Fragments de vie carcérale (9), texte et dessins d’Ali Aarrass
Durant toute ma vie, j’ai bossé très dur et cela depuis mon adolescence. Je suis devenu indépendant très tôt. Ceci-dit j’ai acquís des responsabilités, mais surtout une connaissance culturelle, humaine, dans ses valeurs, ses faiblesses. Tout ceci bien sûr en étant en liberté, sans que personne ne m’impose ou me donne des ordres. La fierté de ce mode de vie, le contact humain ne manquait pas ! Mais mon destin en avait voulu autrement, que je sois privé de ma liberté .
Là, en isolement sensoriel, il fallait faire preuve de résistance , de beaucoup de patience, en bref apprendre à mieux se connaître.
J’aimerais attirer votre attention, l’être humain entre ces maudits quatre murs va s’identifier par lui-même. Certains craqueront très vite, ils seront condamnés puis ils devront prendre une décision pour le reste des années qui leur reste à faire et sur la façon dont ils voudront les mener jusqu’à leur libération.
D’autres refusaient d’être dans ces conditions dures et pénibles. Ils vont chercher le moyen le meilleur et le plus facile de se faire une place parmi les matons: être leur pion, leur mouchard, leur marionnette, ils pourront ainsi avoir accès à des tâches de nettoyage, distribuer la nourriture etc… dans tous les quartiers pour tenir informés les matons et pourquoi pas, même le directeur.
En échange d’une semi-liberté et de ne pas rester enfermés pendant des journées interminables en prison. À savoir aussi, les établissements pénitentiaires savent très bien qu’il leur faut quelqu’un pour approcher les prisonniers. J’ai découvert en prison cette créature faible, égoïste, qui était capable de balancer son compagnon de cellule ou de prison, seulement pour ne pas rester enfermé !!!
Malgré tout cela, ils n’avaient pas accès à nos ressentis et à nos intentions, car nous aussi nous étions informés par certains gardiens qui nous dévoilaient les mouchards qui coopèrent avec les matons…
Vous comprendrez que cette petite histoire est celle des esprits fragiles et vulnérables, qui n’ont pas encore acquis le savoir ou la connaissance des vraies valeurs d’un être humain et de sa dignité, ils finiront bien par succomber à leurs désirs. La prison est un lieu où les détenus doivent construire une solidarité, une empathie entre eux, le monde extérieur, celui où la majorité des gens les considère comme des criminels…J’aimerais vous rappeler, chez l’être humain il y a toujours au fond de lui-même un cœur, avec des regrets, des remords, aussi avec des sentiments. Je ne peux leur en vouloir, la condamnation leur suffit comme punition.
Ce qui est clair, c’est que quand ils ne leur sont plus d ‘aucune utilité. Ils les dévoilent au reste des détenus…
Il était important de savoir qui était qui, de connaître les bons et les méchants, ceci afin de ne pas commettre d’erreur et d’éviter le cachot.
Aujourd’hui, je fais appel à tous ceux et celles qui ont une famille en prison. Oui, je dis bien une famille, car le prisonnier, c’est à ce moment-là, durant toutes les années pendant lesquelles il sera privé de liberté qu’il aura besoin de vous plus que jamais !
Je comprends que cela devient très long et dur parfois. Mais il est fondamental pour lui de ne pas se sentir oublié. Aussi, j’aimerais que vous essayiez de leur faire savoir qu’il est très important de nous transmettre de leurs nouvelles et leurs témoignages. Vous êtes les seuls à pouvoir les approcher et les écouter.
Quant à nous-mêmes les ex prisonniers. Nous n’avons pas d’excuse à donner ! Surtout si nous avons le temps et les capacités de faire entendre notre voix dans le monde !
Je sais de quoi je parle. A cette occasion, j’en profite pour remercier toute ma famille, spécialement ma très chère sœur Farida, mes prunelles, mon autre moitié que j’aime énormément, celle qui a remué ciel et terre pour son frère et tant d’autres. Je me rappelle en prison, beaucoup des détenus conscients du combat qu’elle a mené durant ces longues années me disaient bravo et merci infiniment pour ta sœur Farida. Et je pouvais être fier de t’avoir comme sœur.
Bien entendu, je remercie Luk Vervaet qui n’a jamais rien lâché, ni baissé les bras pour les injustices que m’ont infligées ces » états »: l’Espagne, le Maroc et la Belgique par son silence. Luk Vervaet, un homme qui sait écouter les autres, et avec de grandes qualités, une grande expérience dans le militantisme, très solidaire, avec un grand cœur. Aujourd’hui je lui dis, merci infiniment de ne pas avoir laissé seule ma famille depuis le début de ce combat… Aussi j’aimerais saluer et remercier le Comité Free Ali et tous ceux et celles qui n’ont jamais baissé les bras !
Et bien sûr tous les militants, et les ONG… des hommes et des femmes conscients courageux. Voilà pourquoi l’engagement d’une famille est très important. Cela m’était un soutien et un encouragement pour continuer à me battre jusqu’à ma libération car je m’étais fixé un objectif bien avant de sortir. Oui, un engagement prioritaire pour les opprimés et les humiliés. Mais cela demande la coopération d’une présence humaine. J’aimerais interpeller la conscience dont vous disposez. Nous ne pouvons pas rester indifférents, nous devons contribuer et agir contre les injustices, il ne faut pas attendre d’être touché ou privé de notre liberté et de notre dignité pour se dire, pourquoi n’ai-je pas réagi avant. Chacun de nous possède des capacités, des valeurs. Sommes- nous des égoïstes ? Je profite de cette occasion pour remercier tous ceux et celles qui ont milité avec ferveur pour la libération des prisonniers politiques et d’opinion partout dans le monde.
J’ai toujours cru et dit qu’il fallait se défier soit même, et cela malgré les conditions extrêmes de la vie carcérale. Il fallait mettre mon corps à l’épreuve. Il n’y avait pas d’autre endroit, mieux qu’une prison, plus dur encore quand c’est en isolement…
Ma première grève de la faim, c’était en Espagne dans le sud. La prison de Botafuego à Algeciras. Après une longue procédure d’attente pour être jugé ou extradé au Maroc. Le risque étant permanent…
Une décision très lourde que je devais prendre. Après m’être renseigné d’une fenêtre à une autre. J’étais convaincu que la grève ferait pression et ferait freiner la décision d’être extradé, une extradition arbitraire, injustifiée, une violation des droits de l’homme…
Conscient des risques, des conséquences pour ma santé, sans tarder après en avoir informé les avocats, j’ai entamé une grève de la faim qui allait durer une trentaine de jours, puis une deuxième d’une quarantaine de jours et la dernière avant d’être extradé au Maroc, qui durera quarante-trois jours, celle-ci j’ai dû l’arrêter une fois arrivé en dépôt à la prison de Salé ll. Mais avant, ils m’ont fait passer par le centre secret de Témara pour y être torturé…
Voici un bref résumé de mes grèves de la faim.
La première chose à faire était de l’annoncer par écrit au ministère de justice, et au directeur de la prison, ceci afin d’officialiser la grève. J’avais fait un stock d’eau dans ma cellule. Ma famille m’avait tenu au courant de tout par téléphone.
Les premiers jours, je sentais la faim je me faisais contrôler par le médecin. Ils savaient très bien que j’étais sérieux, ils pouvaient aussi le remarquer à ma perte de poids… Dans le régime carcéral, ils ont l’habitude, l’expérience et savent reconnaître ceux qui sont en grève vraiment et décidés à terminer leur combat.
J’ai dit ultérieurement, que j’étais sous un contrôle très rapproché. C’est-à-dire le contrôle direct. Je devais rester calme et couché, afin de ne pas trop consommer mes forces, il fallait que je résiste le plus longtemps possible. Les grèves ont été mon seul moyen pour me défendre depuis mon isolement. Ils m’ont poussé à mettre ma vie en danger, contre toutes les injustices, malgré ça, je me sentais impuissant entre ces quatre murs. Je savais qu’à l’extérieur, il y avait des actions menées pour protester contre mon extradition donc je devais mettre mon grain de sable aussi.
Ces trois grèves officielles en Espagne étaient pour moi la seule défense, même si je mettais ma vie en danger. Malgré tout cela, ils avaient déjà tout planifié en accord avec le Maroc, pour que je sois sacrifié !
Je ne pouvais rester sans rien faire. Ma conscience ne me le permet pas ! Vous ne pouvez imaginer les conditions en isolement, et surtout en grève de la faim. Être seul est, certes, une impuissance, le temps passe très lentement. Le plaisir et l’envie de manger se ravivent dans le cœur et le cerveau. Même les matons m’incitent à manger en cachette.
Les médecins aussi, mais ajoutant » bravo Ali, mais tu dois comprendre que tu es en train de foutre en l’air ta santé et les conséquences tu les auras plus tard « . Je leur disais « que je n’avais d’autres choix pour défendre mon innocence « . Ce sont les mêmes incitations et les mêmes commentaires, pour les trois grèves de la faim que j’ai faites dans cette prison d’Algeciras (Botafuegos ).
Le directeur en personne s’est présenté dans ma cellule, c’était la première fois que je le voyais. Il m’a dit « Ali, tu as le droit de te défendre, mais sache que d’autres prisonniers sont morts .
Il faut laisser le temps à la justice de faire son travail ». Que faut-il répondre à ce commentaire selon vous ? J’étais sûr que ce directeur ne voulait pas ou n’aimait pas comme tous les autres d’ailleurs, avoir des problèmes avec la justice. Car il y a risque d’en mourir… Surtout quand il s’agit d’un prisonnier politique et d’opinion. Attention, je vous parle de trois grèves de la faim en Espagne !!!
Par-contre au Maroc. Tu pouvais mourir autant de fois, cela ne leur faisait ni chaud ni froid. Et si tu es mort en prison, ils t’emportent à l’hôpital, celui-ci fera un rapport qui dit que « ce prisonnier est bien mort à l’hôpital « !!! Tous complices !
La pure dictature du Maroc. De père en fils, une dynastie aveuglée par le pouvoir, des criminels sans état d’âme, qui laissent le peuple dans la misère. Tous ceux qui osent lever la voix contre ce régime , ils seront condamnés.
Vous avez le prisonnier Nasser Zafzafi qui a servi d’exemple. Qu’a-t-il fait pour être condamné à 20 ans d’emprisonnement ? Pour sa dignité et celle de son peuple, il s’est levé, il a lutté, pacifiquement pour demander des hôpitaux, du travail, des infrastructures, des écoles etc… dans le Rif ( Alhoceima ) qui est abandonné aujourd’hui par ce dictateur de roi M6 avec la complicité des Européens par leur maudit silence.
Ils veulent déraciner l’histoire de nos ancêtres, mes racines ! Une civilisation humaine qui durant des siècles, nous a enseigné l’amour pour l’humanité et le respect de nos terres sacrées. Il faut comprendre, que pour des prisonniers déterminés dans leurs convictions et convaincus de leur innocence, il serait difficile de faire taire leur voix !!! J’aimerais pousser un grand cri, hurler à nouveau, mais cette fois-ci depuis ma semi-liberté. Car d’autres prisonniers innocents continuent à être torturés, en isolement, et d’être oubliés… Nous devons être solidaires avec eux ! Nous sommes leur voix ! Nous prenons la relève ! Sans peur, sans relâche ! Apprenons à nos enfants l’amour de notre terre, ses valeurs. Oui, c’est un travail qui donnera ses fruits, alors vous pourrez être fiers de ce jour-là…Nous ne pouvons pas rester indifférents à notre chère terre qu’est le Rif. L’histoire nous enseigne l’unité. Il y a des hommes et des femmes capables de faire bouger des montagnes.
Une histoire avérée comme celle du Rif, personne ne peut la démentir.
Elle est là, pour ceux et celles qui ont encore l’amour sacré du Rif, notre terre !!! Je reviens à l’isolement en Espagne. L’un des détenus qui sortait à la cour avec moi, très jeune, n’avait pas encore été condamné, la justice espagnole devait rendre son verdict dans les 2 ans, même si elle le soupçonnait, elle n’avait pas assez de preuves, elle prolongera 2 années de plus son attente. Il avait été arrêté pour falsification d’argent. A la veille de son mariage, il avait été arrêté, ils avaient découvert un billet de 300€, imprimé chez lui, plus quelques joints pour passer la soirée. Oui vous avez bien compris, c’était bien un billet placé là exprès, un coup de jalousie, quelqu’un ne voulait pas qu’il épouse cette fille. La preuve, elle n’a pas tardé à demander le divorce alors qu’il était encore en prison ! Voilà une histoire de films…
La « justice » a dû le libérer faute de preuves. En Espagne, les prisonniers pouvaient écrire des lettres d’une prison à l’autre. Communiquer d’un isolement à l’autre était très important pour le moral et échanger des nouvelles entre eux. D’autres font des connaissances avec des prisonnières femmes…
Ils pouvaient même faire une demande officielle pour un mariage et être regroupés dans une prison pour vivre ensemble. C’est le cas de la prison où j’ai été, Algeciras, et en plus , ils leur donnaient un boulot dans les ateliers. Ils étaient payés à l’époque 400€ par mois sur leur compte. Aussi ils avaient priorité et des avantage, ils étaient condamnés à de longues peines.
D’autres gardent leurs bébés jusqu’à l’âge de 5 ans. Par la suite, ils seront remis entre les mains de leur famille pour aller à l’école, le week-end ils viennent rejoindre leurs parents en prison, malheureusement.
Oui, je me suis posé la même question que vous. Pourquoi dans les prisons qui sont commanditées par le roi du Maroc, le dictateur M6 n’a pas cette stratégie ou ce projet de réinsertion humaine ???
Il est facile d’inaugurer et d’ouvrir des prisons, partout dans le Maroc,comme celle de Salé ll, Tiflet ll, Toulal ll, Tanger ll, Salouna ll, Aarjat ll ( El Filahi). Et bien d’autres encore, qui seront réservées pour torturer et maltraiter le peuple marocain… A savoir, qu’ils sont en train d’anticiper des arrestations bien montées, des « réseaux » qui ne se connaissaient même pas, et pour ceux qui manifestent pacifiquement contre ce régime criminel policier… Le Maroc est très loin des droits fondamentaux. Non seulement dans ses prisons, mais dans toutes ses « institutions », s’il faut appeler cela comme ça !!! Une tyrannie comme celle du roi du Maroc, n’acceptera jamais qu’il y ait une démocratie, un état de droit, une liberté d’expression.
Jamais !!! Voilà l’une des réalités et la raison pour laquelle il continue à construire d’autres prisons… Des hommes et des femmes, conscients et courageux nous ont enseigné de continuer à persévérer et de ne jamais perdre espoir ! Je me rappelle d’une visite à la prison d’Algeciras d’un député d’un parti politique d’opposition, du parti socialiste qui gouvernait à l’époque, dont je ne dirai pas le nom. Par la vitre qui nous sépare, il m’a dit : « Monsieur Aarrass, sachez que nous sommes avec vous. Gardez l’espoir, votre famille va bien, vous n’avez pas à vous inquiéter. Vous devez rester fort, ceci est une épreuve pour vous ». Et pour terminer, il a ajouté « vous savez qu’elle est la différence entre un chameau et un âne » ? Je lui ai dit, « deux créatures fortes et robustes, pour rendre service à l’homme ». C’est vrai, mais d’un autre point de vue, « La tête de l’âne est tout le temps baisée. Par contre, le chameau, sa tête, elle est toujours levée et il est plus résistant que l’âne dans le désert. » Puis il est reparti en disant, « cette procédure qui est la vôtre prendra du temps , c’est une affaire politique. Soyez courageux « .
Voilà une visite que je n’avais pas demandée. Elle m’a été un rappel et d’un vrai soutien moral, pour voir plus clair dans mon cas qui commençait à se compliquer. La pression, la solidarité étaient là, celle des ONG internationales, du comité Free Ali, tout le temps présent sans rien lâcher. Plus mon grain de sable : les grèves de la faim… Quelques jours plus tard, une autre visite. Deux hommes en civil se présentent l’un était le directeur chargé de la sécurité interne qui coopère avec les services secrets espagnols (CNI). Celui-ci, j’avais déjà reçu sa visite les premiers jours de mon arrivée. Il voulait en savoir plus sur moi-même : formalités sécuritaires, comportement, caractère, conviction, idéologie, religion…
L’autre qui l’accompagnait en civil voulait me connaître en personne, il jouait le rôle du policier gentil. Voilà le résultat de la deuxième grève de la faim qui avait duré une quarantaine de jours.
La visite du directeur dans ma cellule pour me convaincre d’arrêter ma grève. Puis la visite du député politique qui se montre solidaire avec mon combat. Et la visite du directeur de la sécurité interne, accompagné de l’agent des services secrets espagnols ( CNI ) .
Malgré tout , ils n’ont pas pu me convaincre. Une grève de la faim est une dure décision à prendre, dès le début, je me suis fixé dans ma tête de terminer ce combat même en mettant ma vie en danger.
Concernant les conséquences sur ma santé, J’ai pris mes responsabilités et j’ai assumé jusqu’à la fin. Les encouragements, les soutiens à l’extérieur des militants solidaires avec cette noble lutte acharnée m’ont donné de l’espoir et le courage de continuer en persévérant tous les jours !!!
Le contact humain, en étant isolé, devient inexistant. J’ai dû rester en cellule, il me fallait rester le plus calme possible sans trop consommer mes forces.
Pour la troisième grève, aussi les mêmes techniques et la même expérience. Officiellement mes doléances étaient acceptées. Prouvée par les médecins dans leur rapport médical, sur mon état de santé particulier, les contrôles qu’ils faisaient tous les jours, prouvée la crédibilité de ma grève de la faim.
Malgré les trois grèves officielles, j’ai été transféré à Madrid et extradé arbitrairement !!! Aujourd’hui, je résume ceci par une grande victoire.
Oui, depuis le début j’ai combattu ces injustices, pour prouver mon innocence, celle qui avait été prononcée par le juge Baltazar Garzón, qui sans relâche a fait une enquête minutieuse et cela à mon insu, avant et après mon arrestation. Il est vrai qu’ils m’ont dérobé 12 années de ma vie !
Il est vrai aussi qu’ils m’ont torturé et terrorisé ma chère famille ! Comme il est vrai aussi, qu’ils ont essayé de me briser et de me faire taire dans les pires isolements d’Espagne et ceux du Maroc, mais en vain.
Oui, je me rends compte après tant d’années, que j’ai survécu ! Aujourd’hui encore, il y a d’autres prisonniers politiques et d’opinion, des journalistes d’investigation aussi , qui ont été arrêtés et condamnés injustement, puis isolés du monde extérieur et intérieur. Ils veulent les faire oublier !