« J’ai le cœur gros, la tristesse me l’a ravagé », récit d’une visite à Ali Aarrass à la prison de Tiflet

dans ACTIONS/Evénements/LA PRISON AU MAROC par

Dimanche 26 février 2017

Nous voilà arrivés à Salé  dans l’après midi.

Dans la ville de Salé….

Une fois à l’hôtel, Maître Nicolas Cohen dit devoir passer des coups de fils afin d’établir contact avec les différentes personnes qui pourraient nous aider aux démarches que nous allons entreprendre.

Nicolas travaille déjà.  Il prépare le programme tandis que moi… et bien je me prépare psychologiquement à la rencontre qui aura lieu dès demain lundi, avec mon frère.  

J’appréhende son état, sa condition… J’ignore quel est son état après ces presque 5 mois d’isolement total.  Je n’ai que les informations qu’il me transmet lors de son unique coup de fil hebdomadaire, les mardis.  Coup de fil qui ne dure que 5 minutes et qui ne lui permet jamais d’aller jusqu’au bout de ce qu’il voudrait ou aimerait dire, puisque le garde chargé de la surveillance, l’interpelle dès que la 5ème minute est là.

Je sais qu’il est capable de nous cacher toute réalité qui pourrait nous attrister ou nous inquiéter d’une quelconque manière.  Il l’a toujours fait, et il est dans la capacité de maintenir cette même attitude pendant aussi longtemps qu’il l’estimerait nécessaire.

Nicolas et moi avons été dans la Médina, à la recherche d’une boutique pour acheter des recharges, pour les coups de fils.

Il fait beau, le soleil brille et l’air est doux…. 

Je remets tant de choses en question et à la fois me résous à presque renouer avec ce pays qui finalement est celui de mes origines. 

C’est sûrement la joie à l’idée de retrouver Ali qui me rend si euphorique.  Suis-je vraiment prête à me réconcilier avec l’ensemble.  Je ne sais pas…. C’est une question que je reporte à plus tard.

La question qui m’interpelle pour l’instant c’est comment vais-je retrouver Ali demain ?

Je l’ignore… Je ne sais pas du tout répondre et me dis qu’il vaut mieux attendre de le voir pour savoir. 

Que peut être sa condition n’est pas si catastrophique que je l’imagine.

Je vais donc faire preuve de patience et attendre de voir, pouvoir constater…

 

Lundi 27 février 2017

Nous nous levons tôt car il faut aller au Parquet et plus précisément chez le procureur afin de demander une autorisation de visite pour Maître Cohen.

Maître Dadsi nous a donné rendez-vous à la gare de Rabat Ville, à 9h30.  A cause de la densité de la circulation, il n’arrive qu’à 10h15. 

Nous prenons immédiatement la route pour le parquet.  L’autorisation est faite rapidement par le procureur et nous en allons ensemble vers Tiflet 2.

Je suis discrètement impatiente et surexcitée à l’idée de retrouver Ali mon cher frère qui me manque tellement.

Les deux avocats discutent entre eux, de différentes choses, moi je ne pense qu’au moment de retrouvailles avec mon frère. 

Au milieu de nulle part…

La prison de Tiflet 2 se trouve à environ 45 minutes de Salé.  Il s’agit d’un complexe pénitentiaire construit au milieu de nulle part.  Il a été implanté au milieu d’un champ, un endroit isolé de tout.  Le calme et le silence assourdissant y est surprenant. 

Ma joie s’entremêle à de l’appréhension…  Cette appréhension s’accentue au fur et à mesure que nous approchons de l’entrée.  Soudain, je sens que j’ai du mal à gérer le stress qui m’envahit, mais je feins être on ne peut plus calme.

Les avocats avancent d’un pas sûr.  Ils sont rassurés et presque certains de pouvoir visiter Ali.  J’aurais aimé pouvoir jouir d’une telle assurance dans de telles circonstances.  Malheureusement je n’y arrive jamais.  Pour moi c’est constamment l’incertitude.  Je ne sais pour ainsi dire, jamais, ce qu’il en sera.

A l’approche vers ce grand portail, l’émotion m’envahit…. Je suis toujours en mode self contrôle, mais je ne peux faire abstraction des sentiments qui prennent le dessus. C’est ainsi généralement jusqu’à ce que je voie mon frère.  Après, tout est complètement différent.  Mais en ce moment précis et malgré la difficulté, je me force à ne penser qu’à l’instant présent…

Ils sonnent au grand portail bleu métallique.  Le lieu est funeste, lugubre. Il n’inspire vraiment pas confiance.  Nous sommes loin de tout.  Je m’imagine seule dans ces lieux et ressens l’angoisse que cela procure.

Un gardien ouvre le grand portail, demande ce qu’ils veulent et ils présentent leur documentation en expliquant qu’ils viennent rendre visite à leur client Ali Aarrass.

Le gardien leur demande de patienter tout en inspectant simultanément les documents remis.  Il s’agit d’une autorisation émise il y a moins d’une heure à l’un de nos avocats, par le procureur en personne.

Je me tiens sur le côté, pensant qu’on va pouvoir y entrer tous en même temps.  Mais assez rapidement on m’informe qu’en tant que proche je dois rentrer par une autre porte et pas tout de suite.  Les avocats vont pouvoir y aller en premier et une fois qu’ils auront terminé, je le pourrai à mon tour.  Et oui c’est comme ça, nous sommes apparemment soumis à des traitements différents. 

Mais franchement je n’y accorde aucune importance. Je suis décidée à attendre le temps qu’il faudra, du moment qu’on nous autorise à nous revoir mon frère et moi.

Vous savez, dans des circonstances pareilles, j’apparente le calme en personne… On me le dit souvent et je sens que c’est aussi le cas en ce moment même.  Et pourtant…. 

Dans mon fort intérieur je me prépare à la révolte à l’idée qu’on puisse me refuser de revoir mon frère.  Non ô que non, ça je ne pourrais l’accepter !

D’ailleurs je me retrouve à me parler toute seule, à me faire des réflexions à voix haute…

Je fais des pas… j’avance en m’éloignant de l’entrée et reviens de nouveau, je fais des va et vient tout en me parlant à voix haute.  Je m’en contrefiche de ce qu’on pourrait penser, c’est mon état actuel et il me plaît de me tenir cette discussion.

Je me dis : « Faites-moi attendre, embêtez moi, malmenez moi autant que vous le voudrez.  Je m’attends et me prépare toujours à tout.  Mais je ne serais jamais prête à recevoir un refus de visite… ça NON ! »

Je ressens encore et encore…toujours les mêmes tensions, les mêmes pressions, les mêmes appréhensions, le même chamboulement intérieur à l’approche du moment tant attendu.  Et de nouveau me revient cette forme d’euphorie étrange qui fait tant de bien.  Elle m’envahit à l’idée de revoir Ali que je n’ai plus vu depuis 13 mois.  Je l’ai vu pour la dernière fois, en janvier 2016, deux mois après sa suspension de grève de la faim qui dura 72 jours. 

Je me reprends, me ressaisis, décide de ne pas sombrer dans cette presque folie provoquée par tous ces questionnements, par toutes ces incertitudes, par tous ces sentiments mêlés de joie et craintes multiples….

Les avocats, sont déjà rentrés et moi j’attends mon tour.

Les deux sacs…

J’ai posé les deux sacs que je ramène à Ali sur le côté.  Dans l’un d’eux, des fruits.  Des bananes, des pommes, des oranges. Dans l’autre, des chocolats, des gâteaux en frangipane, des spéculoos, des gaufres.  Mais aussi la boite de crayons de couleurs, un pinceau, un taille crayon ainsi que deux crayons ordinaires que Christine m’a confié pour Ali.  J’y ai également rangé, les chocolats et gâteaux que Insaf a tenu à lui offrir.  Aussi d’autres objets que Ali avait demandés.  Christine et Insaf font partie du Comité Free Ali et sont devenues pour moi, comme d’autres personnes que je ne cite pas ici, des membres de notre famille devenue si grande. 

Dans les autres objets que Ali avait demandés, des piles crayons pour pouvoir utiliser la télécommande. 

Une petite TV encastrée se trouve dans la cellule, mais une télécommande sans piles ne permet pas de l’allumer. 

Il avait également demandé des balles de tennis pour pouvoir les lancer contre le mur de la cour où il passe une heure par jour, mais toujours seul.   A défaut d’avoir de la compagnie, il disait qu’elles rebondiraient partout, lui reviendraient en ricochant et finiraient par lui donner l’illusion de jouer avec quelqu’un.  Cela lui permettrait aussi de faire de l’exercice…

Il voulait aussi avoir un blaireau pour faire mousser le savon et pouvoir se raser.  Ainsi qu’un tout petit poêlon avec couvercle afin qu’il puisse de temps en temps demander au gardien de lui ramener un peu d’eau chaude pour se laver.  Dans sa cellule il ne dispose que d’eau froide et il n’a droit qu’à une douche par semaine. 

Je lui ai également ramené des cotons tiges, une boite de compléments alimentaires de qualité.  Je sais qu’à défaut d’avoir une bonne alimentation, ces compléments alimentaires peuvent lui faire le plus grand bien.  Ils lui permettraient de renforcer son système immunitaire qui doit être en bien piteux état.  Je fais allusion aux conséquences désastreuses de cette longue et horrible grève de la faim qui dura 72 jours, mais aussi au fait qu’on lui refuse tous les extras à l’heure actuelle.  La preuve c’est qu’il a perdu 18 kg depuis son transfèrement à Tiflet 2, où il est soumis à un régime de détention terriblement dur.  L’isolement !

J’attends toujours en observant l’heure.  Il s’est écoulé 45 minutes quand un gardien ouvre la porte sur le côté.  L’entrée réservée aux proches des détenus.   Il me demande mes documents et je lui donne mon passeport.  Il me dit d’attendre encore et s’en va à l’intérieur en refermant derrière lui.

Je reprends les va et vient pour mieux patienter. 

Je me remets à parler seule : « Tant que les avocats sont avec lui on ne me fera pas rentrer, je n’ai qu’à attendre encore un peu… »

J’avais pris soin de dire aux avocats qu’il ne fallait surtout pas dire à Ali que j’étais là tant qu’ils n’avaient pas terminé avec lui.  Je le connais si bien, qu’à coup sûr il écourterait l’entretien avec eux pour ne pas me laisser attendre. 

La porte s’ouvre et quatre mamans sortent.  A leurs mains des sacs vides pliés, des caddies vides…  Elles viennent de rendre visite à leur proche de toute évidence.  Elles ont l’air de bien se connaître, elles discutent entre elles et vont s’éloigner lentement.  Il s’est de nouveau écoulé 15 minutes.

Je les observe s’éloigner…  Au loin j’aperçois du bétail qui broute de l’herbe et se déplace calmement.  Je regarde ces murs et estime leurs hauteurs.  Je ne sais plus où placer mon regard tant l’impatiente me gagne… 

La porte s’ouvre à nouveau.  Le gardien me dit que le passeport ne suffit pas.  Il me faut la carte nationale.  Je réponds que je n’ai pas de carte nationale.  Il demande ma carte de séjour en Belgique.  Je ne l’ai pas avec moi, je l’ai laissée à l’hôtel.  

Il retourne à l’intérieur et moi j’ai envie de CRIER TRES FORT !

Ils n’ont pas intérêt à m’empêcher de voir Ali !!!

Je patiente tant bien que mal.  La porte s’ouvre de nouveau et je lui demande s’il a l’intention de me laisser attendre encore longtemps.  Il me dit de rentrer…

Je suis à l’intérieur et je passe dans un bureau où il me demande si je reconnais les photos sur les copies des passeports appartenant à l’épouse de mon père, à l’épouse de Ali, à mon jeune frère.  Je lui qui ils sont à tour de rôle et enfin il me permet d’aller plus loin.  Mais pas si loin puisqu’on me dit d’attendre encore à l’intérieur.   Je prends mon mal en patiente.  Ai-je le choix ?!

Je peux enfin m’asseoir.  J’aperçois de là où je suis l’appareil qui scanne les produits et le lieu des fouilles des aliments et autres articles qu’on pourrait rapporter à nos proches.  Cependant c’est vide. Personne en vue.  Étrange, serais-je la seule personne à rendre visite à cette heure-ci ?

Petit à petit ils intègrent leur poste.  D’abord une gardienne qui s’assied à proximité du tapis roulant où l’on pose les affaires.  Puis un gardien qui plaisante avec elle.  Elle rit souvent aux éclats.  Un troisième gardien est celui qui est venu réceptionner mon passeport. 

Ce dernier me dit que tant que les avocats sont avec mon frère, je ne peux rentrer.  Je réponds que c’est entendu et que je suis disposée à attendre le temps qu’il faudra. 

Le temps passe plus vite ici.  Enfin on me demande de tout poser sur une table.  Je m’empresse de le faire et sans qu’on me le dise je commence à tout sortir afin qu’ils examinent l’ensemble au plus vite. 

Un quatrième garde s’approche.  Il est petit de taille… Il semble être attendu par tous les autres comme s’il était le seul à pouvoir décider de ce qui est accepté ou pas.  Je suis choquée d’assister à cette façon de faire.  C’est comme si je devais marchander mais inutilement puisqu’ils ont sûrement reçu des ordres de presque tout refuser.  Ce garde sur lequel ils comptent tous, ne m’esquisse pas le moindre regard.  Il ne tient pas à croiser le mien.  C’est un comportement que je finis par connaître on ne peut mieux.  A la fois éviter la gêne que procurent tous les refus et le comment se protéger des problèmes qui risquent de tomber sur lui s’il ose défier le moindre ordre donné plus haut.  Qu’à cela ne tienne… Je suis complètement dévastée par la rage de savoir que quasiment tout est interdit à Ali, sauf les fruits qui vont être coupés en deux !!!!  Et la boite des crayons de couleurs.  Jusque-là on me fait croire que les balles de tennis lui seront remises…

Les fouilles…

Je suis dans un état second et continue de faire face à tant de mauvaise foi et tant de dureté quand la gardienne me dit d’entrer dans une pièce pour me fouiller.

J’obéis instinctivement, comme portée par le besoin d’avancer au plus vite vers ce but qui est le mien.  La rencontre avec mon cher frère. 

Je ne savais pas encore ce qui m’attendais.  J’écartais les bras et les jambes pour faciliter la tâche à celle-ci. Afin qu’elle fasse vite et qu’on en finisse !!!

J’ignorais totalement que j’allais être malmenée, humiliée, subir de tels attouchements en guise de fouilles corporelles.  Je me suis énervée fortement, mes mains m’ont trahies.  Je tremblais et l’ai repoussée assez fort pour la déstabiliser.  Mais elle m’a jeté un regard immonde et m’a ordonné de la laisser faire et qu’à défaut je n’entrerai pas.  J’ai eu envie de pleurer, de crier, de la tuer et pourtant j’ai tout ravalé et me suis laissée faire.  C’était le prix à payer pour revoir Ali.  Je l’ai payé avec l’espoir qu’un jour elle le paie très cher.  J’en suis ressortie avec la nausée et mal au ventre.

Je suis au bord des larmes et je sais que ce n’est pas le moment de lâcher prise.   Ali est seul et a besoin de moi en forme.  Je dois lui remonter le moral, le soutenir du mieux que je le peux. 

Le gardien me demande de le suivre…

Enfin… ! 

Nous descendons des larges marches qui mènent vers un hall tout aussi large.  C’est une forme de tunnel sous terrain qui laisse entrevoir au fond d’autres escaliers qui montent vers un petit hall à droite, au bout de ce hall, une très grande salle au plafond tout aussi haut. 

Les tables…

Je suis dans cette immense salle de visite où l’air qui y règne est on ne peut plus glacial voir glauque. 
 En son sein des énormes tables en inox. Toutes neuves ! Un inox brillant et à la fois si froid. Elles doivent faire près de 2m de large, la longueur de chacune d’elles, je ne la connais pas. Mais de toutes manières elles sont toutes alignées, les unes collées aux autres, formant ainsi une très longue ligne droite… Trois lignes droites qui forment un grand U ! 
Puis pour encore mieux distancer les détenus de leurs proches venant leur rendre visite, à chacune de ces immenses tables, sont fixés des bancs du même matériau. Quelques feuilles en carton ici et là pour que vous les glissiez sous votre popotin, il ne faudrait pas attraper froid voyons ! Puis sous ces tables, encore et toujours dans le même matériau, des plaques empêchant les pieds de se toucher. Je pourrais dire que c’est presque hermétiquement fermé.

En y arrivant dans cette absurde et si horrible salle, j’ai eu le sentiment qu’il s’agissait de tables de lavage mortuaire. Cela m’a glacé le sang….
Mais dès que j’ai aperçu au fond de celle-ci, Ali Aarrass mon cher frère, cela m’a fait oublier pendant un instant où j’étais et tout ce qui nous entourait.

Ali me voit à son tour et se précipite vers moi…. Quant à moi je suis bloquée par ce mobilier géant qui finalement nous empêche tous les deux de nous prendre dans nos bras !

Ali et moi on se regarde avec à la fois les larmes aux yeux et la rage de devoir vivre cette situation si injuste et si immonde qu’on veut nous imposer !

A l’échange de ce regard de tas de choses sont dites et on se comprend immédiatement. Nous allons enfreindre les règles et on va passer par le coin du grand U où une table en plastique a été placée afin de fermer l’accès. La table en question nous l’avons littéralement éjectée sous les yeux des gardiens qui semblaient ne rien comprendre et qui nous voyant nous jeter dans nos bras, n’ont même pas osé intervenir.

C’était le meilleur moment ! 
 Nous nous sommes abandonnés ainsi durant quelques petites minutes…. Je pleurais fort et on m’entendait dans cet espace si froid, si vide… au plafond si creux que cela résonnait… Je m’en fichais, je me suis lâchée et même si Ali me demandait de me calmer, je n’arrivais pas.

Il me posait des questions en les susurrant à mon oreille. 
 T’ont-ils malmenée ?
T’ont-ils humiliée ?
T’ont-ils fait un quelconque mal ?
Dis-moi Farida… 
J’ai répondu que non, que je pleurais de joie de pouvoir le revoir enfin et le reprendre dans mes bras. 
 Il m’a dit, tu as osé venir jusqu’ici ?!
Je lui ai répondu que jamais rien ni personne ne pourra m’éloigner de lui, à moins que ce ne soit Allah qui le décide. 
 En le tenant dans mes bras je réalise à quel point il a maigri, mais je ne fais aucune remarque… Tout ce qui compte c’est que nous sommes là tous les deux et que nous allons partager un agréable moment ensemble.

Nous sommes ensuite passés chacun de son coté de ces tables « mortuaires ». L’estimation que j’ai faite d’à peu près 2 mètres de large, je l’ai faite en tenant compte du fait que Ali et moi nous tenions par les mains…enfin par les bouts des doigts plutôt, tout en nous penchant très fort en avant pour y arriver.

Ignoble pensée que cette installation….

Tout semble être mis en place pour nous toucher au plus profond de nos êtres.  Toute cette humiliation, ces méthodes, ces traitements dégradants, ne sont certainement pas mis en place pour veiller à la réinsertion des détenus, mais de les intimider en vue de les asservir. Comment fait Ali pour tenir encore et encore ?  Mon Dieu mais c’est horrible !!!

Ali me demande comment vont nos parents, je lui explique leur état de santé, et il pleure comme un gosse.  J’ai mal pour lui, mais je me suis jurée que je ne lui cacherai plus rien.  Je crains qu’un malheur n’arrive et qu’il ne s’y soit pas préparé.  Il sèche ses larmes et me demande comment va la famille au complet ainsi que les personnes du Comité Free Ali.  Je lui raconte un maximum de choses qui vont le faire sourire.  Il me raconte que les lettres de soutien sont la meilleure chose qu’il puisse avoir, pour se remonter le moral, pour augmenter sa résistance.  Il me demande de remercier tout le monde, tous ceux qui le soutiennent.  De n’oublier personne…

Je lui promets…

Il me parle de sa relation avec Dieu.  Il m’apprend qu’il n’a jamais été aussi proche de Lui.  Qu’il maintient une relation extraordinaire avec son Créateur.  Qu’il prie beaucoup, jour et nuit et que cela lui fait beaucoup de bien. 

Après il reprend son air triste et me dit :

Farida, il n’y a rien de pire que d’être privé de tout contact humain !

Il pleure en le disant, ses larmes coulent et je ressens toute cette horrible souffrance qui est la sienne.  Je pleure avec lui et me garde d’émettre le moindre mot, je lui laisse la parole, la possibilité de s’exprimer.  Il est tout le temps seul il ne peut donc rien dire à personne.  Parle Ali dis-moi tout ce que tu veux me dire.  Mais les pleurs l’empêchent de poursuivre…  Je ne sais que penser, que dire, que faire ?   Être là assise en face de lui et être à la fois aussi impuissante ! 

Je vais donc lui dire que je lui ai ramené les balles de tennis.  Je lui dis que les piles ont été refusées sous prétexte qu’ils en vendent en prison.  Ali se retourne vers le gardien qui nous surveille.  Lui dit que ce n’est pas vrai qu’on vend des piles dans la boutique, et le gardien de répondre qu’il ne sait rien dire, rien faire.

Mais Ali revient sur la question de l’isolement… 

Il reprend en me disant.  Tu sais, je ramasse les miettes de mon pain et lorsque je vais à la cour, je les donne aux petits oiseaux qui viennent spontanément les piquer.   Et tu sais quoi ? Je leur parle à ces oiseaux. 

On veut éteindre mon humanisme, mais cela leur sera impossible, car comme tu vois, je l’entretiens d’une manière ou d’une autre. 

Farida, je ne sais combien de temps je vais pouvoir tenir ainsi… 

Ces mots vont m’achever…

Je le regarde, il me regarde et on se dit encore et encore de tas de choses que je ne peux divulguer ici. 

25 minutes…

Je lui dis qu’il doit tenir bon, que nous allons faire de tas d’actions pour arriver à un changement.  Ne fut ce qu’obtenir que ses conditions de détention soient adoucies.  Il me fait comprendre qu’il a confiance en nous et qu’il compte sur nous. 

Soudain, le gardien lui dit que c’est fini la visite !

Je suis outrée, choquée !!!  Cela ne fait que 25 minutes qu’on se parle et il veut déjà y mettre un terme !!!

Ali feint ne pas l’entendre la première fois.  Mais ce dernier s’impose et c’est moi qui intervient en lui disant de nous laisser encore un peu de temps.  Il fait semblant qu’il refait une ronde autour de la salle et revient nous dire de terminer.  De m’en aller en m’indiquant le hall par lequel j’étais venue.  Ali se lève et me dit vas-y Farida, je ne serai rassuré qu’une fois que je te saurai en Belgique.  Je n’appellerai pas demain mardi, je demanderai la permission de t’appeler exceptionnellement mercredi afin de m’assurer que tu es bien arrivée. 

J’ai le cœur gros, la tristesse me l’a ravagé. 

Voir Ali dans ces conditions, si maigri, si pâle, si triste, si seul…

Que faire mon Dieu ?!  Pour l’instant c’est le vide total.  Il m’est impossible de réfléchir…

Les balles de tennis…

Je repasse par le hall tout en regardant Ali s’éloigner. Ali qui ne me quitte pas du regard, tout comme j’ai du mal à le quitter moi aussi.  Je ne le vois plus et j’avance par le même chemin qui mène aux grands escaliers, pour redescendre dans le tunnel ou passage souterrain et remonter de nouveau de l’autre côté pour aboutir dans la salle de fouilles.  Je n’ai pas réalisé immédiatement que je suis seule à faire ce chemin.  Que je suis seule en arrivant là et qu’il n’y a personne pour m’ouvrir les portes.

Mon regard fixe le sac portant les affaires qui ont été refusées à Ali.  Je vois qu’ils ont ajouté les balles de tennis, ils ne les lui ont pas données ces crapules !

Je vais attendre que quelqu’un daigne venir m’ouvrir.  J’attends encore et encore en vain.  Je suis toujours seule après cinq, dix, minutes et plus. 

Je décide donc de m’approcher de l’une de toutes ces portes, à travers laquelle je devine des voix lointaines.  Je frappe de toutes mes forces, non pas une fois ni deux mais au moins vingt fois et deux gardes de venir ouvrir et me demander qu’est-ce que je fais ?

Je réponds que je frappais pour pouvoir sortir de ces lieux.  

J’en profite pour leur dire que ces balles de tennis, sont des simples balles de tennis et non pas des bombes.  Que Ali est tout seul tout le temps et que ça lui aurait fait le plus grand bien de pouvoir les avoir.  Ils me regardent d’un air qui me laissent entendre qu’ils n’y peuvent rien.  J’abandonne, je sors.

Les avocats m’attendent et je remonte dans la voiture.  On s’en va.  Je regarde derrière moi, je regarde ces murailles, cet endroit où Ali est à l’abandon.  Je pleure en cachette des avocats.  Je pense à Ali mon cher et tendre frère.  Je lui souhaite de tout mon cœur la liberté et qu’Allah lui rende Justice.

Pas facile du tout cette visite. Ce fut l’une des plus pénibles…vraiment très dur…

Farida Aarrass

Le 1er avril 2017, Ali Aarrass commencera sa 10ème année de détention en régime d’isolement. Rassemblement Place de la Monnaie 12-14h !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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