21.01 Zoé Genot (Ecolo-Groen) : Monsieur le président, monsieur le ministre, j’ai déjà interrogé votre prédécesseur sur ce citoyen belgo-marocain extradé en décembre 2010 de l’Espagne vers le Maroc contre l’avis du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU. Et vous avez dû recevoir il y a quelques jours une lettre signée par 16 parlementaires, membres du Parlement fédéral ou des différents parlements régionaux, vous demandant une intervention urgente de la Belgique auprès des autorités marocaines concernant le sort de ce concitoyen détenu au Maroc.
En effet, ce ressortissant belge aurait été victime de torture pendant une période d’une dizaine de jours en garde à vue, il n’aurait pas eu droit à un procès équitable ; au terme de ce procès, il a été condamné le 24 novembre dernier, après une délibération d’ à peine une heure, à 15 ans de prison ferme, sur base d’ « aveux » qui auraient été obtenus sous la torture et dans une langue qu’il ne maîtrise pas.
De plus, la plainte pour torture que ce prisonnier belge a déposée le 2 mai 2011 n’aurait fait l’objet d’aucune enquête : le plaignant n’a pas été interrogé par la police sur ce sujet, aucune expertise médico-légale n’a été réalisée, ni aucune identification des personnes qui auraient commis ces faits. Ce qui évidemment est totalement contraire à la Convention des Nations Unies contre la Torture, pourtant ratifiée par le Maroc.
Nos représentants au Maroc ont-ils rencontré ce prisonnier ? Si non, pourquoi ? Avez-vous eu des contacts avec votre homologue marocain à propos de ce ressortissant belge emprisonné au Maroc ? Si oui, quelle en a été la teneur ? Si non, comment prévoyez-vous d’intervenir auprès des autorités marocaines pour protéger ce ressortissant belge des nombreuses infractions aux droits de l’Homme dont il est victime ?
21.02 Didier Reynders, ministre : Monsieur le président, je vais être relativement bref sur le sujet parce que, comme je l’ai dit tout à l’heure, en arrivant au département, je me suis quand même renseigné sur un certain nombre de situations mais quand vous demandez s’il y a eu des contacts de nos représentants avec ce prisonnier : non, parce que nous n’intervenons jamais pour un binational sur le territoire d’un pays dont il possède la nationalité. La Belgique applique ce principe qui a été confirmé entre autres par la Convention de La Haye du 12 avril 1930 concernant certaines questions relatives au conflit de loi sur la nationalité, stipulant qu’un État ne peut exercer sa protection diplomatique au profit d’un de ses nationaux à l’égard d’un État dont celui-ci est également le ressortissant national. Et la Belgique a signé cette convention. Ce principe est appliqué sans discrimination pour tous les détenus de double nationalité. Le même principe est bien entendu appliqué sur le territoire belge.
Je n’ai donc pas eu de contact avec mon homologue marocain sur le sujet. Cela étant, un contact avec un homologue, lorsqu’il se présentera, n’interdit pas d’évoquer la situation mais pas en ayant l’intention d’une quelconque protection consulaire ou intervention consulaire en la matière.
Je ne prévois donc pas d’intervention spécifique en l’espèce, mais cela n’interdit pas d’en parler.
Je rappelle aussi que, durant la procédure d’extradition, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’il n’y avait pas d’objection envers l’extradition vers le Maroc.
21.03 Zoé Genot (Ecolo-Groen) : Monsieur le président, selon une étude juridique en ma possession, depuis 1930, la Belgique n’a pas toujours été très constante dans cet examen pour le traitement des binationaux.
Par exemple, en 1975, dans l’affaire Vladimir Dapcevic, un Belgo-yougoslave arrêté et condamné en Yougoslavie, la Belgique a agi et a tenté d’assurer sa sécurité. En 1983, pour le cas de Yermak Lukyanov, un Belgo-russe, la Belgique a décidé d’intervenir. Dans certains cas, la Belgique a essayé d’assurer la protection diplomatique pour des individus ne possédant pas la nationalité belge en montrant qu’il existait des liens affectifs importants avec la Belgique. Le ministre de la Justice, interrogé au début 2010, a dit au sujet du cas qui nous intéresse aujourd’hui : « Il est clair que nous pouvons suivre le dossier du côté diplomatique parce que c’est un Belge ».
Comme on le voit, nous varions beaucoup sur ce genre de dossiers. J’espère que la raison pour laquelle on ne se soucie pas de ce dossier n’est pas le fait de garder de bonnes relations avec les autorités marocaines ; ce serait bien triste. L’Espagne, par exemple, a refusé l’extradition pour la deuxième personne concernée par cette même affaire, un Hispano-marocain : elle l’a gardé sur son territoire, alors que notre Belgo-marocain a été expédié au Maroc.
J’espère que vous allez examiner à nouveau ce dossier, pour lequel Amnesty et la Cour européenne des droits de l’homme avaient demandé qu’il n’y ait pas extradition, car ils craignaient justement que cette personne subisse la torture et ne soit pas traitée avec un procès clair. Et les observateurs qui ont été là-bas ont constaté que le procès avait été bâclé, fait sur base de preuves extorquées par la torture, sur base de documents en arabe que la personne ne comprenait pas.
21.04 Didier Reynders, ministre : Je serais ravi de recevoir une copie de l’étude juridique dont vous faites allusion. Je dis simplement les 3 éléments que j’ai évoqués : il existe une convention internationale que nous avons signée. J’essaie de voir dans quelle mesure, en respectant cette convention, ce que vous dites peut être retenu. Deuxièmement, je répète ce que j’ai dit, en ce qui concerne la procédure de l’extradition, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’il n’y a pas d’objection à l’extradition vers le Maroc. Mais le fait de ne pas utiliser la voie diplomatique et la demande d’utilisation de contacts consulaires n’empêche pas d’en parler aux autorités marocaines. C’est autre chose. Permettez-moi quand même, sauf si le Parlement change d’avis, de respecter encore les conventions que la Belgique a signées.
21.05 Zoé Genot (Ecolo-Groen) : La proposition du ministre d’en parler aux autorités me paraît une bonne proposition. Surtout qu’on a pu voir, par exemple dans certains rapports de WikiLeaks, que la Belgique suivait très attentivement certains procès de ce type au Maroc. J’espère que, ici aussi, elle pourra être aussi active qu’elle ne l’a été dans ces wikileaks qui ont percé au sujet de l’affaire Belliraj.
[Chambre des représentants – Commission des Relations extérieures – Réunion du 7 mars 2012 – Extrait du compte rendu intégral (CRIV 53 – COM 0420)]