur niveau . »
D’après vous, ne croyez-vous pas que le directeur est censé être au courant des conditions de vie de chaque prisonnier dans son établissement. Il n’y a pas une chaise qui se déplace d’un endroit à un autre sans sa permission ! Donc j’ai répondu en le regardant aussi dans les yeux. « Non, je n’ai besoin de rien ». Il ne s’attendait pas à cette négation de la part d’un prisonnier isolé, coupé du monde extérieur, qui couche au sol, privé de médecin et de médicaments, de douche, de téléphone, de sortie à la cour et cela durant cinq mois depuis mon dépôt à Salé ll.
Aussi j’aimerais attirer votre attention sur ces cinq premiers mois d’isolement sensoriel. Il y a eu le printemps arabe en Tunisie, Libye, Égypte, le 20 février au Maroc, les indignés en Espagne (Madrid). Tout ceci je l’ignorais. Donc le directeur part en claquant fortement la porte blindée de ma cellule.
Quelques minutes après, le gardien de mon quartier (B), s’approche pour me dire, « Ali pourquoi tu as refusé l’offre du directeur ? » Il me fallait une fois de plus répondre en pesant bien mes mots. Je lui ai dit que si cette offre était un droit, il ne faut pas me priver de cela ! Et si c’était un privilège, je n’en voulais pas ! Alors, je vais expliquer la raison pour laquelle j’ai refusé : Si j’avais répondu au directeur : oui j’ai besoin d’un lit avec un matelas, d’une chaise, d’une petite table, de prendre une douche, de voir un médecin, de sortir à la cour, de téléphoner à ma famille… Ou encore une autre chose facile et à portée de main, comme avoir ma brosse à dents et du dentifrice, petite chose qui m’avait été refusée. Donc imaginer dans qu’elle état d’esprit j’étais.
Quelques jours plus tard, le même gardien s’approche de la porte de ma cellule pour me dire « Ali, il faut que tu fasses une demande écrite à la direction pour récupérer tes habits et ta brosse à dents.» J’ai remarqué que ce gardien m’a parlé avec respect et qu’il voulait peut-être me conseiller ou alors il a été envoyé pour voir ma réaction mais j’ai renoncé à faire la demande !
Je répète qu’il était dans mon droit d’avoir un minimum de bien être dans cet isolement, mais ils ne l’ont pas voulu ainsi !!!
Si j’avais répondu par oui à leur demande, je leur aurais montré mon point faible. Donc tout en sachant qu’ils aimaient s’amuser avec ma dignité, j’ai évité de leur procurer ce plaisir…
Les jours passent lentement, très lentement.
Un bon matin très tôt. La porte blindée s’ouvre, des matons entrent pour fouiller ma cellule, je dois dire qu’ils étaient dégoûtés des odeurs très fortes, après m’avoir fouillé et ce qu’il y avait a fouiller ! Ils repartent sans rien dire ni trouver.
Le jour d’après, toujours le matin, le chargé du quartier entre dans ma cellule avec une chaise pour ouvrir cette fenêtre que je refusais d’ouvrir sur leurs ordres.
Après son départ, je me suis senti très bien et fier de ma dignité, moi qui n’ai pas cédé ni à l’intimidation ni à l’humiliation.
Concernant la dignité et l’espoir chez l’être humain, je ne finissais pas d’apprendre des leçons tous les jours.
À cette époque-là, il y avait un prisonnier dans la cour, un homme accroupi en train de cirer ses chaussures, un autre qui s’approchait de lui pour lui dire  » »je vois que tu te prépares pour sortir bientôt n’est ce pas ? » Et l’homme aux chaussures lui répond oui. L’autre repose une autre question « combien il t’en reste avant ta libération ? » Et lui, il répond : Je suis condamné à perpétuité ! «
Ceci-dit, il était fort dans le corps et l’esprit qu’un jour il finira par sortir mort au vivant, mais jamais sans sa dignité et la fierté d’un homme !!!
J’ai compris que cette vie n’est pas pour les âmes timorées qui ont peur de faire face à la réalité.
Hélas il était écrit que j’apprendrais de bonne heure que certaines choses coupent l’appétit, l’envie de manger s’envole en même temps que le sommeil !
Je suis désolé, mais jusqu’à maintenant vous avez remarqué que je ne peux vous parler que d’anecdotes bien tristes…
En voici d’autres qui peut-être allègent nos cœurs.
Souvent dans l’isolement total avec un silence interminable, coupé du monde, couché sur le dos je me parle à moi-même, je me dis : « Dis-moi, dis-moi que je suis vivant ? Oui, je réplique, oui, toujours vivant ! »
L’homme a-t-il une fin propre ?
Nous savons qu’il se nourrit d’illusions. Il faut qu’il s’y tienne. Sinon il chavire et il tombe, en raison de ses faiblesses de cœur et d’esprit.
En prison donc, ne jamais avoir confiance, être prudent , prendre le temps de bien connaître les matons, ouvre bien tes yeux, tes oreilles ! Sois intelligent et patient. Il faut vivre ton présent, chaque moment, chaque minute de ta vie est importante, et ne t’habitue pas à la routine, car ils peuvent te la briser à n’importe quel moment, alors tu te sentirais déboussolé ce jour-là entre ces quatre maudits murs de ta cellule !

Fragments de vie carcérale (2), par Ali Aarrass

dans Fragments de vie carcérale/LA PRISON AU MAROC/TORTURE par

Sous la torture, mes tortionnaires me disaient : « Arrête d’être têtu, car tu finiras par nous dire ce que nous voulons ! « 

Moi je suis resté sincère et je n’avais rien à leur dire, sauf ce que je crois juste et équitable pour ma personne. Donc être têtu m’a aidé à rester debout pour leur montrer que j’étais innocent et que ma dignité était au-dessus de tout !!!

Les jours, les mois passent dans ces conditions et j’ai remarqué que je me faisais respecter et estimer par certains matons et prisonniers pour mon opposition.
Aujourd’hui je n’ai aucun regret, ni d’avoir fait face et d’avoir défendu certains prisonniers…

Le temps a passé et je savais que j’étais condamné d’avance. Donc, il fallait me faire une place, car ainsi l’avait voulu ma destinée !
Nous devenons solidaires entre nous les prisonniers. Durant toutes ces années d’injustice, j’ai pu constater et découvrir le vrai sens de l’être humain.
La souffrance et les épreuves nous ont unis dans des moments difficiles. La solidarité nous a fortifiés ! J’aimerais dire ceci : Le prisonnier ne doit jamais sous-estimer l’être humain, dans un endroit fermé et coupé du monde, il aura besoin de quelqu’un un jour pour le soutenir et l’encourager et même le défendre pourquoi pas quand on est vulnérable!
Aujourd’hui, tout le monde s’est bien aperçu que le Maroc est une dictature, et que son système politique est une monarchie exécutive et cela est un obstacle pour le peuple et aussi pour le pays. Ceci explique que le gouvernement ne gouverne pas ! Donc le dictateur du Maroc depuis son palais n’a de compte à rendre à personne. Oui, le Maroc torture ses citoyens en terrorisant, réprimant et emprisonnant ceux qui ont l’audace de critiquer ces criminels !

Le bras de fer, la répression de tous les jours engendrent la dégradation et la peur d’être arrêté et torturé par des créatures sans état d’âme, qui sont là pour exécuter les ordres du dictateur terroriste qui est le roi, et cela même en dehors du Maroc.
Avec des mercenaires qui sont prêts à agir comme des hors-la-loi !!!
Comment peut-on accepter qu’une poignée d’individus, ou un seul, puisse imposer à des millions de citoyens de vivre dans la peur ?

À qui il faut en vouloir donc ? Nous savons tous que l’union fait la force et la différence entre le bien et le mal. N’en avons-nous pas marre de raser les murs, d’être de l’autre côté de la marge, combien de temps resterons-nous cachés dans cette indignation sans précédent?
L’histoire nous a enseigné que tous ceux qui ont commis des crimes ont fini par tomber. Grâce à des hommes et des femmes conscients et courageux, qui ont eu l’audace de les affronter pour leur dire que cela suffit !

En prison, on devait marquer notre présence, par la force des choses, ne serait-ce qu’un seul jour, pour notre dignité humaine.
On nous demandait de nous engager à respecter le « règlement pénitentiaire « alors qu’eux-mêmes ne le respectent pas ! Toutes nos dénonciations et nos doléances étaient détruites et bafouées.
Cela devenait insupportable et inadmissible. Nous étions forcés de manifester pacifiquement : tout le quartier renonçait à sortir à la cour et aux douches, et d’autres refusaient de sortir voir leur famille, afin que celles-ci dénoncent auprès du procureur du roi cette violation et la présumée disparition des prisonniers. Croyez-moi, cette solidarité entre nous a contraint le directeur à céder et à nous foutre la paix quelque temps…
Notre but n’était pas d’avoir un résultat rapide de notre combat, mais plutôt de participer et de mettre son grain de sable. Aussi de savoir sur qui compter, car il est facile des fois de contester ou protester contre les conditions de détention, mais le jour venu pour être là quand il le faut, les cœurs téméraires font surface : les jambes tremblent de peur d’être maltraité, torturé ou transféré dans une autre prison.
Les matons savent les reconnaître facilement, ils prennent le prisonnier, on lui pose sa sale main sur le cœur et ils disent : Voilà, celui-ci a peur, il a sûrement des choses à nous dire !!!
Il est difficile dans une prison d’arriver à un résultat efficace contre le régime carcéral.
Il nous fallait être patient et convaincu qu’avec peu d’éléments capables et bien organisés et surtout bien futés, on pouvait arriver à faire entendre notre voix dans le quartier et même à l’extérieur, sur toutes les violations de nos droits fondamentaux et sur les maltraitances.
Depuis le début, j’étais engagé dans ce combat sans m’en rendre compte, vous n’imaginez pas le bien que cela fait de participer et d’avoir acquis certains de nos droits fondamentaux, ne serait-ce que pour peu de temps. Certains prisonniers de droit commun utilisent leur méthode, la corruption du directeur et des matons. Mais il leur fallait être prêt à verser le montant exigé.
Dans mon quartier, ils savent très bien qu’ils n’avaient rien à en tirer, c’était la vulnérabilité, mais surtout la dignité qu’il ne fallait pas toucher ni nous priver d’elle!

Il m’arrive de voir de la fenêtre de ma cellule qui donne vers la cour des prisonniers qui marchent seuls, tête baissée, comme s’ils avaient tous les soucis du monde sur leur dos. Après m’être renseigné sur le pourquoi de ce comportement, j’ai compris.
Ils pensent à leur petite famille, qui va s’occuper d’eux et leur porter secours? Je me suis penché sur cette question et je me disais que j’avais de la chance et d’être privilégié d’avoir une famille et le soutien d’une solidarité d’hommes et de femmes, que je remercie du fond du cœur. Mais il ne fallait pas rester les bras croisés ; j’ai fait courir le message de partager d’abord moralement nos sentiments avec ces prisonniers et de les aider à l’extérieur le jour de visite de sa famille. Cela a demandé un peu de temps, mais on voyait les sourires revenir sur les visages.

J’aimerais souligner ceci: en prison, soit on est humain et l’entraide solidaire surgit pour les humiliés et les vulnérables. Soit on devient des créatures sans raisonnement ni conscience.

Lire Fragments de vie carcérale (1) cliquez ICI

Fragments de vie carcérale (1), par Ali Aarrass

dans EXTRADITION/Fragments de vie carcérale/LA PRISON AU MAROC/TORTURE par

Salam je suis prêt…
La première question après mon emprisonnement était : pourquoi moi ? Pourquoi pas quelqu’un d’autre ?
C’est la pièce du puzzle que je n’ai pas encore trouvée ! Même sur les tortures abjectes au centre secret de Temara, je n’ai pas trouvé la réponse à mon puzzle !

L’espoir ne m’a jamais quitté, je me disais que tôt au tard je saurais la vérité…
Malgré l’isolement en Espagne, et aussi malgré qu’à ce moment, je n’avais pas encore été condamné ni extradé au Maroc, l’espoir était là !
J’aimerais que le monde sache que le mot espoir était ma force inébranlable et cela malgré toutes les violations : mon arrestation arbitraire, mon extradition forcée, les tortures abjectes, puis condamné à être jeté en prison comme un criminel…

L’isolement, c’est le silence total, l’insalubrité, l’obscurité, l’humidité, la faim, la coupure du monde extérieur, la censure, la perte de la notion du temps, la négation et la privation de droits fondamentaux, le KO. Il me fallait être fortement convaincu et conscient de mon innocence et surtout je devais me fixer un objectif, je savais que j’étais une victime et que bientôt justice serait bien faite…

Je me rappelle qu’une nuit en dormant je mâchais quelque chose que je n’arrivais pas à avaler, c’était ma couverture… Preuve de la faim qui me tenaillait. Je m’étais enfermé sur moi-même pour leur montrer mon refus de toutes les injustices qu’ils m’ont infligées. Pour manifester cela, je renonçais à sortir, que ce soir dans la cour ou pour la douche, je devais leur démontrer depuis le début que j’étais innocent.

Le régime carcéral a toujours la possibilité de faire pression sur toi pour te faire changer d’avis. Ils n’aiment pas ceux qui renoncent à leurs droits et moins encore ceux qui entament une grève de la faim.

La nourriture était immangeable, j’étais forcé de la manger pour survivre, je devais rester debout pour me sortir de cette épreuve infernale !

Aussi, par la fenêtre on m’a conseillé de ne jamais montrer mon point faible au maton, ceci afin qu’il n’abuse pas de moi moralement.
Provocation et intimidation : coupure de l’eau dans ma cellule et changement de cellule plus insalubre encore que la précédente.
J’ai compris que la prison, soit elle te brise moralement et physiquement, soit elle te renforce ! Le régime carcéral se fera un plaisir de te rabaisser, de te déshumaniser et de te faire perdre ta dignité d’homme.

Bien sûr, lorsque tu n’as ni culture ni conviction ni personnalité à toi, alors tu deviens une proie facile.
On m’a toujours dit que j’étais têtu. Je n’avais pas compris !

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