« La descente aux enfers d’Ali Aarrass », Manu Scordia présente sa BD sur TéléMB (video)
Didier Reynders du MR répond à la lettre du Comité Free Ali Aarrass
Le Comité Free Ali Aarrass a interpellé des têtes de liste des partis pour les élections fédérales à Bruxelles concernant les 3 lois votées ces dernières années ciblant les citoyens binationaux.
Deux questions ont été posées aux candidats Didier Reynders (MR); Georges Dallemagne (CDH); François De Smet (Défi); Ahmed Laaouej (PS); Zakia Khattabi Abtoy (Ecolo); Maria Vindevoghel Merlier (PTB), Dyab Abou Jahjah (Be.One)
1) Quelle est la position de votre parti sur ces trois lois ;
2) Votre parti compte-t-il demander leur abrogation s’il participe au prochain gouvernement fédéral ? «Voici la réponse du MR
« Madame,J’ai pris connaissance de votre message relatif à plusieurs lois adoptées durant cette législature, dont la modification du Code Consulaire.Vous formulez la crainte que ces législations engendrent des interprétations extensives et un statut de sous-citoyenneté à l’égard de certains compatriotes, dont les binationaux. Je me permets de souligner que les mesures prévues dans la loi du 20 juillet 2015 et celle du 24 février 2017 sont le fruit de la recherche d’un équilibre entre plusieurs droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; elles ne font jamais l’objet d’un quelconque automatisme mais bien l’objet d’une évaluation au cas par cas. En ce qui concerne la modification du Code Consulaire et plus particulièrement l’assistance consulaire aux compatriotes binationaux, il ne faut pas perdre de vue que le champ d’application de l’assistance consulaire, que la Belgique veille à apporter à tous ses ressortissants, se situe hors des frontières de la Belgique, où s’exerce la souveraineté de différents Etats. Dans certains cas, lorsque nos compatriotes possèdent également la nationalité du pays dans lequel ils sollicitent l’assistance consulaire, cette assistance ne peut être accordée qu’avec le consentement de cet Etat. C’est une réalité à laquelle nos postes consulaires sont régulièrement confrontés et dont il faut tenir compte.Vous soulignez à juste titre que des recours ont été introduits devant la Cour Constitutionnelle à cet égard. Il appartiendra à la Cour de se prononcer sur le respect de la Constitution par le législateur belge.Veuillez agréer, Madame, l’assurance de ma considération distinguée ».Didier REYNDERS.Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères et européennes,et de la DéfenseRue des Petits Carmes 15B – 1000 BRUXELLEST: + 32 (0)2 501 85 91F: + 32 (0)2 511 63 85
Dyad Abou Jahjah du parti Be.one répond à la lettre du Comité Free Ali Aarrass
« Le Comité Free Ali Aarrass a interpellé des têtes de liste des partis pour les élections fédérales à Bruxelles concernant les 3 lois votées ces dernières années ciblant les citoyens binationaux.
Deux questions ont été posées aux candidats Didier Reynders (MR); Georges Dallemagne (CDH); François De Smet (Défi); Ahmed Laaouej (PS); Zakia Khattabi Abtoy (Ecolo); Maria Vindevoghel Merlier (PTB), Dyab Abou Jahjah (Be.One)
1) Quelle est la position de votre parti sur ces trois lois ;
2) Votre parti compte-t-il demander leur abrogation s’il participe au prochain gouvernement fédéral ? «
Voici la réponse du parti Be.one.
Cher Comité Free Ali Aarrass,
En qualité de tête de liste du parti Be.One, présentant 8 candidat-e-s au scrutin régional du 26 mai 2019, je tiens à vous remercier pour vos questions ainsi que pour votre admirable vigilance citoyenne.
Les dispositions législatives du 20 juillet 2015, du 24 février 2017 et du 9 mai 2018qui portent sur la déchéance de la nationalité, la suppression de l’assistance consulaire aux binationaux et sur l’expulsion/déportation visant les étrangers nous ont profondément choqué-e-s. Il s’agit, en effet, d’une triple régression sécuritaire et raciste directement inspirée des formations d’extrême-droite.
A notre effroi de voir successivement se confirmer dans la loi une inacceptable inégalité comme des catégories de sous-citoyens belges et étrangers, nous avons dû constaté qu’aucune de ces dérives légales n’a été fermement combattue par les partis dits « progressistes » et « attachés aux droits humains ». Cette sordide capitulation parlementaire a d’ailleurs constitué l’une des principales motivations à la création de notre jeune parti Be.One (2018).
A vos deux questions cruciales, voici nos réponses claires et concises :
1) Be.One dénonce radicalement ces trois lois, pendant l’actuelle campagne électorale comme après les élections, et a fait sienne votre propre conclusion : « il est impensable que de telles lois discriminatoires et racistes puissent perdurer. »
2) Oui, Be.One demandera et luttera résolument pour l’abrogation pure et simple de ces dispositions légales iniques et racistes.
Je vous prie de croire, cher Comité Free Ali Aarrass, en l’assurance de ma considération distinguée.
Avec vous, ces trois lois racistes seront-elles abrogées ?
(Photo : Belga, Le soir)
« Le Comité Free Ali Aarrass a interpellé des têtes de liste des partis pour les élections fédérales à Bruxelles concernant les 3 lois votées ces dernières années ciblant les citoyens binationaux.
Deux questions ont été posées aux candidats Didier Reynders (MR); Georges Dallemagne (CDH); François De Smet (Défi); Ahmed Laaouej (PS); Zakia Khattabi Abtoy (Ecolo); Maria Vindevoghel Merlier (PTB), Dyab Abou Jahjah (Be.One)
1) Quelle est la position de votre parti sur ces trois lois ;
2) Votre parti compte-t-il demander leur abrogation s’il participe au prochain gouvernement fédéral ?
Dans l’attente de leur réponse, n’hésitez pas à diffuser largement l’interpellation du Comité« .
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Madame, Monsieur,
A l’occasion des élections du 26 mai prochain, les citoyens belges seront invités à voter afin de renouveler les assemblées parlementaires à différents niveaux de pouvoir : régional, fédéral et européen.
C’est en votre qualité de tête de liste pour le parlement fédéral que nous vous adressons aujourd’hui ce courrier afin d’attirer votre attention sur trois lois adoptées au cours de la dernière législature.
La loi du 20 juillet 2015 visant à renforcer la lutte contre le terrorisme prévoit que « la déchéance de la nationalité belge peut être prononcée par le juge sur réquisition du ministère public à l’égard de Belges qui ne tiennent pas leur nationalité d’un auteur ou adoptant belge au jour de leur naissance et des Belges qui ne se sont pas vu attribuer leur nationalité en vertu de l’article 11, § 1er, alinéa 1er, 1° et 2°, s’ils ont été condamnés, comme auteur, coauteur ou complice, à une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans sans sursis pour une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal. »
La loi du 24 février 2017 (dite « loi de déportation ») modifiant la loi sur les étrangers stipule en son article 21 que « le ministre ou son délégué peut mettre fin au séjour d’un ressortissant de pays tiers admis ou autorisé au séjour pour une durée limitée ou illimitée et lui donner l’ordre de quitter le territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale […] ».
La loi du 09 mai 2018 modifiant le Code consulaire qui prévoit désormais en son article 79 que « ne peuvent prétendre à l’assistance consulaire les Belges qui possèdent aussi la nationalité de l’Etat dans lequel l’assistance consulaire est demandée, lorsque le consentement des autorités locales est requis. »
Alors que ces dispositions législatives ont toutes trois été adoptées sans réelle opposition parlementaire, il nous semble essentiel de les inscrire au cœur des futurs enjeux électoraux, en ce qu’elles forgent dans le droit un statut de sous-citoyenneté et légalisent des traitements d’exception à l’égard des citoyens binationaux, ce qui est contraire à notre Constitution qui consacre le principe de l’égalité de tous les citoyens. Ces lois sont symptomatiques du processus d’extrême-droitisation incessant du champ politique. Des thématiques qui, il y a vingt ans encore, étaient portées par des partis classés à l’extrême-droite de l’échiquier politique semblent aujourd’hui faire consensus, ou du moins ne pas susciter de débat, jusqu’à l’extrême-gauche.
La déchéance de nationalité réintroduit dans le droit pénal la double peine. Pour un même crime, la peine prononcée variera en effet selon que le coupable soit uni- ou binational. Dans le premier cas, il sera uniquement condamné à purger une peine de prison alors que dans le second cas, il purgera sa peine et sera également déchu de sa nationalité belge par la suite. Sachant par ailleurs que la formulation des infractions terroristes est relativement large en droit belge, il n’est pas exclu qu’elle fasse l’objet d’une interprétation extensive englobant ainsi, outre les actes à portée proprement terroriste, d’autres crimes et délits considérés comme graves et dont les auteurs sont condamnés à une peine de prison supérieure à 5 ans.
La loi « de déportation » permet, quant à elle, que tout étranger même né en Belgique ou arrivé en Belgique avant l’âge de 12 ans, un parent d’un enfant belge ou l’époux(se) d’un(e) Belge peut être expulsé(e) à l’initiative de l’Office des étrangers sur base de la seule suspicion de menaces contre l’ordre public. Concrètement cela signifie qu’un étranger établi en Belgique peut être expulsé s’il participe à un piquet de grève, à une action militante ou à une manifestation. Cela signifie aussi qu’une personne ayant été déchue de sa nationalité, pourra être expulsée vers son second pays même si elle n’y a jamais vécu, ce qui ouvre la voie non pas à la double mais à la triple peine.
Enfin, la modification du Code consulaire est clairement discriminatoire puisqu’elle introduit une restriction au droit à l’assistance consulaire qui n’est pas justifiable et qui est contraire à l’égalité des Belges devant la loi. En droit international, l’Etat belge a en effet le devoir d’intervenir pour défendre tous ses nationaux, sauf si l’Etat tiers démontre qu’ils n’ont pas de liens prépondérants avec la Belgique. En outre, certains Etats dont le Maroc ne prévoient aucune possibilité de renoncer à leur nationalité. Dans des cas de figure comme celui des belgo-marocains, la nationalité ne procède donc pas d’une volonté du binational. Pour finir, cette exception au droit à l’assistance consulaire permet au Ministre des Affaires étrangères de choisir, de manière tout à fait discrétionnaire et arbitraire, pour qui il intervient ou non. Il a ainsi refusé d’intervenir en faveur du belgo-marocain Ali Aarrass, extradé illégalement vers le Maroc et torturé, mais il a par contre décidé d’intervenir, tant au niveau diplomatique que consulaire, en faveur de la belgo-nicaraguayenne Amaya Coppens.
La dimension purement arbitraire dans l’application de cette loi n’est pas sans lien avec le fait que les trois dispositions législatives dont il est fait mention plus haut ont été adoptées dans le contexte sensible des attentats ayant frappé Paris et Bruxelles, qui a favorisé et accéléré le processus de criminalisation et de stigmatisation des communautés musulmanes. Dans ce contexte, il n’est pas abusif de dire que ces trois lois, en confirmant la sous-citoyenneté des binationaux en l’occurrence issus de pays majoritairement musulmans comme le Maroc, contribuent à institutionnaliser une forme de ségrégation raciale à dimension islamophobe. Vous n’êtes d’ailleurs pas sans savoir que des recours auprès de la Cour constitutionnelle ont été introduits pour l’annulation de la loi « de déportation » ainsi que de la modification du Code consulaire. Dans ce dernier cas, le recours est porté entre autres par la Ligue des Droits humains ainsi que par le Syndicat des avocats pour la démocratie.
Dans une société qui se veut apaisée, égalitaire et démocratique, il est impensable que de telles lois discriminatoires et racistes puissent perdurer. La question des attentats et la sécurité des citoyens ne peuvent être réglées en décidant de confiner dans un sous-statut une part importante de la population belge, ouvrant ainsi la voie à des traitements d’exception qui rendent en théorie et en pratique inopérants tous les efforts entrepris en termes de cohésion sociale, de « vivre-ensemble » et de lutte contre le racisme. Devant cette contradiction évidente qu’il y a lieu de dénouer, une seule option s’impose : celle de l’abrogation pure et simple de ces trois dispositions légales iniques et racistes.
Eu égard à ce qui vient d’être présenté, nous vous interpellons en votre qualité de tête de liste pour le parlement fédéral afin que vous répondiez de manière claire aux deux questions suivantes :
1) quelle est la position de votre parti sur ces trois lois ;
2) votre parti compte-t-il demander leur abrogation s’il participe au prochain gouvernement fédéral ?
La réponse à ces questions permettra d’éclairer dans leur choix électoral de ce 26 mai nombre d’électeurs soucieux des droits démocratiques et de l’égalité de droit de tous les citoyens belges. Nous sommes en effet nombreux à considérer la question des binationaux comme étant structurante de la manière dont la Belgique institue la ségrégation des populations musulmanes à travers des pratiques d’exception qui les touchent de manière ciblée, alimentant ainsi l’islamophobie au plus sommet de l’Etat.
Nous vous remercions d’avance de votre réponse et vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées.
Le Comité Free Ali Aarrass
8 mai : Présentation de la nouvelle édition de la bande dessinée « Ali Aarrass » de Manu Scordia
Voilà onze ans qu’Ali Aarrass, citoyen belge, est incarcéré au Maroc sur base d’aveux obtenus sous la torture, dans l’indifférence de la Belgique alors que son innocence est établie. Une immense violation des droits humains et des libertés fondamentales.
Retour sur l’affaire avec:
– FARIDA AARRASS, sœur d’Ali Aarrass
– MANU SCORDIA, auteur de la bande dessinée « Ali Aarrass »
– ALEXIS DESWAEF, président d’honneur de la Ligue des Droits Humain et auteur de la préface de la bande dessinée
– NICOLAS COHEN, avocat d’Ali Aarrass
– KHADIJA SENHADJI, porte-parole du collectif « Rosa Parks »
Le mercredi 8 mai à 19h à l’Espace Citoyen (8 rue de la Grande Ile, 1000 Bruxelles)
Quand ? Mercredi 8 mai 2019 de 19:00 à 22:00
Où ? L’Espace Citoyen, 8 rue de la Grande Ile 1000 Bruxelles
Lors de la soirée de présentation, nous organiserons un ftour (rupture du jeûne) pour toute personne le désirant, pour la modique somme de 5€.
Et
Le dimanche 19 mai, nous organisons également un ftour (rupture du jeûne) un peu plus copieux, toujours pour la campagne Free Ali Aarrass, dans les locaux des JOC (rue d’Anderlecht, 4 à 1000 Bruxelles – Sortie de métro Annessens) à partir de 19h30. Le montant sera un peu plus élevé que le précédent car il est question de pouvoir soutenir la cause.
Bien entendu ici aussi toute personne le désirant sera la bienvenue, mais il faudra s’y enregistrer en avance via cette adresse émail : fa789456@hotmail.com.
Si pour ces deux occasions, l’une ou l’autre personne souhaite aider par la réalisation d’une petite préparation culinaire, veuillez svp laisser un MP à Farida Aarrass. Toute forme d’aide est la bienvenue.
D’avance merci pour votre chaleureux soutien.
Les deux épisodes radiophoniques du Choeur d’Ali Aarrass sont sur CD !
Ils sont arrivés !
Les deux épisodes radiophoniques du Choeur d’Ali Aarrass sont sur CD !
Ils seront en vente à chaque représentation, du 23 au 27 Avril, au Théâtre National.
On vous racontera en off, tous les fils tissés d’un bout à l’autre de la planète, la toile de nos résistances, de nos espérances surtout…
Soutenez nous !
Pour réserver vos places : Le Choeur d’Ali Aarrass au Théatre national 23 > 27.04.2019
Le Choeur d’Ali Aarrass : programme des bords de scène !
Le Chœur d’Ali Aarrass, écrit et mis en scène par Julie Jaroszewski, se produira au Théâtre National du 23 au 27 avril 2019
Citoyen belgo-marocain, Ali Aarrass a été soupçonné de terrorisme et arrêté en Espagne en 2008. Jugé et ayant bénéficié d’un non-lieu, il est ensuite illégalement extradé vers le Maroc, où il n’a pourtant jamais vécu. Il y est emprisonné depuis 2010 à la suite d’aveux obtenus sous la torture. Amnesty International ainsi que de nombreux artistes belges ont appelé plusieurs fois le Ministère des Affaires étrangères à intervenir. En vain.
Soudées autour de Farida Aarrass, la sœur d’Ali, militantes, comédiennes, chanteuses professionnelles et amatrices se mobilisent et puisent leur force dans cette sororité. La musique et le théâtre redonnent de la puissance à leur action afin d’échapper à la tragédie. Une tragédie au continuum colonial depuis 1492, que Julie Jaroszewski traduit en 5 actes afin d’exposer le récit complexe d’Ali Aarrass et le remettre en jeu. A travers cette histoire c’est bien l’histoire de tous les binationaux qui est au centre du propos.
Chaque soir, l’équipe artistique invite à prolonger le spectacle par le biais de rencontres avec un·e invité·e autour de l’un des aspects thématiques de la création :
- 23/04 : Nadia Fadil (Anthropologue, IMMRC – KULeuven), « L’islamophobie ou les paradoxes de l’intégration »
L’Islam serait-il devenu le principal référentiel autour duquel s’organise la rhétorique civilisationnelle et sécuritaire ? A la fois sommés de s’intégrer et constamment renvoyés à une identité communautaire fantasmée, les citoyen.ne.s de confession ou d’apparence musulmane sont en permanence appréhendés comme des sujets suspects et menaçants. Comment s’affranchir de ce paradoxe ?
- 24/04 : Alexis Deswaef (Avocat au barreau de Bruxelles et Président d’honneur de la Ligue des Droits humains), «Binational et demi-citoyen »
L’Etat peut-il échapper à ses obligations ? En inscrivant en 2018 le principe de non-protection consulaire des binationaux dans la loi, telle est la manœuvre opérée par l’Etat belge afin de se soustraire au devoir d’assistance consulaire à l’égard d’Ali Aarrass. Quel espoir offre la Cour constitutionnelle de casser cette législation raciste ?
- 25/04 : Saïd Bouamama (Sociologue et militant), « Aux racines coloniales de l’anti-terrorisme »
Développées par les puissances coloniales pour maintenir leur domination, les méthodes de contrôle et de renseignement ont servi à la domestication des corps et des espaces. Comment les dispositifs sécuritaires contemporains s’inscrivent-ils dans cette continuité ? Selon quelles modalités la lutte contre le terrorisme cristallise de nouvelles politiques d’exclusion et de ségrégation ?
- 26/04 : Olivier Neveux (Professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Ecole normale supérieure de Lyon), « Se rendre justice par le théâtre »
Et si le théâtre n’était pas seulement là pour constater, dénoncer, alerter, conscientiser, interpréter ? S’il se donnait à lui-même d’autres perspectives ? Des perspectives politiques au sens où il faut bien, sous peine que cela n’en finisse jamais, partout et avec les armes propres de cet art, se soucier de produire quelques autres effets que la pédagogie et l’indignation.
- 27/04 : Selma Benkhelifa (Avocate – Progress Lawyers Network), « Du racisme juridique au racisme d’Etat »
Indissociable du contexte idéologique qui la produit, la Loi est, comme tout dispositif institutionnel, porteuse d’un message politique. Face à l’extrême-droitisation incessante du champ politique en Belgique et en Europe, comment sert-elle d’instrument à l’Etat et ses différentes instances pour organiser et justifier la domination raciale ?
Interview exclusif de Farida Aarrass, coryphée du Chœur d’Ali Aarrass : « Le Choeur d’Ali Aarrass est une invitation à la rencontre de l’autre, comme Ali l’a souhaité »
Je reviens de la manifestation devant le consulat de Grande-Bretagne à Bruxelles contre l’extradition de Julian Assange aux États-Unis. En pensant à toutes ces manifestations contre l’extradition d’Ali Aarrass au Maroc que nous avons organisées en 2010. En espérant que la question des extraditions deviendra enfin un point d’intérêt et de mobilisation du mouvement démocrate. Le Chœur d’Ali Aarrass au Théâtre national serait-il le signe d’un éveil ? Je pense à toutes ces conférences contre l’extradition d’Ali Aarrass, avec Farida Aarrass pour le Comité Free Ali, avec le papa de Hicham Bouhali Zrouil, Belgo-marocain extradé par la Syrie vers le Maroc en 2011, avec la femme de Nizar Trabelsi, Tunisien extradé illégalement par la Belgique vers les États-Unis en 2013. La personne qui cristallisait cette modeste opposition aux extraditions illégales s’appelle Farida Aarrass. Je rencontre Farida, celle que Julie Jaroszewski appelle le coryphée du Chœur d’Ali Aarrass, la cheffe de chœur dans la Grèce antique, pour une Interview juste avant une énième répétition. Dans un établissement pas loin du Théâtre National où se présentera le Chœur les 23, 24, 25, 26 et 27 avril prochains.
Luk Vervaet (LV) : Farida, je te connais depuis dix ans à la tête de la campagne pour la libération de ton frère Ali. On a fait d’innombrables manifestations, interpellations, soirées, pétitions ensemble. Maintenant te voici sur la scène du Théâtre National. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ? Le prolongement d’une lutte ? L’aboutissement d’une campagne ?
Farida Aarrass (FA) : Pour moi il s’agit là d’une victoire supplémentaire dans la lutte pour la libération d’Ali Aarrass. Qui aurait dit qu’un jour un groupe de femmes « Le choeur d’Ali Aarrass » allait porter le message d’Ali au sein du Théâtre National. Je pense que toute lutte connaît une succession d’événements qui évoluent dans un sens parfois inattendu. Dans ce sens, le Chœur est une suite logique dans la lutte. Mais ce qui est encore plus surprenant, et très beau d’ailleurs, ce sont les différentes rencontres avec des personnes tout au long de cette lutte pour Ali. Elles produisent et contribuent à ces changements. Il y a, par exemple, tout au début la rencontre avec Nadia, Nadine, Nordine et toi Luk en 2009, vous avez été les premières personnes à me faire confiance, à m’avoir aidé à construire et porter cette campagne. Cela, je ne l’oublierai jamais. Et puis il y a tous ces accompagnements fidèles de ta part pendant toutes ces années. Je tiens à ce que tu notes cela. J’y tiens énormément. Je ne néglige pas le fait qu’Ali n’est pas le seul à supporter des injustices. Toi aussi tu as payé ton tribut en défendant des personnes devenues pour beaucoup “indéfendables”. Autour de mon frère discriminé au plus haut point, des personnes auraient pu également subir des conséquences. Certains ont préféré s’en aller, d’autres continuent fidèlement malgré et contre tout.
LV : À propos de ces dix ans de lutte pour Ali, certains disent : mais à quoi a servi tout cet engagement, Ali est quand même toujours en prison ?
FA : C’est une question qui revient souvent. Je ne la critique pas, il faut la poser. Mais je pense qu’on ne comprend pas bien le sens d’une lutte. Nous avons obtenu plusieurs victoires tout au long de celle-ci. La première est qu’en ayant soutenu Ali tel que nous l’avons fait, nous sommes parvenus à le préserver de tous les maux que le sentiment d’abandon peut causer. La deuxième est qu’on a réussi à sauvegarder sa dignité, à lui rendre sa vraie identité, et non pas celle qu’ils avaient fait de lui. Quand on dit que vous êtes un terroriste, on prétend que vous êtes une personne capable du pire. Il y a eu bien sur tout le combat juridique, mais aussi celui mené au sein de l’opinion publique pour qu’on sache qui est vraiment Ali Aarrass. Ensuite, pendant ces dix années de lutte nous avons pu dévoiler le vrai caractère d’un système défaillant, qui considère une partie de la population, les binationaux, comme une sous-catégorie de citoyens. Un système qui n’obéit pas aux nombreux rapports des comités de l’ONU qui dénoncent l’extradition, la torture, la détention arbitraire d’Ali. Cette longue lutte a aussi inspiré pas mal de personnes, de binationaux, de jeunes qui m’arrêtent dans la rue pour me dire qu’on est devenu un exemple pour eux. Et même si une lutte ne rapporte pas un résultat escompté, il est important de la mener, de la tenir, de la perdurer jusqu’aujourd’hui.
LV : Dans le passé, tu chantais déjà, en espagnol, en français et en arabe. Aujourd’hui, te voilà sur scène au Théâtre national ! Cette fibre artistique a toujours vibré en toi ?
FA : Chanter a toujours fait partie intégrante de ma vie. Je pense que je le dois grandement à l’éducation des nonnes catholiques de Melilla, qui m’ont bercée dans le chant, le théâtre, les danses flamenco, mexicaines,… Ça m’a fait tellement de bien en tant qu’enfant, que je n’ai jamais voulu m’en défaire. Dans le passé, j’ai chanté dans des chœurs de femmes, en arabe. Langue que j’ai un peu apprise avec mon mari qui est syrien. Il y a eu des chants pour la Palestine et pour d’autres causes.
LV : Je suppose qu’il y a aussi des personnes qui n’aiment pas qu’une femme musulmane endosse ce rôle d’artiste et se mette en scène…
FA : Déjà en Islam il y a différentes écoles et interprétations des textes et des écrits à ce sujet. Selon où qu’on se place, ça pourrait effectivement être mal interprété ou perçu par certaines personnes. Mais jusqu’à présent je n’ai reçu que des félicitations. Je n’ai pas entendu de critiques. Peut être que ça viendra, mais je ne m’inquiète pas. Pour arriver à ce stade-ci, il m’a fallu avoir de l’audace et faire confiance à mes valeurs et principes. Je crois à ce que je fais et je sais pourquoi je le fais. Il s’agit de défendre une cause et de faire passer un message important. Pour moi, la femme musulmane a trop souvent, volontairement ou pas, par déception ou par choix, quitté la sphère publique pour ne se retrouver que dans le noyau familial. Comme beaucoup de femmes non musulmanes d’ailleurs. Nous pouvons entendre des personnes se plaindre du racisme sans pour autant essayer d’aller vers l’autre. Il faut commencer par le début. Se rencontrer, se connaître, apprendre les uns des autres, se respecter, s’accepter. Je me dis qu’on aura beau travailler à la déconstruction des clichés, de la stigmatisation et stéréotypes, sans la volonté sincère d’apprendre les uns des autres, nous risquons de patauger longtemps dans l’immobilisme. Il faut sortir, se rencontrer, se mélanger, … Que chacun contribue, par l’apport de ses propres richesses culturelles, à l’embellissement de notre société. Mettre de côté nos malaises, notre méfiance et nos complexes respectifs. Occupons nos places, agissons. La représentation du chœur d’Ali est un appel à une libération des esprits. Un moyen de construire des ponts à la place des murs que nous voyons s’édifier autour de nous.
LV : C’est ce message que tu souhaites faire passer à travers le Chœur d’Ali ?
FA : Je repense aux propos d’Ali après les attentats de Bruxelles en 2016, adressés aux Belges, sans distinction aucune. Où il disait qu’il était triste de ne pas pouvoir leur dire de vive voix toute sa tendresse. Déposer une bougie, une fleur sur les lieux des attentats. Il nous disait que l’après attentat serait encore plus difficile que le pendant. Que toutes les maladies dont souffrait la société deviendraient encore plus évidentes. Qu’il ne fallait surtout pas que la haine nous envahisse. Qu’il fallait aller à la rencontre de l’autre. Que la rencontre de l’autre et l’unité devaient être notre réponse, notre solution. J’entends ces propos comme les miens. Ali me surprend depuis le début de cet horrible cauchemar. Sa force de caractère, son courage et sa résilience ont forcé mon admiration. Après 11 années de détention arbitraire et tous les mauvais traitements subis, il nous rappelle avec des mots simples à la sagesse et au bon sens. J’ignore d’où il puise cette belle énergie positive. Malgré la terrible injustice qu’il vit, il s’est toujours intéressé à ce qui se passe loin de lui et nous met tous en garde contre les pièges. Avant qu’il soit en prison, Ali était déjà très bienveillant et c’est comme si cette dure épreuve l’avait encore renforcé. Il restera comme ça. Anne marie Loop lira ce message d’Ali pendant la pièce. C’est pour moi le message central. Le Chœur d’Ali Aarrass voyage dans le temps. Nous traversons cinq siècles. On parle de la colonisation, du partage de l’Afrique… Nous sommes bien conscients que la génération actuelle n’est pas le colonisateur d’antan, mais cette histoire doit nous aider à nous repositionner, à nous demander ce que nous sommes devenus. À nous poser la question : voulons-nous un monde meilleur en y apportant les changements nécessaires ou allons-nous continuer dans le même sens ? Chacun et chacune doit endosser sa part de responsabilités. La paix, ne pas céder à la haine, n’est pas qu’une question de volonté, il s’agit d’un devoir qui représente un boulot monstre, mais réalisable si nous nous y mettons ensemble.
LV : dans une critique parue sur le site de La Ligue pour les droits humains, on dit que tu es la personne autour de laquelle les femmes du Chœur se sont soudées…
FA : Julie fait un travail phénoménal. Je trouve son talent de metteuse en scène exceptionnel. Mais ce que j’aime le plus chez elle, c’est son respect pour les autres. Son intelligence émotionnelle, son empathie. Elle expose ce qu’elle a écrit, elle me demande mon avis, nous en discutons. Elle a réussi un réel exploit. A mettre sur scène une vingtaine de femmes d’origines, de confessions, de philosophies, de générations différentes. Des femmes qui s’appliquent à cette représentation dans une magnifique sororité, pour défendre la cause d’un homme qui refuse de se laisser bâillonner. Un homme innocent qui a réussi malgré son calvaire, à rassembler au-delà des mers et des frontières. Nous sommes devenues tel une famille. Nous suivons les conseils d’Ali. Nous apprenons à nous connaître et à respecter nos différences. A écouter nos sensibilités. J’espère que toute cette sensibilité sera transmise au public et que le message d’Ali aboutisse concrètement. Ces femmes, nous toutes, sommes soudées autour d’Ali. C’est à lui que nous devons d’être là aujourd’hui et de partager ces merveilleux moments. C’est Julie qui a eu l’idée de me nommer le coryphée de la pièce. Je l’accepte en toute modestie. Je fais partie de ce chœur au même titre que chacune. Je ne suis pas plus importante. Nous en avons discuté entre nous et je souhaite être perçue en tant que résistante comme elles. Il se fait que je suis la sœur d’Ali et que je chante les passages choisis par Julie, mais je ne veux pas avoir le statut de la pauvre femme qui se bat pour son frère. Je suis une personne avec une certaine force, grâce au soutien apporté par d’autres personnes, parce que seul on n’y arrive pas, c’est important de le souligner. C’est l’ensemble qui compte, que ce soit au sein du Comité Free Ali ou au sein du Chœur, sans ça on n’est rien. Ce sont les autres qui te nourrissent avec de nouvelles énergies, pour persévérer dans un combat qui est extrêmement difficile et épuisant. Et à son tour, c’est la persévérance qui force le respect et qui apporte ses fruits à un certain moment. Je ne suis pas une pauvre victime. Je réclame le statut de victime uniquement vis-à-vis des juridictions, pour obtenir mes droits et ce qui nous est dû. Mais par rapport à la société dans son ensemble, non. Je résiste.
LV : Tu ne témoignes pas seulement pour Ali, mais aussi sur le vécu des familles de détenus.
FA : Les familles des détenus subissent les dommages collatéraux. Ceux qui vivent l’enfermement d’un proche, voient se produire un véritable cataclysme dans leur vie. Pour les parents, pour sa femme, c’est horrible. Mon père était déjà malade avant l’incarcération d’Ali. Ma maman est très atteinte psychologiquement par tout cela. Avant son incarcération, Ali lui téléphonait tous les jours. Tout cela a pris fin. Moi j’ai été contrainte d’abandonner des responsabilités familiales. Me focaliser sur le danger qui guettait mon frère. Pour moi, il était hors de question de l’abandonner. Malgré mon sentiment d’impuissance face au mépris qui nous était constamment témoigné, je ne me suis jamais donné le droit d’arrêter. C’est très dur, très éprouvant, extrêmement fatiguant et long. Mais mon frère est innocent. Je connais mon frère mieux que personne. J’ai toujours eu droit à toutes ses confidences. C’est un homme droit, juste et aimant. Le voir ainsi traité a été pénible. Depuis le début de sa mise en détention, j’ai senti un poids extrêmement lourd sur les épaules. Un sentiment d’impuissance devenu un supplice qui par moments a failli avoir raison de moi. Mais devant une telle injustice il fallait parler, dénoncer, ne surtout pas se taire. Se taire, c’est frustrant et culpabilisant. Puis Ali n’en voulait pas du silence. Il a toujours souhaité qu’on dénonce. Pour lui mais aussi pour les autres. Il s’agit de se rendre justice. Oui, il est possible que se taire puisse amener à une grâce royale, mais c’est sans garantie aucune, parce qu’on est dans l’arbitraire. Nous avons souvent été dans l’incertitude la plus totale. Bien sûr, si tu décides d’en parler le détenu peut en subir les conséquences, et en même temps ça peut le protéger. Mais il est surtout question de valeurs. Quand nous avons des principes, notre sens de l’honneur compte. Il nous est impossible de troquer le silence contre la sécurité. Nous avons décidé de ne pas plier et ça porte son lot de consolation et de fierté. C’est important, on en ressort grandis. Avoir le sentiment d’avoir assumé notre responsabilité morale vis-à-vis du monde entier. Taire de telles violences équivaut pour nous à en devenir complices.
LV : Est-ce qu’Ali sait que le Chœur se présente au Théâtre National ?
FA : Oui, il le sait, mais je ne sais pas s’il réalise ce que veut dire tout ça, parce qu’il est coupé du monde extérieur, il n’a pas d’images. Il ne reçoit pas son courrier et mes contacts avec lui sont limités à cinq minutes au téléphone chaque semaine, menotté. Mais c’est continuellement qu’il remercie tout le monde. Qu’il est de tout cœur avec le Chœur. Julie, pour lui, c’est la colombe blanche. Je sens que cela lui fait quelque chose, de ne pas être oublié. Il sait qu’il est devenu un personnage public. C’est aussi une victoire.
Merci Farida !
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Pour réserver vos places : Le Choeur d’Ali Aarrass au Théatre national 23 > 27.04.2019
Interview de Julie Jaroszewski, autrice et metteuse en scène du Chœur d’Ali Aarrass : « Un pacte me lie à Ali Aarrass. C’est ça qui me tient… »
Un interview par Luk Vervaet
Dans les stations de métro de Bruxelles, un poster magnifique du Théâtre national invite à la représentation du Chœur d’Ali Aarrass les 23,24,25, 26 et 27 avril prochains. Comme Fatima Isma (photo dans la station Rogier), j’en prends une photo. Pour moi, comme pour mes camarades qui ont commencé la campagne Free Ali Aarrass il y a dix ans, c’est un moment historique. Qui aurait pu s’imaginer Ali Aarrass dans les métros de la capitale ? Il y a quelques années, j’avais vu la pièce « Waiting » sur les familles de détenus à Guantanamo de Victoria Brittain. J’ai tourné avec la pièce de Jean-Marc Mahy Un Homme debout. Il y a les films extraordinaires sur les prisonniers républicains en Irlande du nord. J’ai toujours rêvé qu’un artiste fasse une pièce de théâtre sur l’affaire Ali Aarrass. Et voici Ali Aarrass au Théâtre national.
Julie Jaroszewski (° 1982) est la force motrice du Chœur d’Ali Aarrass. Elle est, avec Farida Aarrass, l’auteur des textes et la metteuse en scène. J’ai rencontré Julie pour la première fois il y a quelques années lors d’une conférence de presse sur une grève de la faim d’Ali. Je l’avais organisée dans le local du Parti Egalité, avec la participation de Dounia Alamat et de Farida Aarrass. Il y avait la RTBF et il y avait Julie Jaroszewski pour ZinTV. Depuis, elle a participé à toutes les actions pour Ali, pour ensuite se lancer dans ce projet hors du commun qui s’appelle le Chœur d’Ali Aarrass. Après un passage en version courte au Festival de Libertés et au Festival XS, le Chœur sera sur scène pour la première fois en version longue (90 minutes) au Théâtre national. Rencontre et interview dans un café bruxellois.
Luk Vervaet (LV) : Julie, quand j’entends ton nom, je lis une histoire polonaise ?
Julie Jaraszewski (JJ) : Oui, c’est exact. Mais c’est une histoire effacée. J’ai un nom polonais. Les racines juives ou tziganes qu’on pourrait avoir ont été cachées. Pour nous préserver. On n’en parlait pas. Et ainsi, la deuxième guerre mondiale est passée pour ma famille, comme pour n’importe quelle autre famille. L’immigration de mes grands-parents date des années 1920. Mais elle est restée ancrée en moi, j’y suis attachée, avec un sentiment de refus de me désintégrer. J’ai des grandes zones d’ombre. Je cherche à exhumer cette histoire. Récemment j’ai découvert le nom du village dont ils sont venus, qui n’était pas en Pologne mais en Tchécoslovaquie. Une terre devenue polonaise en 1938. J’ai découvert que c’est l’industriel Schneider, chez qui mon grand-père travaillait dans une usine à la frontière entre la Belgique et la France, qui a dessiné ces nouvelles frontières. Que mon arrière-grand-mère avait un nom, que des amis tziganes identifient comme ayant possiblement une étymologie Kalé, langue d’origine des Gitans. C’est certainement tout cela qui m’a rapproché de l’histoire d’Ali et de Farida.
LV : Julie Jaroszewski chante Kurt Weill, Julie est chanteuse de jazz, du classique, du folk, des chansons populaires de la résistance, comédienne, coréalisatrice de film, metteuse en scène… une artiste pluridisciplinaire ?
JJ : Le Burkina Faso a joué un grand rôle dans la perception de ma fonction en tant qu’artiste. Au Burkina, j’ai appris que la division entre les danseurs ou les comédiens et les différentes formes d’art n’a pas lieu d’être. J’ aimerais pouvoir effectuer le travail opéré par ce qu’on appelle en Afrique « les griots », qui sont des passeurs de mémoire, qui chantent, racontent ou dansent des histoires du temps passé pour opérer la transmission au temps présent. Ils se tiennent aux côtés des chefs guerriers, peuvent penser avec eux les moments opportuns d’une bataille, parce qu’ils tiennent en mémoire la jonction du passé au présent. J’essaie d’être la bonne griotte des Aarrass.
LV : Tu me parles du Burkina Faso. Tu participes à la campagne contre l’intervention américaine au Venezuela. D’où te vient cet internationalisme, cette connexion avec les peuples du Sud et leurs luttes ?
JJ : Dans les années 1970 ou 1980, l’internationalisme était une chose tout à fait normale, non ? Je suis consciente qu’aujourd’hui il n’est plus présent comme à cette époque, mais j’espère que cette tradition internationaliste reviendra. L’internationalisme fait partie de mon enfance. Quand j’étais petite, il y avait des réunions d’Amnesty chez nous, mes parents m’envoyaient au lit sauf quand il y avait des réunions politiques. Là, disait ma mère, je pouvais apprendre ce que je n’apprenais pas à l’école. Je me souviens d’une atmosphère de communion, d’une ambiance de fête. A 17 ans j’ai fait le grand saut d’un petit village en Wallonie vers l’INSAS, une des grandes écoles de théâtre dans la capitale. Nous étions 130 candidats à l’entrée dont on retenait 15. J’en faisais partie. J’avais une énergie brute. Au début, j’avais vraiment des difficultés à trouver ma place. J’étais une petite paysanne à l‘accent wallon, qui sortait d’un petit village. Après un an, je suis partie au Burkina Faso pour deux mois. C’était mon premier séjour dans ce pays et des dizaines d’autres allaient suivre. Là j’ai compris pour la première fois que j’étais blanche. Là, j’ai appris qu’il n’y avait pas une seule manière pour faire les choses. Assise sur la tombe de Sankara, j’ai découvert une philosophie de la résistance. Une science de la vie qui s’est transmise. Au point où je me sens à présent étrangère à Bruxelles, avec un sentiment d’appartenance profonde à l’Afrique. Et, ça peut te sembler bizarre, c’est aussi le Burkina qui m’a rendu ma fierté en tant que Wallonne, une fierté de ma grand-mère. Finalement la Wallonie, c’est aussi le Sud, c’est aussi la périphérie. Quand je montrais le film sur les tirailleurs marocains à ma grand-mère, elle était en larmes : « mais enfin pourquoi on leur a fait ça ? pourquoi ils nous ont menti ? ».
LV : Comment as-tu découvert l’affaire Ali Aarrass ?
JJ : D’abord via Facebook. Et je dois bien avouer que j’ai mis du temps à m’en rapprocher parce que l’accusation de terrorisme me faisait peur. Le « Il n’y a pas de fumée sans feu » a aussi agi sur moi. Ce sont l’avant-dernière grève de la faim d’Ali et ma participation à la conférence de presse avec toi, Dounia et Farida qui ont fait le déclic. L’émotion de Farida, mais aussi celle de l’avocate Dounia. A partir de ce moment ce n’était plus possible pour moi de tenir la caméra, je devais passer de l’autre côté.
LV : Il y a pas mal d’artistes qui ont fait des poèmes et des chansons magnifiques autour de l’affaire Ali Aarrass, mais toi tu as amené la musique au sein des actions et des manifestations. Pour aboutir au Chœur d’Ali Aarrass.
Je me disais qu’en échange des informations politiques ou historiques transmises par les militants, je pouvais mettre à disposition mes connaissances dramaturgiques, qui sont aussi techniques. Lors des manifestations, je voyais des gens crier et, les voyant devenir aphones le jour après, je ne pouvais pas rester silencieuse, sans transmettre des compétences basiques de chanteuse pour identifier le diaphragme et ainsi renforcer le soutien.
LV : A chaque fois tu essayais de transformer une manifestation devant le ministère des affaires étrangères en chorale militante …
JJ : Je crois au pouvoir du cœur, avec et sans ‘h’. Comment faire chœur, qui est la représentation du peuple ? Ce peuple qui est belgo-belge, wallon, maghrébin, tzigane, musulman, chrétien, athée…C’est aussi ça l’histoire de Farida et d’Ali Aarrass et des gens qui les soutiennent, et sont composés de tous ces couches d’identités. J’ai réalisé que la presse ne pouvait pas comprendre cela dans des temps si courts. Qu’il fallait la transmission du peuple, notre propre écriture. Il y a la volonté aussi de réinscrire l’histoire d’Ai et de Farida, dans l’histoire du continent africain, car c’est là que Mélilla est géographiquement située. C’est fondamental. Et c’est ajouté à cela la guerre contre le terrorisme à l’échelle mondiale, ainsi que ses dérives. Mais la lutte contre le terrorisme n’est-elle pas le prolongement de la lutte contre « le barbare » ? De la déshumanisation constante à partir du fait colonial ? Depuis des siècles et prenant toujours des formes nouvelles. Quand on analyse l’histoire d’Ali, on peut constater que son père et son grand-père ont tous été pris dans le même piège des empires et des états-nations.
LV : D’où vient alors l’idée de créer une représentation théâtrale autour de l’affaire Ali Aarrass ?
JJ : De la frustration de voir paraître, dans le meilleur des cas, des communiqués de presse de la campagne Free Ali Aarrass, où des phrases essentielles avaient sauté. Ou d’être réduits à deux minutes d’infos dans un JT, où il n’y a pas de lien entre cause et effet. C’est le cinéma qui m’a appris l’importance du montage. Qui remet en question une soi-disant objectivité. Elle n’existe pas. Ce n’est que la négation du rapport de force. Godart a dit : » l’objectivité c’est 5 minutes pour les juifs et 5 minutes pour Hitler ». Pour Ali et Farida, ça veut dire que, bien qu’il y ait eu un non-lieu pour Ali en Espagne, bien que l’ONU ait dit qu’Ali a été extradé illégalement au Maroc, bien qu’il ait été reconnu qu’il a signé des aveux sous la torture, ces infos majeures ont du mal à passer, ce serait perçu comme un manque d’objectivité. Mais donner cinq minutes à Ali et cinq minutes à l’Etat… est-ce qu’on considère qu’ils ont les mêmes forces à être représenté ?
LV : Une représentation théâtrale qui prend parti dans ce rapport de forces et qui veut raconter toute l’histoire d’Ali ?
JJ : Je veux montrer comment l’histoire coloniale et des empires a profondément marqué la vie des Aarrass, qui à l’origine sont des Amazight, des « berbères », des ‘barbares’, des non-grecs. L’histoire d’Ali et de Farida, c’est aussi l’histoire du père et du grand-père. C’est sur trois générations qu’on peut percevoir un système. Le grand-père était aux côtés de Abdelkrim Kattabi dans sa lutte contre l’Espagne et la France et son peuple a été bombardé de 400 tonnes de gaz-moutarde par la France et l’Espagne avec le concours de l’Allemagne. Le père était un dirigeant de campagne pour les droits civiques des habitants de Melilla, colonie espagnole, qui ne recevaient pas la nationalité espagnole. Ils étaient recensés, mais n’avaient pas de citoyenneté espagnole. La vie des Aarrass aurait été totalement différente s’ils avaient reçu cette nationalité. L’hyspano-marocain arrêté dans le cadre de la même enquête qu’Ali Aarrass, et qui a bénéficié tout comme lui, d’un non-lieux prononcé par le juge Balthazar Garzon, n’a pas été extradé et a été remis en liberté. Ils ont dû se faire enregistrer au Maroc pour pouvoir émigrer en Belgique. Leur histoire rejoint celle de beaucoup de gens qui se retrouvent dans des zones de non-droit et de non-être, et où les administrations de l’état ne les protègent pas.
LV : Quelles sont tes sources ?
JJ : Bien sûr il y a Brecht, Pasolini… Mais c’est surtout ma rencontre avec Thierry Deronne , un Belge qui vit au Venezuela depuis trente ans et qui est à l’initiative de l’Ecole Populaire de Cinéma et de Théâtre Latino Américain et dernièrement de Terra Tv, une télévision pour construire la souveraineté populaire dans l’information. Après ma participation à la flottille pour Gaza au début des années 2000, j’ai fait la connaissance du mouvement pour la télévision libre et populaire grâce à lui. Cela répondait à toutes mes attentes, à savoir que les informations ne sont pas le fait d’une élite formée dans les écoles, mais la propriété du peuple qui agence lui-même son propre récit, qui en prend connaissance et le modifie, sans déléguer l’écriture de ses luttes aux médias dominants. Je sais que le climat politique chez nous n’est pas comparable. Mais chez nous aussi on est devant ce choix. De présenter Farida, bien qu’il s’agisse de la même femme et des mêmes faits, comme la sœur voilée d’un terroriste ou de lui donner sa place en tant qu’actrice héroïne de sa propre histoire et de celle de l’émancipation des peuples. Les médias doivent être un moyen de communiquer et non de faire des spectacles.
LV : Comment la formation du chœur a-t-elle fait chemin ?
JJ : Tout s’est passé de manière assez organique et spontanée. Ali en était à son cinquantième sixième jour de grève de la faim. Avec Pauline Fonsny, avec qui je partage toute cette réflexion sur le spectacle médiatique, nous avons filmé une manifestation pour Ali devant le ministère des Affaires étrangères. A partir de là, j’ai écrit un texte sur le chant, la voix, le soutien. Un appel pour se réunir et pour porter la voix d’Ali autrement. En lui faisant la promesse que s’il arrêtait sa grève de la faim, on allait le faire pour lui. Je me sens comme tenue par un pacte avec Ali Aarrass.
En 2015 et 2016, nous avons publié différents appels aux artistes et aux citoyens. De nombreux artistes s’étaient manifestés en soutien. Comme Anne-Marie Loop, une grande actrice et une militante engagée qui joue le rôle de l’avocate d’Ali Aarrass.
Les femmes sont arrivées les unes après les autres, pour le coup aussi bien professionnelles que non professionnelles, je n’ai jamais fait de casting.
LV : Ce groupe de femmes n’a fait que grandir. Vous êtes combien maintenant ?
JJ : Nous sommes 28 femmes, hors et sur scène, dont une dizaine de professionnelles. L’appel pour le chœur date d’il y a trois ans et demi. Depuis nous avons commencé à travailler, pas toujours au même rythme. On a tenu un rendez-vous hebdomadaire. Après le passage au Festival des libertés et celle du Festival XS en version courte, nous travaillons depuis février de l’année passée à la version longue pour le Théâtre National. Farida et moi avons fait un important travail d’écriture en concertation. Auparavant j’ai aussi réalisé deux documentaires radiophoniques auxquels le Chœur a participé. Et qui m’ont permis de faire un travail de recherche et d’investigation à Melilla avec Mustapha, le père d’Ali. Une expérience qui a été pour moi fondamentale. Ces deux documentaires seront disponibles sur CD au moment de la représentation au Théâtre National, accompagnés d’un petit livret de textes. Plus tard, j’espère qu’on pourra éditer le texte de la pièce.
LV : Comment expliques-tu que cette pièce soit présentée au Théâtre National, ce qui était impensable il y a dix ans.
JJ : Je pense que le Comité Free Ali a fait un travail inimaginable pendant toutes ces années. Les liens que le Comité a su tisser ont été extrêmement importants afin de représenter Farida et Ali et nos Andalousies. L’Andalousie, ne s’arrête pas à Malaga ou à la Méditerranée, elle traverse la mer et se retrouve dans le Nord du Maroc. Mélilla c’est l’Andalousie . J’y ai vécu aussi. Notre identité n’a pas à être définie par les Etat-Nations, sur base de l’appartenance à une couleur ou à une religion. Au mythe du choc des civilisations, j’oppose le mythe de l’Andalousie, parce qu’il y a des mythes qui divisent et des mythes qui rassemblent. Avec le Comité Free Ali, on a créé des Andalousies. On s’est créé des remparts contre la brutalité du monde et ses adversités. Et le théâtre est notre refuge. Nous sommes autres, nous sommes multiples. Des femmes ont rejoint le Chœur après les attentats de Bruxelles. On leur disait que l’unité n’était pas possible. Nous disons : oui, ça l’est. Le Chœur est devenu un refuge où on prouve que la communion est possible et nous revendiquons une équité de droits pour tous/toutes les citoyen-ne-s. Si nous avons reçu une place au Théâtre National, c’est aussi parce qu’il y a des personnes qui veulent que ce message résonne. L’époque d’aujourd’hui est telle qu’elle oblige tout le monde à se positionner. Il sera de moins en moins possible de rester passif face aux événements. Etre présent au Théâtre national, c’est dû aussi au courage de certaines personnes, comme Fabrice Murgia. D’une certaine manière, je trouve qu’il est plus facile de vivre à Bruxelles aujourd’hui qu’il y a dix ans ; je rencontre plus de personnes qui constate le chaos du monde et veulent prendre position. Il y a dix ans, je me sentais assez isolée. Nous devons agir sinon on va mourir de honte, d’inaction, et finalement on renoncera à notre humanité.
JJ : Je voudrais parler de la scénographie du lavoir. Elle vient d’une réflexion sur l’espace du commun dans lequel travaillaient les femmes avant la domestication de leur tâche. Récemment Thierry Deronne m’a envoyé un article, en clin d’oeil. La dernière pièce de théâtre de Brecht, Thurandot ou le congrès des blanchisseurs, restée en partie inachevée, traite de la marchandisation de la pensée et de la vente des opinions. Bien sûr, ce n’est pas voulu par le Chœur d’Ali Aarrass, et je ne l’ai su qu’après coup, mais j’ai un peu le sentiment de reprendre là où il s’est arrêté. Si Brecht avait été vivant, je suis certaine qu’il aurait écrit sur Ali Aarrass.
Merci Julie !
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Pour réserver vos places : Le Choeur d’Ali Aarrass au Théatre national 23 > 27.04.2019