Détention arbitraire en Espagne, extradition illégale vers le Maroc…, ce 2 juin 2011 Ali Aarrass va être jugé sur base d’aveux obtenus sous la torture

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Me Christophe MARCHAND (GSM: 32.486.32.22.88 ; cm@juscogens.be) et Me Dounia ALAMAT (GSM:32.472.40.58.02 ; da@juscogens.be)

Affaire Ali AARRASS : Détention arbitraire en Espagne, extradition illégale vers le Maroc, Ali AARRAS va être jugé sur base d’aveux obtenus sous la torture

Ali AARRASS est belgo-marocain. Il n’est marocain qu’en raison du fait qu’il a dû obtenir, pour voyager, un titre d’identité. Ali AARASS est né dans l’enclave espagnole de Melilla. Il n’a jamais vécu au Maroc et n’a aucun lien effectif avec ce pays.

Ali AARRASS a vécu 28 ans en Belgique, y a fait son service militaire, y a développé un commerce de proximité et des attaches profondes.

Ali AARRASS a un casier judiciaire vierge tant en Belgique qu’en Espagne, où il était retourné vivre près de son père en 2005. Il a fait l’objet de deux enquêtes en Espagne pour vérifier qu’il n’entretenait pas de liens avec des groupes terroristes ayant un lien quelconque avec les attentats de Casablanca ou avec l’appui logistique à un groupe terroristei. Il a été totalement blanchi après une instruction de près de trois ans, menée par le juge Baltasar GARZON.

Ali AARRASS était détenu en Espagne depuis avril 2008 suite à une demande d’extradition formulée par le Maroc. Il est soupçonné par cet Etat d’appartenir à la « cellule terroriste Belliraj ».

Il est de renommée commune que le Maroc torture de manière systématique les individus dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, motif invoqué par cet Etat pour museler toute opposition politique pacifique. Il est également de renommée commune que le « procès Belliraj », mené au Maroc, a été une véritable mascarade, une parodie de justiceiii. Les inculpés ont été torturés pour ensuite être condamnés sur base de leurs propres « aveux », obtenus sous la torture.

Sur cette problématique, les critiques des organisations internationales de défense des droits de l’homme sont aussi virulentes que celles faites à l’encontre d’autres pays du Maghreb, aujourd’hui en pleine révolte.

Ali AARRASS s’opposait dès lors fermement à son extradition. Il a fait trois grèves de la faim pour l’éviter.

Interpellée par la famille AARRASS depuis l’incarcération d’Ali, le Ministre des affaires étrangères belge a refusé de prendre contact avec l’Espagne afin de faire part ne fut-ce que de la préoccupation des autorités belges à l’égard de leur ressortissant. Le Ministre invoquait « la confiance mutuelle » qui prévaut entre les différents Etats européens, alors même que cette confiance était mal placée.

Le 19 novembre 2010, le Conseil des ministres espagnol a approuvé l’extradition d’Ali AARRASS. Par contre, l’Espagne a refusé d’extrader Monsieur EL BAY, détenu dans la même affaire mais de nationalité hispano-marocaine. Cet homme a, à juste titre, été libéré.

Le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a alors été saisi d’une requête en extrême urgence afin d’empêcher la remise d’Ali AARRASS au Maroc.

Au grand soulagement de toute sa famille, le Comité des droits de l’Homme a pris une mesure provisoire et a demandé l’Espagne de ne pas l’extrader, dès le 26 novembre 2010.

Les proches d’Ali AARRASS pensaient alors que l’injustice qu’il subissait depuis des années prendrait bientôt fin.

Malheureusement, le 14 décembre 2010, le consul belge, qui avait finalement reçu instruction de visiter Monsieur AARRASS, a été informé que cette visite ne pouvait avoir lieu : Ali AARRASS avait été extradé.

Ce consul n’a même pas pris la peine de contacter les avocats d’Ali AARRASS ou sa famille. C’est par la presse que cette extradition a été portée à la connaissance de ses proches.

En extradant Ali AARRASS malgré la mesure provisoire adoptée par le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies, l’Espagne a manifestement violé ses obligations internationalesiv. C’est d’autant plus choquant que, s’adressant au Comité des Droits de l’Homme, cet Etat avait sollicité, le 7 décembre 2010, la levée de la mesure provisoire, ce qui ne lui avait pas été accordée.

Après cette extradition illégale, le Ministère des Affaires Etrangères belge a, à nouveau, été contacté. Le Ministère s’est cette fois retranché derrière la double nationalité d’Ali AARRASS pour refuser toute intervention en sa faveur. Ce refus paraît inacceptable. Le Maroc pourrait éventuellement refuser de faire droit aux demandes des autorités consulaires belges mais le Belgique ne peut se dédouaner ainsi de ses obligations diplomatiques, d’autant qu’une pression internationale est en soi de nature à protéger Ali AARRASS.

De très nombreuses démarches ont été effectuées, dès le 16 décembre 2010, afin de localiser Monsieur AARRASS et de le soutenir. Le Ministre de la Justice marocain a notamment été avisé de l’état de santé très précaire d’Ali AARRASS, qui était en grève de la faim depuis près d’un mois. Le Rapporteur spécial contre la torture des Nations-Unies a également été alerté, compte tenu des craintes de mauvais traitements.

Malheureusement, la procédure marocaine autorise le maintien en garde-à-vue pendant douze jours en cas d’application de la législation antiterroriste. Durant ce délai, les personnes sont maintenues au secret et ne peuvent pas communiquer avec l’extérieur ou bénéficier de l’assistance d’un avocat. Dans son rapport du 1er décembre 2004, le Comité des Droits de l’Homme avait déjà indiqué : « Le Comité considère comme excessive la période de garde à vue – 48 heures (renouvelables une fois) pour les crimes ordinaires et 96 heures (renouvelables deux fois) pour les crimes liés au terrorisme –, période pendant laquelle un suspect peut être détenu sans être présenté devant un juge. L’État partie devrait revoir sa législation sur la garde à vue et la mettre en conformité avec les dispositions de l’article 9 ainsi que de toutes les autres dispositions du Pacte. L’État partie devrait modifier sa législation et sa pratique pour permettre à la personne arrêtée d’avoir un accès à un avocat dès le début de sa garde à vue (articles 6, 7, 9, 10 et 14 du Pacte) ».

C’est au cours de ce délai illégal de garde-à-vue que Monsieur AARRASS a été torturé. Il a été privé de sommeil pendant de nombreux jours et soumis à des interrogatoires incessants. Au cours de ceux-ci, il a fait l’objet de menaces, d’injections de produits chimiques, de coups, de pendaison, de viol et de nombreux autres sévices inqualifiables. Il en porte aujourd’hui les séquelles : perte de sensation dans ses membres inférieurs et supérieurs, perte de l’audition, troubles du sommeil, de la concentration, séquelles psychologiques.

Déféré devant un juge d’instruction présenté comme le supérieur hiérarchique de ses tortionnaires, Ali AARRASS a « avoué ». Il a signé des déclarations rédigées en arabe, lui qui ne maitrise pas cette langue. Lors de sa seconde présentation, l’avocat de Monsieur AARRASS a pu l’accompagner mais le juge d’instruction a refusé d’acter les allégations de torture de Monsieur AARRASS.

Pourtant, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, impose :

« Tout Etat partie assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit Etat qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause. Des mesures seront prises pour assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite ».
« Tout Etat partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite ».

Le dossier répressif marocain ne contient que les déclarations d’Ali AARRASS. Aucun élément objectif n’a été déposé au dossier, malgré le fait qu’Ali AARRASS soit revenu sur les déclarations que les autorités marocaines lui avaient ignoblement extorquées. Contrairement à l’Espagne, qui a blanchi Ali AARRASS après avoir effectué des écoutes téléphoniques pendant presque deux ans, des perquisitions, des saisies, une enquête financière et ADN, le Maroc n’a effectué aucun devoir d’enquête ou alors ceux-ci ne figurent pas au dossier répressif marocain.

De plus, en dépit d’une confrontation avec son principal accusateur, qui s’est rétracté, le juge d’instruction marocain a décidé de renvoyer Ali AARRASS devant la Cour d’appel de Salé afin d’y être jugé. Il faut également noter que des fouilles ont été effectuées afin de trouver des armes. Ces fouilles se sont révélées négatives. Pourtant, très étrangement, aucun procès-verbal ne figure au dossier.

La première audience de ce procès s’est tenue ce jeudi 21 avril 2011.

Afin d’observer et de s’assurer que les droits fondamentaux d’Ali AARASS soient désormais respectés, une délégation internationale s’est rendue à cette première audience. Elle était composée de nombreux membres de la famille, d’avocats belges et marocains, de représentants de la Commission arabe pour les droits humains, d’AFD International (Alliance for Freedom and Dignity), d’Adala (Association Justice, Pour le droit au procès équitable) et de l’AMDH (Association Marocaine des Droits de l’Homme).

Une demande de remise en liberté immédiate a été formulée. Elle a été refusé par les juges de la Cour d’appel de Salé, ceux-là même qui ont statué dans le dossier « Belliraj ». L’affaire a été remise au 2 juin 2011 afin de laisser à Ali AARRASS le temps de préparer sa défense. En effet, bien que le dossier marocain soit vide, il convient d’apporter aux juges marocains les éléments relevants de l’enquête espagnole, qui démontrent l’innocence d’Ali ARRASS, ainsi que d’autres pièces prouvant que ses déclarations ont été arrachées sous la torture et que certaines allégations sont impossibles. Compte tenu des antécédents de cette procédure, il apparaît en effet qu’Ali AARRASS doive démontrer son innocence et non, come dans un Etat de droit, le procureur marocain prouver sa culpabilité.

L’horreur vécue par Ali AARRASS et les injustices qu’il a subies ont amené près de quarante avocats à travers le Maroc, l’Espagne, la Belgique et le Royaume-Uni à s’associer à sa défense. De même, de nombreuses associations de défense des droits de l’hommeviii et des personnalités politiquesix ont signé une pétition en faveur d’Ali AARRAS appelant au respect de ses droits fondamentaux à l’intégrité physique et au procès équitable.

Par ailleurs, dès lors que l’Espagne n’a pas respecté la demande de suspendre l’extradition d’Ali AARRASS, la plainte devant le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies a été étendue. L’Espagne devra en effet répondre de la violation de nombreuses dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : article 7 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, article 14 (droit au procès équitable), article 2 (droit au recours effectif), article 9 (détention arbitraire), article 10 (détention inhumaine et dégradante), article 23 (droit au respect de la vie familiale) et article 26 (discrimination). Afin de réparer le préjudice subi par Ali AARRASS, il est donc demander que l’Espagne soit contrainte de :

prendre les mesures nécessaires et efficaces pour qu’Ali AARRAS ne fasse pas/plus l’objet de torture au Maroc ;
indemniser Ali AARRASS pour les sévices subis au Maroc ;
indemniser Ali AARRASS pour toute période de détention subie au Maroc ;
prendre en charge tous les frais liés aux déplacements et au logement de la famille d’Ali AARRASS (parents, épouse, fille, frères et sœurs) en vue de lui rendre visite au Maroc ;
prendre en charge tous les frais de justice et d’avocats d’Ali AARRASS liés à sa défense pénale au Maroc ;
indemniser Ali AARRASS du préjudice moral découlant de la non-observation de la mesure provisoire sollicitée par le Comité des droits de l’hommex ;
indemniser Ali AARRASS pour la détention arbitraire subie en Espagne.

Les récentes grâces prononcées au Maroc dans « l’affaire Belliraj » et en faveur de prisonniers politiques permettent-elles d’espérer que les normes internationales, auxquelles le Maroc a adhéré, seront enfin respectées ? Nous l’espérons. Quoi qu’il en soit, une nouvelle délégation, plus importante, se prépare à aller suivre l’audience de ce 2 juin 2011.