Discours de Farida Aarrass lors du concert de Furia (à la fête Manifiesta, Bredene 21 septembre 2013)
Bonjour à toutes et à tous,
Je m’appelle Farida Aarrass, je suis membre du parti Egalité et militante pour les droits de l’homme depuis de nombreuses années et c’est à ce titre que j’ai tenu à participer avec vous à cet évènement aujourd’hui.
Je remercie vivement les organisateurs pour leur initiative et leur volonté de poursuive le noble combat qu’est celui des droits de l’homme.
Si nous sommes rassemblés ici, c’est que nous partageons tous le même objectif de voir s’améliorer la condition humaine et la protection des personnes où qu’elles se trouvent dans le monde.
S’il était utile de rappeler la définition officielle des droits de l’homme, c’est un concept selon lequel tout être humain possède des droits universels, inaliénables, quel que soit le droit positif en vigueur ou les autres facteurs locaux tels que l’ethnie, la nationalité ou la religion.
Or, nous faisons chaque jour le constat de discriminations sur base de l’un ou plusieurs de ces critères à la fois. Ces discriminations sont parfois insidieuses, dissimulées, comme le recours à de faux prétextes pour écarter et discréditer un candidat ou une candidate à l’emploi alors que son origine ethnique ou sa religion sont bien souvent le véritable motif de son éviction.
D’autres discriminations s’expriment plus ouvertement lorsqu’elles tentent par exemple d’interdire l’espace publique aux femmes voilées en les intimidant ou en les agressant dans nos rues européennes. Ces comportements indignes doivent être dénoncés avec force et détermination. Aucune indulgence ne doit être accordée aux auteurs d’agressions sur des femmes portant un signe religieux, qu’elles soient par ailleurs musulmanes, juives ou chrétiennes. Il nous faut agir pour que cessent enfin ces actes barbares et injustes.
Mon expérience dans les milieux associatifs et caritatifs m’a permis aussi de voir à quel point les droits les plus élémentaires de la personne pouvaient être négligés voire bafoués. Je parle par exemple de familles Rom, avec femmes et enfants en bas-âge, jetées à la rue et abandonnées à leur sort par les autorités. Je parle du spectacle de ces enfants rom dormant sous les colonnes de la porte d’Anderlecht à Bruxelles en plein hiver sans que cela n’émeuve les pouvoirs publics ayant pourtant les moyens, tant financiers que juridiques, d’apporter une solution durable à ces familles pour qu’elles recouvrent une dignité. Ces familles ont surmonté le rude hiver 2012 avec l’aide d’associations et une solidarité citoyenne exemplaire mais certes limitée.
A l’instant où je vous parle, ces familles survivent toujours dans des conditions déplorables.
Faut-il rappeler l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme selon lequel « tous les êtres humains naissent égaux en liberté et en droits, qu’ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
J’ai une affinité particulière pour le mot « fraternité » dans la mesure où il évoque l’entraide entre les hommes sans distinction quant à l’appartenance ethnique, religieuse ou autres. La fraternité rassemble par conséquent les hommes et les hommes d’horizons divers comme s’ils étaient membres d’une seule et même famille.
A ce propos, on me questionna un jour sur mon engagement pour les rom à priori chrétiens alors que je suis moi-même, comme vous l’aurez constaté, de confession musulmane. Cette question m’interpella dans la mesure où je pris conscience des barrières qui s’érigent dans les esprits et empêchent toute solidarité ou empathie à l’égard de ceux qui ne partagent pas notre foi, nos coutumes, ou qui ne répondent pas à nos critères tout simplement.
J’aimerais tellement voir s’effondrer ces barrières. Que l’entraide mutuelle et la fraternité puissent s’exercer entre tous les hommes sans aucune distinction de race ou de religion.
Mon but ici n’est pas d’inventorier la détresse humaine dont je suis témoin dans le cadre de mes activités mais d’attirer plutôt l’attention sur sa banalisation. La pauvreté et la misère sociale paraissent comme les plus grands affronts aux droits de l’homme.
Aussi, je prétends que toute société qui ignore les plus démunis et les plus fragiles parmi ses citoyens ne respecte plus ses propres valeurs morales et s’expose à des conséquences néfastes inévitables.
Il est ainsi avéré que la plupart des sociétés ayant laissé perdurer la misère sociale ont été confrontées à la révolte et aux chaos. La paupérisation, la précarité et le niveau de vie indécent sont assurément à l’origine des révoltes actuelles au Moyen-Orient, en dehors des intérêts politiques et stratégiques de pays tiers qui tentent de tirer profits de ces contestations.
Ces révoltes dites du printemps arabe sont nées également d’un accouplement diabolique, celui de la dictature et de la terreur. Les deux ont privé les citoyens de leurs droits les plus fondamentaux. Les libertés individuelles, chers à la Déclaration des droits de l’homme, ont été annihilées dans ces pays depuis des décennies.
Pour citer l’exemple de l’Egypte, la dictature de Moubarak aura duré 30 ans. On aurait pu penser qu’un citoyen égyptien du même âge eut été résigné voire « formaté » aux privations et interdictions durant toute cette partie de son existence. Mais tel n’est pas le cas au vu des réactions de la jeunesse égyptienne, comme si la liberté était inhérente aux individus ou comme inscrite dans les codes génétiques. Cette jeunesse démontre aujourd’hui qu’elle est plutôt prête à mourir pour ses opinions, ses convictions et sa liberté.
Aussi, rappelons-nous le nombre de prisonniers politiques qui croupissent dans les prisons de ces régimes dictatoriaux. Des milliers d’hommes et de femmes subissent l’enferment en raison uniquement de leurs opinions politiques et leur engagement pour la liberté et la démocratie.
Par ailleurs, depuis quelques années, des régimes peu scrupuleux profitent de la phobie née du 11 septembre pour emprisonner des personnes de manière arbitraire en les affublant du costume de « terroriste ». Le chef d’accusation de « terrorisme » peut de ce point de vue mener un innocent en prison pour plusieurs années sans même l’ombre d’une preuve contre lui.
A cet égard, j’aimerais vous apporter un témoignage personnel qui illustre mes propos.
Ce témoignage concerne mon propre frère, Ali Aarrass, citoyen belge, emprisonné au Maroc depuis décembre 2010. Il a 51 ans, est marié et père d’une petite fille.
Il a été condamné par le Maroc à une peine de 12 années d’emprisonnement pour des faits de terrorisme alors qu’il ne cesse de clamer son innocence.
Avant son extradition de l’Espagne vers le Maroc, le juge espagnol anti terrorisme de renommée internationale, Baltasar Garzon, avait prononcé un non-lieu et blanchissait complètement mon frère après deux années d’enquête rigoureuse, le juge Baltasar Garzon étant réputé pour sa rigueur et sa détermination dans les affaires de terrorisme.
L’Espagne procédera cependant à l’extradition de mon frère sur demande du Maroc alors que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU demandait officiellement aux autorités espagnoles de ne pas extrader Ali Aarrass, et ce, alors même qu’il avait été innocenté.
Dès son arrivée sur le sol marocain, Ali sera emmené dans les locaux de la DST marocaine, la DST étant la Direction de la Sûreté du Territoire, autrement dit les services de renseignement marocains ou les services secrets, lesquels sont réputés auprès de la population marocaine pour leur dureté et leur mépris des droits des prévenus.
De l’aéroport, mon frère Ali sera donc conduit vers le terrible Centre de Temara situé à quelques kilomètres de Rabat. Il y subira la torture durant 12 jours consécutifs dans les soi-disant salles « d’interrogatoire » qui ne sont en réalité rien d’autre que des salles de torture aménagées dans les sous-sols du bâtiment.
Ali subira le viol par la bouteille, il subira également des chocs électriques dans les parties génitales, des produits inconnus lui seront administrés, il sera tabassé jusqu’à évanouissement et frappé encore dès reprise de conscience, et beaucoup d’autres sévices inqualifiables lui seront infligées dont la privation de sommeil durant plusieurs jours.
Au cours de ces traitements cruels, ses tortionnaires lui feront signés de prétendus aveux rédigés en langue arabe, alors qu’Ali ne sait ni lire ni écrire l’arabe. Il ne parle que le berbère, le français et l’espagnol, cette dernière langue étant notre langue maternelle à tous les deux puisque que nous sommes nés et avons grandi à Melilla, enclave espagnole située au nord du Maroc.
Sur base de ces seuls aveux obtenus sous la contrainte, et alors que son dossier est complètement vide, Ali sera lourdement condamné tant en première instance qu’en appel. Ses juges resteront sourds à ses allégations de torture et aux faux aveux extorqués.
Ses avocats belges et marocains ont qualifié ces procès d’iniques tant les droits de la défense ont été bafoués, ils dénoncent même une quasi parodie de justice.
En réalité, Ali était condamné dès l’instant où il posait le pied au Maroc.
En septembre 2012, mon frère recevra la visite du rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, Monsieur Juan Mendez, lequel sera accompagné d’un médecin spécialisé dans le diagnostic de la torture. S’en suivra un rapport rendu publique qui confortera les allégations de torture et dénoncera tant ses conditions de détention que les mauvais traitements qu’il continue à subir actuellement.
C’est dans ce contexte qu’Ali a mené quatre grèves de la faim pour protester non seulement contre son emprisonnement arbitraire mais également contre les mauvais traitements dont il est victime durant l’exécution de sa peine. La dernière grève de la faim a eu lieu cet été et a duré un mois, la plus longue avait duré deux mois.
Depuis le premier jour de sa détention, je n’ai eu de cesse d’interpeler l’état belge pour qu’il protège et sécurise son citoyen, Ali ayant 28 ans de présence en Belgique et ayant servi sous le drapeau belge lors de son service militaire entre 1993 et 1994.
Cette demande réitérée d’assistance consulaire a été introduite auprès du Ministère des Affaires Etrangère mais elle a été systématiquement refusée par la voix de l’actuel ministre, Monsieur Reynders et par celle de son prédécesseur, Monsieur Vanackere.
L’argument porté par les deux ministres veut qu’Ali Aarrass est citoyen belgo-marocain et qu’à ce titre sa bi nationalité empêche la Belgique de lui fournir toute assistance dès lors qu’il se trouve dans le pays de sa seconde nationalité.
Cette disposition s’appuierait sur la Convention de La Haye concernant les binationaux. Or, il apparaît que le Maroc n’est pas signataire de cette convention et que, par conséquent, elle ne s’applique pas entre le Maroc et la Belgique.
Par ailleurs, des cas similaires impliquant des binationaux ont vu l’intervention de Monsieur Reynders pour assurer l’assistance consulaire aux personnes détenues dans un pays tiers. D’où l’incompréhension devant cette différence de traitement insupportable de la part du ministre.
La position de la Belgique se devrait pourtant d’intervenir avec force dès qu’il est avéré que le pays tiers pratique la torture. Le Maroc en l’occurrence a ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture mais ne respecte nullement son engagement.
Depuis le rapport du rapporteur de l’ONU, Amnesty International et Human Right Watch se sont, quant à eux, saisis du cas de mon frère et tentent d’influer sur les autorités marocaines pour que les droits élémentaires d’Ali soient préservés ainsi que son intégrité physique et psychologique.
Un comité de soutien a par ailleurs été mis sur pied, et ce soutien s’exprime notamment par le biais du site « Freeali.eu », pour ceux qui souhaiteraient le consulter.
Je n’ai pas assez de mots pour remercier l’instigateur de ce comité et la figure de proue de toutes les actions menées jusqu’à présent pour faire entendre la voix d’Ali. Je parle de Monsieur Luk Vervaet, professeur et militant pour les droits des détenus politiques depuis de nombreuses années.
Je remercie également du fond du cœur tous les autres membres de ce comité que je n’ai pas le temps de citer ainsi que tous les anonymes qui soutiennent la cause de mon frère.
Soyez sûr que je ne me sers pas de la tribune qui m’est offerte ici pour mettre en avant le cas personnel d’Ali Aarrass. Mais en matière de violation flagrante des droits de l’homme, c’est le cas que je connais malheureusement le mieux. Il est même, à mes yeux, hautement représentatif de la détresse de milliers de détenus arbitraires ou politiques ayant subi le même sort.
Nous sommes tous convaincus que le recours à la torture est le moyen le plus dégradant et inhumain employé contre un homme ou une femme.
C’est pourquoi nous dénoncerons inlassablement cette pratique d’un autre temps au nom des valeurs pour lesquelles nous sommes rassemblés ici aujourd’hui.
Je vous remercie.