Pierre Van den Dooren : « Sire, en 1993, j’ai servi sous les drapeaux de l’armée belge, tout comme un certain Ali Aarrass… »

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Pierre van den Dooren« Sire,

Comme des millions de belges, j’ai assisté sur le petit écran à votre récente prestation de serment, je vous ai vu danser à la place du jeu de balle devant des milliers de patriotes qui ne fréquentent ce quartier qu’un jour par an et j’ai pu constater – comment aurais-je pu ne pas le faire, puisque la presse unanime l’a proclamé haut et fort sur tous les médias possibles et imaginables – que votre prestation de serment à été parfaite.

« Alleluya, il a rempli son devoir de Roi ! »

Il faut le reconnaitre, vous avez montré beaucoup d’allure, de dignité et de patience pendant les très longs discours qui ont précédé votre prestation de serment. A aucun moment vous ne vous être gratté le nez ou n’avez baillé d’ennui comme je l’aurais sans doute fait dans la même situation, vous avez eu l’excellente idée de renoncer à ce collier de barbe qui vous faisait paraître beaucoup plus âgé que vous ne l’êtes et les photos officielles sont parfaites.

J’ai lu à plusieurs reprise dans la presse que vous vous préparez à régner depuis longtemps et que vous n’attendiez que cela. Je pense qu’aux yeux de cette même presse, vous avez fait tout ce qu’on attendait de vous et que désormais, votre devoir se limitera à un discours de circonstances pour Noël, pour le 21 juillet et pour les événements « exceptionnels » qui pourraient malmener le pays, de préférence écrits par quelqu’un d’autre de peur qu’une idée personnelle ne trouble un protocole particulièrement frileux.

Mais pour ma part, j’ai une autre image de vous ; je vous revois en 1993 prêter serment comme Sénateur de droit, annoncer votre volonté de protéger l’intégrité du territoire et même oser proclamer que ceux qui chercheraient à démembrer la Belgique vous trouveraient sur leur chemin… une telle affirmation n’étant rien de plus que l’application rigoureuse et volontaire du serment que vous avez prêté hier, j’ai été fort étonné du scandale qu’elle a provoqué ici (étonnement d’ailleurs partagé par nombre d’observateurs étrangers). Ce souvenir a de l’importance pour moi, car c’est à ce Prince courageux que je souhaite m’adresser, à un homme capable de faire sortir la Belgique du marasme, et j’ose le dire, du moyen-âge social dans lequel elle est en train de s’enfoncer, si on en juge par l’état lamentable de notre système social, de nos prisons et de la mentalité de ceux là même qui sont censé faire respecter l’état de droit.

La plupart des belges se souviennent que Léopold Premier s’est battu dans les jardins du parc de Bruxelles « comme un sous-lieutenant », que Léopold II nous a apporté le Congo et qu’Albert premier a réussi l’exploit de préserver de l’occupation une portion du territoire belge, mais personne n’a besoin de savoir s’ils ont tremblé ou baillé pendant les cérémonies officielles, un roi est avant tout un chef d’état et si vous êtes comme on le dit impatient de régner, vous savez mieux que quiconque que votre tâche ne fait que commencer.

En 1993, j’ai servi sous les drapeaux de l’armée belge, comme des milliers d’autres citoyens, certains étant plus patriotes que moi et d’autres moins. Parmi eux figure un certain Ali Aarrass dont le nom ne vous est peut-être pas inconnu. Ali Aarrass et moi-même-faisons partie de ces derniers belges à avoir exercé ce service obligatoire de dix ou huit mois, moins un jour parce qu’à l’occasion du décès de votre oncle le roi Baudouin, nous avons été libéré une journée pour pouvoir lui présenter nos respects au Palais Royal. Pour ceux qui ont eu le courage de s’y rendre, la journée a été particulièrement éprouvante, la chaleur était aussi accablante qu’aujourd’hui et les services de secours ont été débordé par le nombre d’insolations et de coups de chaleur dans les files d’attente. Si vous étiez au Palais ce jour là, vous avez peut-être aperçu Ali parmi les milliers de patriotes, car Ali, comme la majorité des belges d’origine marocaine, est fier d’être belge et ne manque pas une occasion de le manifester.

Il y a des années, Ali Aarrass a parcouru les vingts kilomètres de Bruxelles, mais cette année, il n’y était pas. Arrêté en Espagne sous des accusations de « terrorisme » qui, à la suite d’un procès régulier ont été reconnues infondées, il n’en a pas moins été extradé au Maroc, soumis à la torture et forcé à signer des aveux dans une langue qu’il ne comprend pas.

Mais le pire, dans cette situation, c’est de découvrir, pour ce belge qui a toujours manifesté l’amour de son pays, que les responsables politiques qui sont précisément en charge d’assurer aux belges à l’étranger le respect de leurs droits les plus élémentaires faire la sourde oreille face à cette situation et oser évoquer « une question de principe » pour refuser, non de le faire libérer, comme devrait l’être tout citoyen dont l’innocence à été prouvée par un tribunal, mais simplement d’affronter le regard de ses proches.

Dans cette situation, Ali Aarrass a entrepris une grève de la faim et de la soif depuis le 10 juillet. En effet, les vexations dont il est l’objet se sont brutalement aggravées depuis qu’une lettre qui lui a été adressée depuis la Belgique contenait un médaillon dont le collier portait les couleurs du drapeau belge. Pour une raison mystérieuse, ces trois couleurs et l’attachement qu’Ali Aarrass leur accorde ont déclenché la fureur de ses geôliers.

A moins de cinquante mètres de l’estrade ou vous faisiez la fête le vingt juillet trônait encore il y a quelques semaines la photo d’Ali Aarrass accompagnée du simple mot: « innocent ». C’est le verdict que le tribunal espagnol a prononcé à son sujet.Magna Carta

Dans un peu moins de deux ans, le 15 juin 2015, les anglais célèbreront le huit-centième anniversaire de la « Grande Charte », par laquelle il est reconnu qu’aucun homme libre ne peut être arrêté, emprisonné ou torturé arbitrairement, il est difficile de croire qu’un tel document ait pu être signé par Jean Sans Terre, qu’on présente souvent comme un abominable tyran, quand on voit ce qui se passe aujourd’hui, sans que la Belgique n’ait la moindre réaction… les citoyens belges sont scandalisés, plusieurs parlementaires britanniques, et quelques belges, s’étonnent de notre inaction et nos ministres se lavent les mains depuis trop longtemps. Certains affirment que la monarchie est un système politique digne du moyen-âge et qu’il convient de la « moderniser » à chaque occasion, je crois pour ma part que le seul critère valable qui peut nous fait sortir ou retourner dans le moyen-âge, c’est le respect des droits inaliénables de la personne humaine.

Dans l’affaire Ali Aarrass, l’Etat belge a largement montré son inaptitude à sortir du moyen-âge, faute de volonté politique. Nous sommes nombreux a espérer en l’institution royale comme notre dernier recours, dans une situation qui ne souffre désormais plus aucun délai.

C’est pourquoi, Sire, je vous demande avec insistance d’intervenir et d’accepter de rencontrer les membres de la famille d’Ali Aarrass, en espérant qu’un geste fort de votre part permette à un innocent de retrouver la liberté pour laquelle tant de belges ont lutté pendant la révolution de 1830 et les deux grandes guerres que nous avons traversé ».

Van den Dooren Pierre

Belge, Bruxellois et Démocrate

 

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