Message lu à la Place Julian Assange, Bruxelles, 29 janvier 2020
Merci à l’artiste Davide Dormino, merci au Comité Free Assange Belgium d’avoir organisé des dizaines d’actions pour Julian Assange à Bruxelles, merci à toutes les organisations qui se sont engagées afin de nous permettre d’accueillir ces trois sculptures à Bruxelles.
Je vous parle au nom du Comité Free Ali Aarrass, qui dans une de ses dernières lettres écrit : « Nous devons être parmi ces hommes qui pendant des siècles ont été à l’image de l’arbre privé à la fois d’air et de racines. Ce n’est pas la première fois que des hommes auront joué ce rôle dans la cristallisation de la conscience et de l’espoir. Et cela malgré la répression, la prison ou le bannissement quand ils n’ont pas choisi l’exil ».
Ali Aarrass ne vous connaît pas, il ne sait pas que vos statues sont ici ; dans sa cellule d’isolement il est coupé du monde, il ne peut ni recevoir de courrier, ni écrire une lettre. Vous ne connaissez pas Ali Aarrass. Et pourtant, il y a bien des liens entre vous.
Au moment de l’arrestation d’Ali Aarrass en Espagne, votre avocat Baltazar Garzon était le juge d’Ali Aarrass. C’est ce juge Garzon qui a innocenté Ali Aarrass après un examen approfondi, mais Ali a quand même été extradé par l’Espagne vers le Maroc.
Un autre de vos avocats, Christophe Marchand, se bat depuis des années pour la libération d’Ali Aarrass avec son équipe dont Dounia Alamat et Nicolas Cohen.
Wikileaks a aussi aidé Ali Aarrass de manière indirecte, lui qu’on accusait de faire partie du groupe du Belgo-Marocain Abdelkader Belliraj. C’est en effet Wikileaks qui a publié le 6 août 2009, les courriers secrets de l’ambassade américaine à Rabat, quelques jours après le verdict contre les 35 accusés dans le procès Belliraj. L’ambassade américaine à Rabat avait en effet envoyé un commentaire secret à Washington et à différentes ambassades américaines en Europe, sous le titre « Un important cas de terrorisme soulève des questions de droits de l’Homme ». ». Grâce à vous, nous avons appris que même les autorités américaines elles-mêmes considéraient que ce procès était inéquitable et inacceptable. C’est grâce à vous que nous avons appris la présence de deux diplomates belges à ce procès, Daniel Bernard, adviseur de droit belge auprès du gouvernement marocain, et Johan Jacobs, conseiller à l’ambassade belge. Tous deux ont dénoncé ce procès en déclarant que « les condamnations dans ce procès étaient tout simplement décidées à l’avance ».
Quand Ali Aarrass parle dans sa lettre « des hommes et des femmes qui auront joué le rôle dans la cristallisation de la conscience et de l’espoir. Et cela malgré la répression, la prison ou le bannissement quand ils n’ont pas choisi l’exil », il parle de vous.
De vous Julian, qui avez dû vous réfugier en 2012 dans l’ambassade de l’Equateur à Londres pour échapper à l’extradition et qui êtes maintenant dans la prison de haute sécurité de Belmarsh.
De vous Chelsea, qui avait été en prison de 2010 à 2017 et qui vous retrouvez aujourd’hui en prison parce que vous ne voulez pas témoigner contre Julian.
De vous, Edward Snowden, qui avez choisi l’exil depuis sept ans pour échapper à la prison aux Etats-Unis. Sans oublier les journalistes d’investigation Glenn Greenwald, Jacob Appelbaum ou Laura Poitras, qui eux aussi ont payé le prix fort.
Vous avez choisi de sacrifier votre vie familiale, votre travail, votre revenu, votre maison. Vous n’avez pas attendu le jour de votre pension pour faire des commentaires critiques ou des révélations après les faits, parce que vous avez choisi de rester debout pour la vérité et pour la justice. Vous avez choisi d’être le signal contre le fascisme moderne, tout comme l’étaient les écrivains et journalistes allemands en prison ou en exil dans les années 1930 sous le régime nazi.
Nous vous sommes tous redevables.
Je voudrais vous dire trois fois merci !
Merci d’abord parce qu’au moment où notre opposition à la guerre en Afghanistan et en Irak s’est estompée, où tout le monde a commencé à s’habituer à la guerre, où la normalisation de la barbarie s’est installée, vous avez publié, le 25 Juillet 2010, les documents secrets sur la guerre en Afghanistan. Trois mois plus tard en octobre 2010 vous avez publié près de 400.000 rapports de l’armée sur la guerre en Irak. Grâce auxquels le monde a pour la première fois appris qu’il y a eu 109.000 morts en sept ans, dont 66.081 victimes civiles. C’est vous qui, le 25 avril 2011, avez pour la première fois publié les documents secrets sur les 779 détenus à Guantánamo. C’est vous qui avez appris au monde les activités d’espionnage mondial de la NSA (National Security Agency) et le rôle des ambassades américaines dans le monde en tant que postes avancées pour cet espionnage.
Ensuite, merci de nous avoir éveillés sur la question des extraditions. De nous avoir appris qu’on a laissé passer des choses inacceptables dans notre propre pays, comme l’extradition par la Belgique, contre l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme, de Nizar Trabelsi aux Etats-Unis où il croupit depuis sept dans une cellule d’isolement en attendant son procès ; comme l’extradition du Belge Ali Aarrass, contre l’avis du Comité de l’ONU des droits de l’homme, de l’Espagne vers le Maroc. Et le refus total de la Belgique de faire quoi que ce soit pour lui, même après la reconnaissance par Juan Mendez, le commissaire de l’ONU contre la torture, du fait qu’Ali a bien été torturé. On pourrait continuer sur l’indifférence face aux déchéances de la nationalité belge, qui reviennent à une extradition ou à un bannissement de Belges vers le pays de leur deuxième nationalité, pays qu’ils n’ont jamais connu. Ceux et celles qui rêvent que la Belgique pourrait sauver Assange devraient se poser ces questions.
Merci, enfin, de nous avoir confrontés à la situation dans les prisons militaires et de haute sécurité. Et de nous avoir alertés sur la situation des personnes transgenres dans les prisons, comme celle subie par Chelsea Manning. Dans la prison militaire de Fort Leavenworth au Kansas, elle a essayé deux fois de se suicider.
A Belmarsh aussi, la prison de Julian Assange, le Guantanamo britannique, où sont enfermés ceux qui sont condamnés ou accusés de terrorisme et autres personnes jugées extrêmement dangereuses, la situation est extrêmement grave.
Dans une lettre ouverte, soixante médecins ont déclaré que Julian Assange était entré « dans un cercle vicieux d’anxiété, de stress et d’impuissance, typique des personnes exposées à un isolement prolongé et à un arbitraire constant ». Le 24 janvier dernier Julian Assange est sorti de son isolement et placé dans une aile où sont enfermés 40 autres détenus. Il est sorti de l’isolement, grâce aux pressions des avocats, des militants, mais aussi grâce à des pressions exercées sur l’administration carcérale par les autres détenus qui estimaient que Julian Assange était injustement traité. C’est en effet un groupe de détenus, faisant partie de ceux qu’on appelle « les pires parmi les pires », qui a adressé une pétition au directeur de la prison à trois reprises, insistant sur le fait que le traitement d’Assange était injuste et inique.
Il y a trois semaines, le soir du 2 janvier, Liridon Saliuka, 29 ans a été retrouvé mort dans sa cellule à Belmarsh. Le troisième mort en un an dans cette prison. Liridon était handicapé, il avait des difficultés pour marcher ou pour rester debout pendant de longues périodes. Il se battait pour qu’on reconnaisse son handicap. Mais après qu’il avait reçu un matelas adapté, celui-ci lui a été retiré et il a été placé dans une cellule normale. Depuis, disait-il à sa sœur Dita, je dors sur le sol, je ne supporte pas le matelas qu’ils m’ont donné. A partir de cette place Julian Assange, nous adressons nos sincères condoléances à la famille.
Pour toutes ces raisons le Comité Free Ali demande la fin immédiate des poursuites contre Julian Assange et tous ses compagnons de combat et sa libération immédiate.
Liberté pour Assange, liberté pour Manning, liberté pour Snowden !