(photo : la maman d’Ali Aarrass)
Je suis allée chez ma mère pour partager avec elle un moment. Elle voulait que j’apprenne les détails de sa visite rendue à Ali le 3 avril 2017.
Je l’écoutais attentivement tout en faisant mine de ne pas être trop surprise, alors que je sentais que mon coeur allait lâcher tant je contenais les sentiments, qui provoquaient en moi une rage indescriptible.
Voici son récit :
– Ma fille, lorsque nous sommes allées voir ton frère, celui-ci est venu à nous dans un état qui m’a terriblement choquée. Il est si maigri que je n’ai pas pu retenir mes larmes.
Ils nous ont fait attendre deux heures avant de nous autoriser à enfin le voir.
J’ai bien vu que le fait d’apprendre cela l’avait mis hors de lui et que le sentiment d’impuissance l’a terriblement révolté. Une fois dans mes bras, nos pleurs devenaient incessants (j’ai déjà vécu cette scène tant de fois que je ne peux que trop bien la comprendre).
Ton frère ne cessait d’embrasser mon front, mes joues, à nouveau mon front, sans relâche.
Il m’a repris dans ses bras et me serrait si fort que j’ai pu sentir toute sa détresse. Ensuite il a saisi ma main droite et y déposa un baiser, puis ma main gauche et y déposa un second, et voilà qu’il recommença ces gestes tant de fois que je m’effondrais d’imaginer sa solitude.
(Je tiens à préciser que ma mère ignore tout de ses conditions de détention. Mais elle me dit que le fait d’être nouveau dans une autre prison, ne peut que le condamner à se retrouver seul puisqu’il n’y connait aucun détenu)
Elle raconte et se retient de pleurer… Chaque fois qu’elle sent sa gorge se resserrer elle cesse le temps que ça passe. Mais à chaque phase insoutenable au niveau de la douleur provoquée par cette immense injustice, elle essaie de m’encourager à son tour en me motivant comme elle peut.
– Farida ma fille, j’ai beaucoup insisté auprès de Ali pour qu’il continue de patienter. Il était fâché parce qu’ils nous ont laissé attendre deux heures et quand je lui ai dit qu’il ne doit pas se fâcher il m’a répondu : « Yemma je dois faire respecter mes droits ! Ce sont mes droits et je ne les laisserai pas les écraser ! »
Elles n’ont pu rester avec Ali que 40 minutes !!!
Ma mère reprend en larmes…
Ma fille, incha Allah tout ceci aura une fin. Oui ma fille tu verras qu’il ressortira de là par la grâce d’Allah, la tête haute. Je n’ai jamais connu un homme aussi digne ma fille. Ton frère fait partie des gens si courageux et si droit qu’Allah ne l’abandonnera jamais. J’en suis ressortie tellement affectée, mais on finit par relativiser et se dire qu’Allah est juste et que justice lui sera faite.
Elle m’a également fait part de son ressenti face à tous les refus de la part des gardes. Ceci non ! Et ça non plus !Ce produit lui est interdit ! Ces affaires lui sont interdites !
Elle était en colère mais a su faire preuve de la plus grande et belle patience et a essayé de raisonner les gardes en leur disant que ce n’est pas humain toutes ces interdictions. Mais qu’au final ça n’aura servi à rien, qu’ils répondent qu’ils n’y sont pour rien, qu’ils ne font qu’obéir aux ordres données plus haut.
Ma mère a été comme toute mère l’aurait fait je pense, aussi douce et aimable qu’elle a pu envers son fils mais aussi envers tout le monde sur place, pour essayer de les faire changer d’avis. Tout ça fut vain dit elle, ils ont apparemment reçu des ordres et ils ont peur de désobéir.
Partir et devoir reprendre de tas de choses qu’elle pensait feraient du bien à Ali, son tendre et unique fils qu’elle chérit tant et qui lui manque terriblement, fut pour elle dur, très dur. Mais partir et laisser derrière elle ce fils qui a toujours été aussi bienveillant envers elle et envers tant de personnes, elle l’a très mal vécu.
Durant tout le chemin de retour elle a pleuré et imploré Dieu de lui rendre justice. Elle est convaincue qu’un jour on se retrouvera tous ensemble à nouveau et qu’on partagera de magnifiques moments comme avant.
Que Dieu exauce les voeux de ma mère.
Un détail m’avait échappé, je l’ajoute parce qu’il fait honneur aux parents et proches des détenus en général, et aux mamans en particulier.
Ma mère me racontait qu’une maman qui devait avoir plus ou moins mon âge, attendait également son tour au rang des fouilles où tout est passé au peigne fin avant d’être accepté ou refusé, selon le bon vouloir de la part d’un coordinateur qui se tient debout sur place.
Cette maman avait fait de ses propres mains tout une pile de crêpes marocaines. Elle a veillé à ce que son fils puisse en avoir et surtout à ne pas en manquer en attendant sa prochaine visite, prévue on ne sait quand.
Mais ô combien grande fut sa peine en apprenant qu’elles ne lui seraient pas remises.
Refusées ! Pour quelle raison ?! On ne veut pas, c’est tout !
Aucune explication qui tienne…
De quoi vous faire sortir les gongs et vous torturer intérieurement sans pour autant vous donner le droit d’exprimer toute la colère suscitée par ces arrogants refus !
Ma mère m’explique avec beaucoup de peine et en pleurs à quel point cette pauvre maman était touchée, attristée, malheureuse. Qu’elle l’observait avec bienveillance pour lui témoigner toute son affection, ce qui l’a aidée à se calmer…
Puis pour terminer elle me dit l’avoir suivi du regard lorsqu’elle a pu enfin retrouver son fils et les voir s’étreindre et sangloter à n’en plus finir.
Ma pauvre mère portant en elle son empathie fusionnelle, n’a pas pu empêcher ses larmes de couler en se rappelant cette si triste scène.
Ces lieux sont voués à provoquer les pires accablements et amertumes. L’abattement de tous ces êtres s’y trouvant, forcés et contraints de réconforter un tant soit peu leurs proches si chers abandonnés de tous.
Ces parents si voués à leur progéniture.
Capables de braver tous les climats et toutes les fatigues.
Capables de s’endetter pour rapporter un peu de bien-être à leur enfant.
Que Dieu préserve nos parents et leur épargne toute souffrance !
Farida Aarrass
Free Ali Aarrass à la Fête du 1er Mai ! Rejoignez-nous à notre stand à la Place Rouppe.