Ali Aarrass : l’Espagne bafoue les droits d’un ressortissant belge, Bruxelles se tait

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Une triste affaire qui dure depuis plusieurs années inquiète les observateurs des droits de l’homme et de l’égalité entre les citoyens : celle d’un homme de 47 ans, Ali Aarrass, reconnu innocent mais toujours enfermé dans une prison espagnole. Il est aujourd’hui menacé d’être extradé vers un pays qu’il ne connaît pas et où l’on pratique la torture. En 2010, ce qui ne devrait pas se passer se passe, au vu et au su de tous…

Ali Aarrass est un citoyen détenant la double nationalité belgo-marocaine. Né en territoire espagnol, il a vécu vingt-huit années en Belgique, gérant notamment une librairie bruxelloise. Il y a par ailleurs effectué son service militaire, et, de l’avis de toutes les personnes qui l’ont côtoyé de près ou de loin, était connu pour son intégrité et une honnêteté remarquables. Après ces longues années passées en Belgique, Ali Aarrass a décidé de rejoindre son père à Melilla, la petite enclave espagnole au nord du Maroc, et d’y vivre avec sa femme et sa fille adoptive.

Comment un citoyen ordinaire apparemment destiné à une vie tranquille a-t-il pu se trouver plongé au cœur d’un drame qui le frappe lui, mais également sa famille et ses proches, depuis plusieurs années maintenant ?

La réponse est à chercher dans la psychose anti-terroriste qui agite l’Europe. On y ferme désormais les yeux devant les exactions des Etats autoritaires. Retraçons brièvement les faits de cette hallucinante succession de hontes pour la justice et pour les droits de l’homme.

En 2008 éclate l’affaire Belliraj, du nom d’un présumé terroriste arrêté par les autorités marocaines. Ces dernières auraient usé de la torture pour arracher à Belliraj des « informations » qui, au hasard des noms glanés, conduiront à des mandats d’arrêts internationaux. Les faits imputés font mention de trafic d’armes, de terrorisme, d’implication dans l’attentat de Casablanca en 2003, etc. Onze personnes sont arrêtées en Belgique et font l’objet d’une enquête mais personne n’est extradé. En effet, il apparaît clairement aux autorités belges et à leurs services de renseignement que le Maroc tente d’obtenir des prisonniers pour des motifs politiques. En Espagne, deux personnes sont arrêtées : Mohamed el Bay et Ali Aarrass.

Nous sommes en avril 2008 et depuis, Ali Aarrass n’est plus un homme libre jouissant de ses droits élémentaires et inaliénables…

Pourtant, et c’est ce qui cause l’étonnement et l’indignation de ses proches et des organisations luttant pour les droits de l’homme, le célèbre juge d’instruction Baltazar Garzon prononce un non-lieu dans le dossier Aarrass : rien, absolument rien, ne peut être reproché à ce citoyen sans histoires. Le Maroc décide alors de réclamer l’extradition d’Ali Aarrass mais les autorités espagnoles ne donnent pas leur accord et depuis deux ans maintenant, postposent leur décision sur l’extradition. Depuis deux ans maintenant, et bien qu’il ait été innocenté, Ali Aarrass croupit dans les geôles espagnoles. Le prisonnier a même été transféré plus vers le sud, plus près du Maroc, de l’arbitraire et de la torture, plongeant sa famille et ses proches dans le désespoir et une cruelle anxiété de chaque instant …

Le scandale réside donc dans cette succession d’injustices : Ali Aarrass est maintenu dans une prison alors qu’il a été blanchi ; en outre il est gardé dans des conditions inhumaines, en isolation la majeure partie du temps ; ensuite, il ne bénéficie pas du droit élémentaire à ne pas être jugé deux fois pour les mêmes charges ; s’ajoute à cela le fait qu’il risque d’être extradé vers un pays que l’usage de la torture et les mauvais traitements a rendu tristement célèbre, diverses organisations indépendantes en faisant état dans leurs rapports de manière incontestable ; enfin, et pour rendre les choses encore plus difficiles à justifier, on apprend la libération très récente de Mohamed el Bay, de nationalité espagnole, qui avait été inculpé et blanchi des mêmes charges qu’ Ali Aarrass.

Mais, comme si cela n’était pas suffisant, l’incompréhensible s’ajoute à l’injustifiable : les autorités belges restent muettes dans une affaire qui concerne un de leur ressortissant. Ces mêmes autorités avaient pourtant bien refusé d’extrader les onze prisonniers arrêtés sur son sol dans l’affaire Belliraj, se méfiant des motivations du Maroc dans ce dossier !

C’est dans ce contexte déjà difficile, inexpliqué et inexplicable, que l’Espagne décide de donner son accord à l’extradition de Ali Aarrass le 19 novembre 2010. Stupeurs et incompréhension frappent les proches et les amis du détenu, tout comme les militants pour l’égalité et les droits de l’homme. De lourds soupçons pèsent néanmoins sur les motivations espagnoles. La décision tombe peu de temps après un scandale qui avait entamé les relations entre l’Espagne et le Maroc : quelques jours plutôt, la presse ibérique avait en effet détourné des photos d’enfants palestiniens pour dénoncer les incursions de la police marocaines dans des camps de réfugiés du Sahara occidental. L’extradition de Ali Aarrass servirait-elle à réchauffer les relations entre Madrid et Rabat ?

L’annonce de l’extradition a suscité diverses réactions. Des rassemblements ont eu lieu devant l’ambassade d’Espagne en Belgique, sans que l’ambassadeur ne daigne toutefois recevoir quiconque. Par ailleurs, un recours à la Cour européenne des Droits de l’Homme a été déposé. Ladite cour a cependant rejeté le recours sous prétexte qu’il n’y aurait pas de preuves de l’usage de la torture au Maroc, ce que démentent de nombreux rapports d’organisations internationales. Enfin, une question parlementaire a été posée par une élue écologiste belge, mais écartée d’un revers de main par le Ministre des Affaires étrangères. Ce dernier affirme ne pas vouloir s’ingérer dans les affaires espagnoles. A chaque tentative de comprendre, d’engager le dialogue et de clamer l’innocence d’un homme affaibli par l’isolement et les grèves de la faim, les autorités et la si mal nommée Justice opposent un silence épouvantable.

En Espagne également, citoyens, proches et hommes politiques même, se mobilisent pour faire entendre la voix de la justice aux oreilles sourdes des dirigeants. La décision du conseil des ministres espagnol d’extrader Ali Aarrass a entraîné plusieurs réactions : d’une part, un communiqué d’Amnesty International qui met en garde contre une extradition synonyme de risque de torture. D’autre part, un appel signé par de prestigieux parlementaires, avocats et juristes britanniques, affirmant qu’ils agissent « sur base de notre propre connaissance de la pratique de la torture par le régime marocain. Et par souci d’éviter à l’Espagne le déshonneur que notre propre gouvernement a subi dans sa complicité avec ces pratiques ». Finalement, le 1er décembre, le directeur des Traités du Haut Commissariat aux droits de l’Homme de l’Onu à Genève, annonçait suspendre temporairement l’extradition d’Ali Aarrass vers le Maroc. Deux mois de sursis. Mais cela sera-t-il suffisant ?

Car au-delà du cas de Ali Aarrass, cette affaire pose une question : comment les gouvernements occidentaux traitent-ils leurs citoyens et leurs ressortissants lorsque ceux-ci portent un nom à consonance étrangère, surtout dans le cas de musulmans ? Ali Aarrass, Oussama Atar, et bien d’autres encore, partagent ce sort de l’oubli et du racisme institutionnels. Du fond de sa cellule espagnole, Ali Aarrass nous adresse ce message :

« Aujourd’hui vendredi 26 novembre 2010, après que ma femme me raconte tout ce que vous faites pour m’aider, j’ai immédiatement décidé de reprendre une grève de la faim, c’est la troisième. J’ai pris cette décision afin de ne pas vous laisser faire seuls. C’est la seule chose que je puisse faire pour mener cette lutte à vos cotés. M’affamer ! Même si après les deux grèves précédentes on n’a pas vraiment accordé d’importance à cette forme de protestation.

Une chose me parait plus évidente que jamais, quand on s’appelle Ali, quoi qu’on fasse pour clamer son innocence, le sceau de la culpabilité parait ancré dans les esprits de ceux qui nous gouvernent, par le simple biais de ce prénom. »

Les autorités ne respectent pas les droits fondamentaux d’un citoyen européen enfermé injustement depuis plus de deux ans et demi. La plupart des médias ne relaient pas d’informations sur le sujet et restent muets devant les abus des dirigeants. Il revient donc au citoyen de faire entendre sa voix et d’exercer des pressions sur chaque instance et chaque niveau de pouvoir lié à ce scandale judiciaire.

Plus d’informations disponibles sur Ali Aarras et les évolutions de cette affaire, et sur les actions menées pour rétablir justice et vérité, sur le site créé à cette occasion : http://www.freeali.be/

Abdellah Boudami est co-auteur de Israël, parlons-en ! de Michel Collon

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