J’étais au procès d’Ali Aarrass… Le témoignage de Nathalie Preudhomme

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Chers amis,
Chers proches,
Chers parlementaires,

Ce lundi 9 avril, je me suis rendue avec une délégation d’une dizaine de citoyens belges au Maroc pour assister à l’audience d’appel dans le cadre du procès de Ali Aarrass. En novembre 2011, Ali Aarrass a été condamné à 15 ans de prison uniquement sur base d’aveux en arabe (langue qu’il ne comprend pas), signés après 12 jours et nuits de torture. Alors qu’Ali avait été innocenté par le célèbre juge Balthazar Garzone en Espagne, l’état espagnol avait accepté la demande d’extradition de Ali vers le Maroc. En décembre 2010, alors que nous étions encore en train de supplier le Ministre des Affaires étrangères belges pour qu’il empêche l’extradition de Ali vers le Maroc et la torture, Ali avait déjà quitté l’Espagne et subissait l’innommable dans les geôles marocaines.

Ce lundi, les avocats de Ali, Maitre Cohen et Maitre Datsy ont plaidé le report d’audience afin d’attendre les conclusions de l’enquête en cours prouvant bel et bien que les aveux d’Ali ont été extorqués sous la torture, ce qui voudrait dire que le dossier de Ali serait complètement vide !

Je tenais à vous faire part de mes impressions ressenties pendant cette audience :

Pendant une heure, nous avons vu défiler une quarantaine de prisonniers de droits communs, à la vitesse de l’éclair devant une Cour composée de 5 juges, du procureur et du greffier, qui me donnaient l’impression de s’adresser à ces jeunes, comme s’ils n’étaient que des numéros.

Ensuite, Ali est entré, seul, derrière une baie vitrée. Et là, l’émotion nous a tous submergés, tellement nous sentions Ali lui-même ému par notre présence à ses côtés. Il faut dire que nous étions, y compris la délégation venant de Mellila, pas moins de 25 personnes. En gros, nous occupions presque la moitié de la salle d’audience…

Dès le départ, j’ai senti que ce face à face citoyen face aux juges, n’était pas sans impact. Je sentais que notre regard pesait sur le ton employé par le Président de la Cour. Ainsi, il s’adressa dès le début sur un ton très ferme et autoritaire aux avocats d’Ali, coupant sans arrêt la défense entamée par Maitre Cohen. Au moment où il répondit à Maitre Cohen que le fait de demander que l’enquête sur les tortures subies par Ali soit terminée, n’était pas un motif suffisant pour reporter l’audience, je me suis sentie plonger dans un monde complètement surréaliste. Je me suis pincée pour me convaincre moi-même que je n’étais pas dans le film de Kafka, mais bien dans l’horrible réalité de la justice marocaine. Imaginez-vous possible qu’un juge en Belgique vous réponde qu’une enquête pour suspicion de torture, n’est pas un élément important dans la défense d’un dossier ???

Ali entouré par ses avocats, l’oreille tendue vers l’interprète, était dans une posture extraordinairement digne et incroyablement courageuse face à cette parodie.

C’est alors que Maitre Cohen s’est avancé vers le Président de la Cour et lui a présenté le document écrit officiel envoyé par les services du ministère de la justice marocaine au comité de l’ONU montrant que l’examen de la plainte d’Ali Aarrass est toujours en cours, et qu’effectivement des examens médicaux avaient eu lieu. Et là, le procureur s’est mis dans une colère hors du commun, que nous en avions tous le souffle coupé, prétendant qu’il n’avait jamais eu connaissance de ce document. A ce moment-là, j’ai eu l’impression que le temps s’était arrêté et que les mots qui allaient suivre dans la bouche du président de la Cour, allaient être déterminants dans la suite de la procédure d’appel. Les contradictions au sein de l’appareil judiciaire marocain apparaissaient au grand jour ! Face à cette situation complètement inédite, le président de la Cour proposa une suspension de séance afin d’avoir le temps de consulter de plus hautes instances de la justice.

Pendant cette suspension de séance, nous continuions à montrer tout notre soutien et nos signes d’encouragement à Ali, à travers la vitre. A un moment donné, alors que j’étais en train de vous envoyer un message, un agent de la sécurité m’a demandé de m’approcher de lui. Je me suis avancée, avec Nour (2 mois et demi) dans les bras, en me disant qu’il allait surement me demander d’éteindre mon GSM, ou pire de sortir du tribunal. Et là, l’inattendu s’est produit, il nous a conduits vers Ali. Le temps s’est à nouveau arrêté !

Ali s’est approché de nous, avec un grand sourire très apaisant. Tout en essayant de maitriser mon émotion, je me suis présentée brièvement et je lui ai tendu Nour. Il l’a prise immédiatement dans ses bras, elle n’a pas bronché, comme si elle sentait la beauté de ce moment. Je lui ai dit que nous étions des centaines en Belgique, convaincus de son innocence et que nous ne lâcherons rien jusqu’à sa libération. Il m’a dit : « C’est un combat politique ». Et je me suis dit qu’effectivement, dénoncer la torture et l’iniquité du procès, est un combat des plus nobles, pour Ali et tous les autres qui croupissent en prison. Avec une voix extrêmement calme et rassurante, il m’a dit : « Le plus dur est derrière moi. Mais il faudra encore beaucoup de patience. ». Je me suis retournée vers l’agent de sécurité et lui ai répété : «  nous sommes des centaines en Belgique, convaincus de l’innocence de Ali ». Il m’a regardé, je crois qu’il a acquiescé de la tête, tout en se rendant compte que son rôle lui imposait de rester neutre.

Et puis je suis retournée m’asseoir aux côtés de l’épouse de Ali. J’étais très émue par ce moment magique, mais en même temps mal à l’aise face à l’hypocrisie du système : Est-ce qu’en Belgique, on permettrait que je passe mon bébé et que je parle aux côtés d’un détenu, soi-disant terroriste, en plein milieu du tribunal… ?

Ensuite, la Cour est revenue et a annoncé qu’elle laissait un délai d’un mois, non pas pour que le procureur fasse aboutir l’enquête, mais pour que la défense apporte les preuves qu’une enquête est en cours. Mais que font-ils du document officiel dans lequel les autorités marocaines elles-mêmes confirment à l’ONU qu’une enquête est en train de se faire. Incohérence totale du système ! Sentiment d’injustice énorme mêlé au mince soulagement que le report de l’audience a été accepté !

Nous laissons repartir douloureusement Ali vers la prison, mais la motivation encore plus forte que jamais de le faire sortir de ce cauchemar de 4 ans. Chaque jour passé dans cette prison de Salé est un jour de trop pour un innocent !

Le combat que Ali porte avec tant de dignité fait partie des combats les plus nobles, pour faire entendre la voix des sans voix, de tous ceux qui se retrouvent injustement privés de liberté au Maroc !

J’ai quitté la salle d’audience le cœur solidaire avec la peine immense que ressentent à chaque fois Houria, l’épouse de Ali, Farida, sa sœur ainsi que tous les membres de sa famille.

En sortant, une personne m’a demandé si je faisais partie de la famille de Ali. J’ai répondu que je n’avais pas cet honneur mais que j’étais simplement une citoyenne belge dégoûtée par l’abandon d’un autre concitoyen belge par mon gouvernement.

Pour terminer, je suis maintenant complètement persuadée que notre présence internationale peut avoir un poids énorme sur la tournure que va prendre la procédure. C’est pourquoi, j’espère du plus profond de mon être, que nous serons encore plus nombreux, lors de la prochaine audience.

Notre présence le 7 mai prochain est essentielle pour le futur de Ali. Je demande à nos parlementaires belges un acte concret de solidarité pour notre concitoyen belge enfermé injustement au Maroc. Etre présent au procès, ce n’est pas seulement montrer votre solidarité avec Ali, c’est aussi montrer que vous tenez aux valeurs démocratiques défendues dans notre pays : chaque homme, quel qu’il soit, et où qu’il soit dans ce monde, a droit à un procès juste et équitable !

Si lors de la prochaine audience, le 7 mai, il n’y a, ne fusse qu’un seul parlementaire belge, présent sur place, alors nous pourrons dire que nous avons réussi à faire reculer un peu ce concept absolument inhumain de « citoyen de seconde zone ».

Ali Aarrass est un citoyen belge qui a le droit, comme n’importe quel citoyen belge, qu’on fasse tout pour que la vérité éclate : Un innocent est en prison pour 15 ans. Sortons-le de cet enfer ! Osons dénoncer la torture au Maroc ! Ali est un exemple pour nous tous !

Nathalie Preudhomme