Je me dirige à la prison de Salé en fin de matinée, accompagnée de mon fils Mohamed Dahnin, 18 ans.
Nos passeports sont exigés, nous les remettons au garde qui les réceptionne tous et qui très vite va encore demander le carnet de famille, pour prouver que c’est bien de mon fils qu’il s’agit.
Je conteste en me servant de l’argument suivant :
« Vous avez déjà autorisé ma fille Sarah Dahnin à rendre visite à mon frère et cela sans aucun document en dehors du passeport. Là il s’agit de son frère Mohamed, j’ai 7 enfants et il est fort probable que je vienne avec chacun d’eux pour voir leur oncle. Vous n’allez pas m’ennuyer avec le même baratin pour chacun d’eux ?! Vérifiez votre registre des visiteurs et vous verrez bien que Sarah Dahnin, ma fille, a pu y entrer le voir et que donc il n’y a pas de raison qu’on refuse l’accès à mon fils ».
Nous allons attendre à l’extérieur, environ une demi-heure. Cela va nous laisser le temps d’observer avec peine, les proches parents d’autres détenus, qui attendent aussi mais depuis bien plus longtemps que nous. Sous la pluie… Le regard de ces gens est triste et le teint pâle. Ils sont pour la plupart mal vêtus, reflet de leur situation financière qui ne doit pas du tout être rose.
Une fois qu’on nous a autorisés à rentrer, encore une période d’attente d’une autre demi-heure dans la salle de fouilles de tout, des aliments, vêtements et autre….
J’ai ramené entre autre, une plaque réchaud électrique à Ali, afin qu’il puisse de nouveau cuisiner par lui-même, vu que l’autre plaque qu’on lui avait acheté lui a été confisquée et ensuite volée par l’adjoint du directeur de la prison. Nous lui avons ramené aussi du chocolat et des frangipanes, Ali aime beaucoup ça.
Finalement une garde m’appelle pour me fouiller à l’écart. Elle va procéder à des fouilles corporelles et m’accompagner jusque dans la salle de visites. Je réalise qu’ils ont séparé mon fils de moi…Mon sang ne fait qu’un tour. Je demande à la gardienne où se trouve mon fils et elle me répond à moitié, en marmonnant, qu’il arrive.
Je ne me gêne pas et lui demande encore une fois, il est où et pourquoi vous le laissez dehors ? Il est venu voir son oncle et je ne vois pas pourquoi vous l’éloignez de moi alors qu’il ne parle pas du tout l’arabe et que c’est bien la première fois dans sa vie qu’il rentre dans une prison ?
La gardienne m’ignore et continue à parler comme si de rien n’était au gars qui tient une sorte de petit magasin qui se trouve dans la salle des visites. Sur ce je me lève et m’approche de la grille qui est fermée derrière moi, en vain, puisqu’elle simule bien ne pas me voir. Je m’approche d’elle et elle me dit en arabe, sur un ton impératif : « Patiente qu’est que t’as toi ? Pourquoi t’excites-tu comme ça ? »
Je lui réponds : « Si toi tu as l’habitude de ces lieux, ce n’est point le cas pour nous, je ne me sens pas du tout rassurée avec vos méthodes ! Je veux que vous laissiez rentrer mon fils ou alors je préfère sortir le rejoindre ! D’ailleurs vous allez entendre parler de tout ça ! »
La gardienne appelle de suite un garde par téléphone. Ce garde ne tarde pas à venir, mais à son tour ne réagit pas. Il prend le trousseau de clés que la gardienne lui passe et ne dis rien et reste debout, planté devant moi.
Je me rends compte que j’ai à faire à des gens plus que bizarres, l’arrogance et la malhonnêteté sont si présents en eux…. Je décide de remettre ça et de ne pas me laisser faire. Je m’adresse cette fois ci à ce garde et lui dit, que mon fils est venu rendre visite à son oncle en ma compagnie, mais que cela fait quasi 25 minutes qu’ils l’ont laissé dehors. Ce dernier sourit ironiquement et me dit que c’est tout à fait normal, que les femmes fouillent les femmes et les gardes hommes, les hommes. Sur ce je lui demande, qui va fouiller mon fils ? Là il me répond « Moi » et je lui dis alors pourquoi le laissez vous attendre plus longtemps, il doit être fort inquiet de ne pas avoir pu rentrer avec moi.
Le garde prend mes dires très à la légère et s’en va tout doucement et en esquissant un sourire diabolique revient quelques minutes plus tard avec mon fils.
Je respire enfin normalement et je m’oblige à faire semblant de rien devant lui.
Pendant ce temps, j’ai pu sentir des choses horribles, je vous jure que d’être la dedans n’est déjà pas du tout rassurant, mais quand en plus ils s’amusent avec vos nerfs avec un sang froid à vous glacer le vôtre….
Nous allons après cela attendre encore 15 minutes approximativement avant de voir arriver Ali enfin. Il entre et avance dans la salle des visites avec un air tellement amère. Un regard triste, exprimant un grand dégout et les traits qui laissent paraître une grande fatigue. Cerné et flétri comme s’il se fanait.
Mais dès qu’il nous voit, le sourire gagne tout son visage en éclat et en émotions ! Il va me serrer dans ses bras à ne plus vouloir me lâcher, et de même à mon fils.
Mon fils le serre aussi mais avec un bras et Ali lui fait la remarque tout en l’étreignant de toutes ses force…. Mais où est donc ton deuxième bras ? Et Mohamed réagit immédiatement en le levant et l’enlaçant des plus belles. Ali poursuit en lui disant, mon Dieu que ça fait du bien…. Je les observe et en écoutant Ali me rend compte à quel point il manque de chaleur humaine et d’affection dans ces lieux lugubres tenus par des diables.
D’habitude, sachant que nous venons de loin, les gardes sous les ordres de la direction, nous donnaient droit à au moins deux heures de visite. Nous nous asseyons autour d’une table et deux gardes prennent des chaises et s’asseyaient à un mètre de notre table, pour entendre ce qu’on se dit.
Nous les avons ignorés et donc commencés à discuter à notre aise, sans penser à donner priorité aux choses les plus importantes, pensant avoir le temps de tout dire. J’ai durant ce temps de discussion découvert qu’Ali avait perdu encore une dent. Il s’agit d’une canine inférieure. Elle faisait partie des dents qui bougeaient entièrement depuis la torture subie. On lui avait fracassé des bouteilles à la bouche….
J’ai pleuré et ne savait que dire, Ali me regardait d’un air qui en disait long, sans rien me dire, comme si pour lui cela ne signifiait plus rien à coté de tout ce qu’il a enduré.
Alors que nous parlions d’un peu de tout, voilà que dès la demi-heure passée, un garde est venu mettre un terme à notre visite. Ali réagit au quart de tour en disant que nous venons de très loin, qu’il ne voit jamais personne, que ce n’est pas normal qu’on veuille interrompre ainsi sa visite ! Mais le garde qui a pourtant l’air gêné insiste et simultanément s’éloigne sans savoir que répondre. 5 minutes plus tard, ce même fonctionnaire revient nous demander de quitter. Plus moyen de négocier ni d’insister lorsqu’il dit que ce n’est pas lui mais les ordres.
J’ai senti cette interruption comme une rupture terrible car je voyais bien qu’Ali avait besoin d’être en notre compagnie. Il n’était pas très bien physiquement, même si le moral semble lui plutôt bon.
Quoi qu’il en soit, Ali ne va pas bien physiquement, j’insiste pour qu’il soit vu d’urgence par des spécialistes.
Il m’a décrit le malaise qu’il a eu. Il a été pris d’une douleur extrêmement forte dans le bas ventre, douleur qui l’empêchait de respirer, jusqu’à en perdre connaissance.
Il m’a aussi dit qu’il a été pris de frayeur lorsqu’en se réveillant il a vu l’infirmier en train de le piquer au doigt. Ali le haie et se méfie de lui comme de la peste. L’histoire des résultats sanguins perdure, on refuse toujours de lui donner les résultats.
Ali est pour le moment dans l’aile B du pavillon II de Salé. Il a été seul pendant quelques jours, mais pas en isolation. Il a droit à une heure de promenade dans la cour le matin et une autre heure le soir. Il en profite pour faire du sport. Il y a peu il avait droit à 4 heures de sortie dans la cour.
J’ai du reprendre le nouveau réchaud car les gardes savaient qu’Ali avait récupéré le sien. Ce réchaud, Ali ne peut plus l’utiliser dans sa cellule, ils ont changé les fusibles et ont mis des plus faibles, ce qui fait que tout saute chaque fois qu’il le branche, et cela même alors qu’il était seul dans l’aile B. Du coup, Ali doit cuisiner au fond du Hall de l’aile B, la prise se trouve tout au fond du couloir à l’opposé de sa cellule. En somme comme il le dit, ici il faut se battre et surtout beaucoup patienter pour trouver le moyen de subsister. J’ai appris aujourd’hui que ce réchaud est en panne, ils l’ont détraqué et moi j’ai repris l’autre 🙁 De vrais ordures!
Et pourtant, malgré tout Ali semble avoir le moral, il est très réaliste et dis très clairement qu’il ne croit pas du tout en une libération proche. Il développe des moyens de résistance, mais je me sens fort inquiète pour lui malgré cela.
Ali a reçu 17 lettres d’un coup, merci à vous tous!
Ali n’a pas reçu de coups durant la dernière révolte des prisonniers mais comme je vous l’avais dit, il a été mis sérieusement sous pression. Nous pensons que c’est grâce au soutien de toutes parts qu’ils n’osent plus lui administrer des coups.
Le nouvel adjoint du directeur semble beaucoup se méfier d’Ali, vu qu’on prétend que l’ancien aurait été démis de sa fonction à cause de la plainte de mon frère. Reste à vérifier, même si c’est ce que les prisonniers ont dit à Ali. Le nouvel adjoint répond donc aux différentes demandes d’Ali par un : « va voir le directeur. »
Vous vous rendez compte, que nous avons fait plus de 2200 km, pris un avion, un train, un taxi, pour seulement une demi heure de visite ?! C’est inadmissible !
Farida Aarrass.
salam a3laykoum
garder courage pour cette épreuve tres dure ! soubhanAllah
Que Allah le libere de ce calvaire ainsi que tous les innocents qui sont avc lui
fouttus gardien ! ca dégoute vraiment ! Apres on sétonne pourquoi nos enfants ne veulent plus aller au Maroc ! pffff
Je n’ai pas de mots pour exprimer mon admiration.
Comme c’est éprouvant. Mais bravo.