Communiqué Cabinet d’avocats Jus Cogens : Un examen médical d’Ali AARRASS prouve qu’il a été torturé : que fait la Belgique pour son ressortissant ?
5 juin 2013 – COMMUNIQUE DE PRESSE
CABINET D’AVOCATS JUS COGENS – Me Christophe MARCHAND (GSM: 32.486.32.22.88 ; cm@juscogens.be) – Me Dounia ALAMAT (GSM: 32.470.57.59.25 ; da@juscogens.be) – Me Nicolas COHEN (GSM : 32.470.02.65.41 ; nc@juscogens.be)
(photos Maitres Alamat, Marchand et Cohen)
Affaire Ali AARRASS – Un examen médical d’Ali AARRASS prouve qu’il a été torturé : que fait la Belgique pour son ressortissant ?
Après avoir été férocement torturé dans les geôles du Royaume chérifien du Maroc, et depuis sa sortie de garde-à-vue, le 24 décembre 2010, Ali AARRASS dénonce les terribles sévices qui lui ont été infligées afin qu’il signe des aveux.
Il s’est adressé sans relâche aux autorités marocaines : Procureur du Roi, Juge d’instruction, Tribunal correctionnel et Cour d’appel de Rabat, afin qu’une enquête effective et indépendante soit menée sur ses allégations de torture.
Rien n’y a fait.
Le 1er octobre 2012, il a été condamné à douze ans d’emprisonnement par la Cour d’appel de Rabat, uniquement sur base de ses aveux, extorqués par la torture.
Le 20 septembre 2012, Ali AARRASS avait cependant reçu la visite du Rapporteur spécial contre la torture des Nations Unies, Monsieur MENDEZ, accompagné d’un médecin légiste spécialisé en matière d’évaluation des séquelles de la torture.
Ce 31 mai 2013, le courrier adressé par le Rapporteur spécial des Nations-Unies contre la torture au Gouvernement marocain, suite à cette visite à Ali AARRASS, a été rendu public.
Les traces physiques et psychologiques de la torture infligées à Ali AARRASS ont bien été constatées. Ainsi, le Rapporteur spécial contre la torture écrit :
« Le médecin légiste indépendant qui accompagnait le Rapporteur spécial a effectué un examen physique externe et trouvé des traces de torture sur le corps de M. Aarrass. Le médecin légiste a conclu que la plupart des traces observées, bien que non diagnostiquées comme signes de torture, sont clairement compatibles avec les allégations présentées par M. Aarrass, à savoir le genre de torture et de mauvais traitements infligés, tels que brûlures occasionnées par une cigarette, pratique du «falanja » (coups assenés sur la plante des deux pieds), attachement intense puis suspension par les poignets et électrochocs aux testicules. En outre, il a constaté que la description faite par M. Aarrass des symptômes ressentis après les épisodes d’actes de torture et de mauvais traitements est totalement compatible avec les allégations et que le genre de pratiques décrites et les méthodologies qui auraient été suivis par les agents pratiquant ces actes, coïncident avec les descriptions et les allégations présentées par d’autres témoignages que le Rapporteur spécial a reçus dans d’autres lieux de détention et qui ne sont pas connus de M. Aarrass. Il a conclu que certains de ces signes seront de moins en moins visibles avec le temps et, à terme, devraient disparaître comme ceux, par exemple, existants sur la plante des deux pieds. Il a également conclu que l’examen physique a uniquement été effectué sous lumière artificielle. »
Dans cette missive, le Rapporteur spécial contre la torture attire l’attention du Maroc sur les divers textes internationaux aux termes desquels il s’est engagé à interdire l’usage de la torture, à interdire que soient utilisées en justice des preuves recueillies sous la torture, à obliger les Procureurs et les Juges à enquêter impartialement sur les allégations de torture et à interdire tout acte d’intimidation et/ou de menace à l’égard des plaignants. Obligations internationales violées par le Maroc dans le cas d’Ali AARRASS.
Le Maroc n’est cependant pas le seul Etat à avoir violé les droits fondamentaux d’Ali ARRASS. L’Espagne a également sa large part de responsabilité dans les atrocités subies par Ali AARRASS. Cet Etat a en effet décidé, en pleine connaissance de cause, de l’envoyer à ses bourreaux alors que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies avait pris une mesure provisoire en sens contraire.
L’utilisation de la torture à l’égard des personnes suspectées de terrorisme, par le Maroc, est d’ailleurs un secret de polichinelle. Cette situation est dénoncée par l’ensemble des associations de défense des droits de l’homme – Amnesty International, Human Right Watch, Alkarama, pour n’en citer que quelques une.
Sur cette base, la Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs constaté, dans un arrêt Boutagni contre France, que l’éloignement vers le Maroc d’un individu pour des faits de terrorisme constituerait une violation de l’article 3 de la Convention (1). La Cour a réitéré cette constatation en condamnant la France dans un arrêt tout récent du 30 mai 20132 (2).
Et la Belgique, dans cette affaire ?
Depuis son incarcération en avril 2008 en Espagne, Ali AARRASS tente en vain d’obtenir la protection de la Belgique.
Dans un premier temps, au nom de la confiance mutuelle devant prévaloir entre Etats européens, la Belgique a refusé toute assistance à Ali AARRASS. Puis, sur insistance de ses conseils, le consul belge à Madrid a décidé de rendre visite à Ali AARRASS, mais trop tard. Ali AARRASS venait d’être extradé illégalement.
Depuis son extradition au Maros, c’est un autre prétexte qui est utilisé par le Ministère des affaires étrangères pour refuser d’intervenir et d’assurer la protection diplomatique à laquelle Ali AARRASS a droit. La Belgique se retranche en effet derrière une Convention datant de 1930 et argue de la « double » nationalité d’Ali AARRASS pour ne rien faire pour lui, même pas demander l’autorisation de lui rendre visite. Or, le Maroc n’est pas partie à cette Convention, de sorte que la Belgique n’est pas liée envers le Maroc par ce texte. De plus, l’interdiction de la torture est une norme droit international impérative, de sorte qu’elle prime sur tout autre texte.
Si la Belgique pouvait jusqu’il y a peu se voiler la face en alléguant de manière éhontée qu’Ali AARRASS n’avait pas rapporté la preuve de la torture encourue, tel n’est plus le cas aujourd’hui.
Dans ces circonstances, Ali, AARRASS, sa famille et ses proches espèrent que la Belgique prendra enfin ses responsabilités et assurera, pour l’avenir, toute la protection due à son ressortissant. Nous espérons également que le Maroc respectera enfin ses engagements internationaux, mènera une véritable enquête à propos des allégations de torture, punira les fonctionnaires responsables et rendra la liberté à Ali AARRASS afin que cesse son calvaire.
notes
1. CEDH, Boutagni c. France, 18 novembre 2010, requête no 42360/08, disponible sur http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{« fulltext »:[« Boutagni »], »itemid »:[« 001-101767 »]}
2. CEDH, Rafaa c. France, 30 mai 2013, requête n° 25393/10