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Fragments de vie carcérale 8 , par Ali Aarrass

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Permettez-moi de vous aider à trouver quelques raisons pour comprendre le comportement des matons : 1- La peur. 2- La méfiance. 3- La routine. 4- Les états d’âme… Je vous laisse en ajouter d’autres ou laisser un commentaire.

Il y a la peur d’être surpris, d’avoir de l’empathie avec les détenus et de perdre son emploi ! La méfiance vis-à-vis des prisonniers, qui peuvent être menacés par les autorités, qui peuvent leurs faire du chantage, et qui finiront par mettre le gardien en danger. La routine, d’avoir l’habitude de « travailler » en maltraitant, en torturant, puis il rentre chez lui comme s’il n’avait rien fait de mal. L’état d’âme prêt à donner corps et âme pour ses subordonnes, aveuglé des yeux et du cœur, aucun civisme, ni pitié, capable de rester dans un poste qu’ils lui ont désigné dans n’importe quel domaine et endroit, de résister à n’importe quelle condition et de faire face.

Aujourd’hui, libre, en regardant cet immense espace devant moi, avec des humains, enfin solidaires, conscients, audacieux, admirables et adorables… Là, je me rends compte où j’étais durant ces douze années, où le néant règne et auquel il a fallu faire face chaque jour !

Je vous demande d’écouter, écouter les cris des opprimés, des humiliés, entre ces quatre maudits murs. Dans le noir, ils nous demandent de l’aide contre les oppresseurs. Nous devons manifester la solidarité, l’amour pour cet humain. Nous ne devons pas craindre le silence du pays. Nous devons le traduire dans notre langage. D’autres sont ignorants et inconscients de la réalité de ces crimes. Je leur dis, mais depuis quand avez-vous les yeux dans le dos ?

Que fais-tu de l’être humain ? Avons-nous tous besoin d’une sage-femme pour accoucher ?

Voici l’une de réalité de la vie humaine. Un bébé ne peut pas retourner dans le sein de sa maman, quand la vie lui devient trop pénible ! Avant d’être kidnappé, dans le miroir, je me voyais vieillir. Dans la vie carcérale sans miroir, je me voyais avant que les autres me voient et me jugent. À savoir que nous finirons tous un jour par découvrir une île inexplorée, elle le restera toujours (la tombe).

Je me rappelle qu’à l’âge de dix ans, j’avais suivi un cortège de funérailles au cimetière de ma ville natale (Melilla) pour l’enterrement d’un voisin espagnol, j’étais impacté de voir mon voisin sous terre et enterré !

Que peut-on dire aujourd’hui de tous ces enfants partout dans le monde, traumatisés, terrorisés et affamés sans leurs parents, condamnés à rester seuls… Si cette image de mon voisin enterré, que je n’arrive pas à oublier, me revient encore après plus de quarante ans, je vous laisse imaginer les enfants dans quel état psychique ils doivent être. Moi non plus, je n’arrive pas à me débarrasser des tortures qu’ils m’ont infligées.

En cellule, je commence à sentir la fin des travaux, de moins en moins de bruit, les caméras étaient installées et testées. Tout ceci donne l’espoir de voir le bout du tunnel. Mais rien ne se présentait pour nous annoncer la fin de privations de nos droits fondamentaux, rien !

Depuis tout ce temps passé en isolement en Espagne et au Maroc, la négligence et la non-considération de l’être humain étaient identiques. C’est comme le menuisier qui fredonne de la même façon en fabriquant un rebec ou un cercueil !

Ma lune de miel des douze années est terminée. Maintenant il faut passer à l’étape suivante du combat, avec de la patience et beaucoup de sagesse. La récolte sera très bonne…

Revenons aux isolements.

En Espagne, d’une prison à l’autre précisément à Algeciras (Botafuegos ), je devais attendre la décision de la justice et la procédure était très longue.

En parallèle j’avais écrit à l’ambassade belge à Madrid, c’était mon quatrième courrier, mais en vain. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à me poser des questions. Pourquoi tant d’injustices ici, mon enlèvement, l’insalubrité sinistre des prisons en isolement. Mon transfert dans cette prison était fait pour faciliter les visites de ma famille. Le climat était aussi très bon, contrairement à Madrid.

Dès mon arrivée, après toutes les formalités et l’installation dans ma cellule, la porte blindée s’est ouverte d’un coup et trois gardiens étaient là, prêts á me faire sortir à la cour. Une fois qu’ils ont terminé la fouille corporelle, l’un d’eux m’a dit : « Ali , tu vas sortir à la cour en compagnie d’autres prisonniers, tu es d’accord ? »

Je ne m’attendais pas à ce qu’ils me le proposent et demandent mon accord. J’ai répondu que s’ils veillent sur ma sécurité, il n’y avait pas de problème pour moi. Un autre me répond, « ici on sait bien faire notre travail, tu n’as pas à t’inquiéter ». Ceci signifie qu’ils étaient prêts à intervenir, on était sous surveillance constante. La grande porte qui donne vers la cour s’ouvre, je vois cinq prisonniers s’approcher pour me saluer et, sans tarder, ils m’offrent à boire un café de la cantine juste à côté de la cour…

C’est bien la première fois que je suis sorti avec autant de détenus, six mois après mon enlèvement. Une règle en prison était de se montrer solidaire avec les nouveaux arrivés, de ne pas leur poser des questions, d’attendre qu’ils soient à l’aise pour raconter sans obligation le pourquoi de leur arrestation. En isolement, les détenus sont très vite dévoilés. Par-contre, dans les quartiers des droits communs où la surpopulation fait ravage, il est difficile de savoir qui est qui. Sauf si les gardiens veulent divulguer qui est pédophile, violeur et d’autres cas d’abus.

Alors je vous laisse imaginer l’enfer et comment il serait reçu par d’autres prisonniers qui n’ont rien à perdre. Je me rappelle un prisonnier isolé totalement à la frontière avec le Portugal en Espagne (Badajoz). Celui-ci, durant les quatre mois que j’ai passés là-bas, sortait seul, parce qu’il avait tué des vieilles dames dans leur ascenseur. Il avait fait la une des journaux et à la télévision. Ces prisonniers, ils avaient bien l’intérêt à rester isolés, car ils risquent l’impasse.

Des histoires comme celles-ci se répètent souvent en Espagne. Tout le contraire des prisons du Maroc ! Ce qui était dégoûtant, c’était de voir des violeurs d’enfants et ceux qui les ont maltraités et tué leur femme, être reçus avec des embrassades, c’était l’hypocrisie totale. Cette scène m’avait choqué. La moindre des choses était de les affronter afin qu’ils les changent de quartier ! Quand tu lui en fais la remarque, hypocritement, il te répond qu’ici on est tous égaux. Ne pensait-il pas à la victime qui aurait pu être l’une de sa famille ?

Fragments de vie carcérale (7), par Ali Aarrass

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(Photo souvenir : quand Karima a visité Robben Island en Afrique du Sud, elle a posté ce message derrière les barreaux de la cellule où Nelson Mandela a été enfermé pendant 18 ans)

 

 

 

 

Nelson Mandela, toute sa vie, il l’a sacrifiée pour l’être humain et sa dignité. Son combat ne s’est pas arrêté quand il fut mis en prison, non ! Il a continué à se battre durant les 27 ans d’emprisonnement. Il s’est battu, il a lutté et fédéré contre l’apartheid : un racisme d’état, la discrimination, l’esclavage. Il s’est opposé à tous ceux qui ont essayé de rendre les noirs au néant et faire d’eux des créatures inférieures.  

Je vous invite à lire son histoire sous le nom « Un long chemin vers la liberté ». Vous comprendrez en le lisant, les valeurs d’un être humain qui a sa place sur cette terre. Vous allez vous retrouver parmi d’autres personnes qui refusent de voir la réalité en face, aveuglées par le racisme, l’orgueil et leur couleur de peau. Aussi le sacré de l’être humain, le vrai et le faux qui se cachent en lui…

Mandela était pour moi un leader, un exemple à suivre. Il a fait comprendre à son ennemi et à son semblable qu’il n’était pas haineux, après tous les crimes qui ont été commis contre des humains durant de longues décennies.

J’aimerais vous faire savoir et partager mon sentiment, concernant mon point de vue sur la haine. J’ai été kidnappé depuis le poste de mon travail, par le gouvernement espagnol, arrêté arbitrairement et mis en détention dans l’isolement total. Deux ans et neuf mois après que la justice m’a donné un non-lieu, j’aurais dû être libéré tout simplement parce que j’étais innocent. Mais le gouvernement a l’époque en 2008 du parti socialiste ouvrier ne l’a pas voulu ainsi, car ils voulaient m’extrader au Maroc. La suite, vous la connaissez et pour ceux et celles qu’ils l’ignorent encore, allez sur le site freeali.be.

Après toutes ces années d’injustice, des tortures abjectes, grâce à la complicité de l’Espagne, qui était censée respecter la décision de la justice, dans un État de droit, et face à la non-assistance de l’État belge qui a tourné le dos à son citoyen durant 12 années, pendant lesquelles je n’ai pas arrêté de demander aux autorités belges d’intervenir et de défendre un innocent, un citoyen qui voulait une assistance consulaire, douze années pendant lesquelles je voulais simplement leur parler et qu’ils m’écoutent personnellement… Aujourd’hui, devrais- je avoir de la haine d’après vous ?

Non, jamais ! Parce que la haine te dévore les entrailles, te détruit à l’intérieur de ton corps et te pousse à la vengeance. Par-contre, là, maintenant en ce moment, c’est la rage qui ne me quitte pas : une rage issue de toutes les injustices, des crimes, des violations avec la complicité de l’Espagne, du Maroc, des tortures abjectes et le silence de l’État Belge à l’égard de son citoyen…

Oui, il y  cette rage en moi, qui me pousse à marcher la tête haute, pour défendre d’autres prisonniers, aujourd’hui abandonnés, après avoir été eux aussi torturés et condamnés injustement et arbitrairement et surtout au Maroc…

Bien entendu, une rage en moi pour que je puisse continuer à me battre et dénoncer ces tortionnaires, les bourreaux et les poursuivre en justice. Aujourd’hui tout le monde sait que j’avais dénoncé les tortures abjectes qui m’ont été faites. En étant encore en prison, car je ne voulais pas que d’autres subissent les mêmes traitements cruels. Oui, il fallait que cela marque une fin…

En Espagne, l’un des avantages était que je maîtrisais la langue espagnole. Ma langue maternelle, comme le rif et le français qui durant toutes ces années étaient un bagage très utile, pour pouvoir faire face au monde carcéral.

Dans pas mal de circonstances, j’ai pu éviter des conflits avec d’autres détenus qui manigançaient d’une fenêtre à une autre en langue espagnole. Ce qui est important à retenir chez ces prisonniers, c’est qu’il faut leur parler dès le premier jour de ton arrivée, te présenter poliment avec du respect et les inviter à boire un café ou une infusion pour leur montrer ta solidarité…

Car enfin on était tous dans les mêmes circonstances de détention. À chaque fois que j’ai été transféré, d’une prison à une autre, sans tarder on faisait les présentations, on discutait longuement et on partageait nos expériences de vie carcérale depuis nos fenêtres.

Du coup, voilà que le distributeur des boissons chaudes est arrivé dans notre module d’isolement, j’ai passé commande pour moi et aussi pour les plus vulnérables qui n’ont pas d’argent sur leur compte. Se faire servir dans la cellule une boisson chaude était un moment d’humiliation mais, en même temps un plaisir, boire une boisson chaude durant les 23h enfermé était un bon moment de notre existence et l’espoir de quitter un jour cet affreux endroit!

Dans toutes les prisons du monde, la torture existe ! Mais au Maroc, la torture c’est une routine; la corruption règne dans toutes les institutions juridiques, administratives, sociales et pénitentiaires, ajouté à tout cela, l’anarchie totale. Par la répression au quotidien du peuple marocain, ils veulent nous faire croire que le Maroc est en voie de développement !

Restons au Maroc, précisément à la prison de Salé ll, là où j’ai passé 6 ans d’isolement avant d’être transféré à l’autre prison de Tiflet ll. J’aurai l’occasion de partager avec vous mon témoignage…

Dans l’isolement de Salé ll.

Les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois passent lentement, très lentement. Coupé du monde extérieur et intérieur. Les fouilles se faisaient très vite et souvent, pour nous provoquer et tester nos réactions et notre dignité. Aujourd’hui, en ce moment, quand je rembobine mon vécu durant toutes ces années-là, je me rends compte que j’ai vraiment survécu à toutes ces épreuves et atrocités barbares et inhumaines !

Je me suis demandé pourquoi de telles pratiques, de telles méthodes de torture physique et psychologique, nous étaient infligées.

Une phrase que les matons répétaient souvent était : « Ali quand tu sortiras en liberté, tu oublieras toutes ces années » Que peut-on répondre à ces tortionnaires, qui ont été choisis et sélectionnés pour nous infliger ces traitements inhumains ? Surtout quand ils montrent de la fierté en voulant nous rabaisser et nous humilier par de tels propos !

Un bon matin, j’entends des bruits de travaux et je sens des odeurs de soudure. À quoi cela vous fait penser ? Oui, ils étaient en train de terminer les travaux à la prison. La prison de Salé fut inaugurée à la fin octobre 2010. Je suis arrivé le 24 décembre 2010, ceci explique le criminel de l’état marocain, celui du vite fait mal fait, ils étaient pressés de nous enfermer comme des criminels coupés et privés de tous nos droits fondamentaux.

Comment peut-on accepter et oser infliger de telles conditions d’emprisonnement à des êtres humains qui n’étaient pas encore condamnés, donc présumés innocents ?

À qui faut-il en vouloir pour une partie de tous ces crimes ? À l’Espagne ou au Maroc ? Ou à la Belgique pour avoir gardé le silence durant ces 12 années ?

Non ! Je n’ai pas de place dans le cœur pour la haine ! Mais bien pour la rage !

Un matin, la porte s’ouvre comme d’habitude, le petit-déjeuner était là sur le sol, je me suis penché pour vite le prendre, avant qu’il ne soit poussé par le pied du maton. J’ai remarqué de longs fils de câbles électriques de couleurs différentes dans le couloir. Je devais attendre l’arrivée du gardien chargé du quartier, pour savoir à quoi serviront les câbles. Des jours ont passé et à chaque fois que la porte blindée s’ouvrait pour le repas, je ne voyais pas de gardien, les câbles étaient toujours là au sol.

Un jour, j’entends que quelqu’un parle au talkie-walkie, il dit à son collègue : « je suis au quartier ( B ) couloir 2 » et l’autre lui répond : là-bas, tu installes les deux caméras fixes ». Alors, une fois de plus je vous demande de réfléchir. Pourquoi de tels traitements inhumains nous ont été infligés quand nous étions hors caméra ? Est-il impossible pour ces matons d’être humains et aimables quand ils ne sont pas surveillés par des caméras ? Dites-moi pourquoi !

 

Nelson Mandela (1994: 340–1) : « The challenge for every prisoner, particularly every political prisoner, is how to survive prison intact, how to emerge from a prison undiminished, how to conserve and even replenish one’s beliefs.
The first task in accomplishing that is learning exactly what one must do to survive.
To that end, one must know the enemy’s purpose before adopting a strategy to undermine it.
Prison is designed to break one’s spirit and destroy one’s resolve. To do this the authorities attempt to exploit every weakness, demolish every initiative, negate all signs of individuality – all with the idea of stamping out that spark that makes each of us human and each of us who we are. »
 

Mercredi 24/3/2021 : Ali Aarrass à la radio et sur La Une (RTBF)

dans DANS LA PRESSE/Evénements par

Photo/Picture :  Thomas Nolf

Á la radio La Première à 7h.10

 

 

 

 

 

Sur la Une à 19h30

 

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