1 avril 2015 : Appel à la libération d’un belge, torturé et innocent (texte Aurore Van Opstal et 61 signataires)

dans ACTIONS/AU PARLEMENT/DANS LA PRESSE/ORGANISATIONS POUR LES DROITS DE L'HOMME / FOR HUMAN RIGHTS par

Sur le site du journal Le Soir et du site ZinTV

Aujourd’hui, 1er avril 2015, la Belgique fête un triste anniversaire et il ne s’agit, malheureusement pas, d’un poisson d’avril.

Le 1er avril 2008, il fut arrêté et emprisonné : cela fait sept ans. Et depuis quatre ans, un de nos concitoyens est enfermé, au Maroc, dans d’horribles conditions : il a été torturé, a très peu l’occasion de sortir au grand air, subit des maltraitances et pourtant, il se bat. Cet homme s’appelle Ali Aarrass [1].

En 2010, à Temara, il fut victime de brûlures occasionnées par une cigarette, de pratiques du « falanja » (coups assenés sur la plante des deux pieds), d’attachement intense puis de suspension par les poignets, d’électrochocs aux testicules et un viol de la bouteille.

Ali a le tort d’être sujet à une double-nationalité : il est également marocain. Or, notre ministre des affaires étrangères, Didier Reynders, n’accorde pas la même valeur aux citoyens, certes belges mais « pas de souche » et renvoie la balle au Maroc depuis des mois : « Il revient aux autorités marocaines de résoudre la situation ».

Rappel des faits : Ali Aarrass est né en mars 1962 à Melilla, petite enclave espagnole au nord du Maroc. A quinze ans, il est arrivé en Belgique muni d’un passeport marocain. Il est à noter que le Maroc pratique l’allégeance perpétuelle nationale : lorsqu’on est marocain, le Maroc ne laisse pas la possibilité de renoncer à cette nationalité : être marocain, c’est pour la vie. Ali Aarrass est, par conséquent, belgo-marocain.

Plus tard, Ali Aarrass a effectué son service militaire en Belgique, il s’est marié, a travaillé à l’usine, au marché et il a ensuite ouvert une librairie à Bruxelles. Après 28 ans de résidence au sein de notre plat pays, Ali a décidé de retourner dans sa ville natale afin d’y ouvrir un petit commerce. Et c’est dans cette ville, à Mellila, qu’il s’est vu arrêté en 2008 alors qu’il partait le matin au travail. De quoi est-il accusé ? De terrorisme, de trafic d’armes, on lui reproche aussi des liens avec le jihadiste Abdelkader Belliraj.

En 2009, le cas d’Ali Aarrass est instruit par le célèbre juge Baltazar Garzon, qui a été en charge de l’affaire Pinochet et est connu pour sa rigueur et son inflexibilité ; la longue et approfondie enquête pénale du juge s’est clôturée par un non-lieu. Dès lors, les autorités marocaines ont demandé l’extradition d’Ali en vertu d’un mandat d’arrêt international. Et les autorités espagnoles l’ont extradé au Maroc, en dépit de l’injonction faite par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies de suspendre cette extradition vers le Maroc à cause du risque de torture qu’Ali y encourait.

Malgré tout, Ali Aarrass s’est vu extrader au Maroc où il a subi, comme le craignait l’ONU, d’insupportables tortures – attestées en 2012 par le rapporteur spécial de l’ONU, Juan E. Méndez, sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants2. Sous la torture, Ali Aarrass a signé des aveux en bas d’un texte rédigé en arabe, langue qu’il ne maîtrise pas. Le Comité contre la torture des Nations Unies a constaté, le 27 mai 20143, que le Maroc avait violé ses obligations internationales et que la condamnation d’Ali Aarrass était basée sur des preuves obtenues sous la torture.

Ainsi, après avoir été jugé en Espagne par un éminent juge qui a conclu à un non-lieu, Ali Aarrass s’est vu condamné à douze ans de prison au Maroc alors que son dossier pénal est vide et que seuls des aveux extraits sous la torture fondent son emprisonnement.

Aujourd’hui Ali Aarrass, âgé de 53 ans, épuisé après plusieurs grèves de la faim, croupit toujours dans une geôle marocaine, dans la prison de Salé II, où il est maltraité. En tant que citoyens belges, nous interpellons, à travers cette carte blanche, les autorités belges, et plus particulièrement le Ministère des Affaires Étrangères, afin qu’ils mettent une pression diplomatique maximale sur le Maroc et qu’ils rendent visite à Ali Aarrass en prison.

Rappelons qu’en septembre 2014, l’État belge a été condamné par la Cour d’appel de Bruxelles, qui a estimé qu’Ali Aarrass devait bénéficier de l’assistance consulaire de la Belgique confirmant ainsi le jugement de première instance4. C’est la première fois dans l’histoire judiciaire belge qu’un double national obtient d’un tribunal l’ordre intimé à la Belgique de protéger son ressortissant hors des frontières nationales.

Il n’existe aucun raison légitime au deux-poids deux-mesures actuel : nos compatriotes belgo- marocains ont droit au même traitement que les belges considérés comme « de souche ». D’ailleurs, les arguments avancés par Monsieur Reynders sont incompréhensibles et changeants. Selon ce dernier, la Belgique ne peut intervenir au titre de l’assistance consulaire dans la mesure où l’intéressé possède la double nationalité belge et marocaine et que ce sont les autorités marocaines qui sont amenées à s’emparer du dossier s’il y a lieu de le faire. Or, la Belgique est déjà intervenue autrefois dans ce type de situation et il existe d’autres cas où un des deux pays est intervenu sur le cas d’un prisonnier possédant une double-nationalité : par exemple, en 2013, suite à l’arrestation de Yuba Zalen, un militant berbère maroco-néerlandais, le parlement hollandais a poussé les autorités locales à le libérer. Il n’est donc pas impossible concrètement que l’État belge mette une pression diplomatique maximale sur le Maroc afin de faire libérer notre concitoyen.

Figé sur une position juridique intenable, Monsieur Reynders s’est également référé à une ancienne Convention de La Haye de 1930 pour ne pas intervenir sur le cas « Ali Aarrass ». Dans cette convention, il est indiqué qu’un État peut s’abstenir de toute intervention en faveur d’un de ses nationaux en difficulté dans un pays dont il aurait aussi la nationalité. Mais cette convention n’est pas d’application dans les relations entre le Maroc et la Belgique, le Maroc n’étant pas partie à ce traité international, ainsi que l’ont noté les juridictions belges !

Nous rappelons aussi au Ministre des affaires étrangères que nous ne sommes plus au XIXième siècle et que le droit des individus a toute sa place et doit être pris en compte dans les relations internationales que notre État entretient : on ne transige pas avec les droits fondamentaux. Or, en n’intervenant pas en faveur de la libération d’un Belge sauvagement torturé et qui plus est innocent, la Belgique fait fi de la Convention européenne des droits de l’homme. Comme le rappelle une campagne d’Amnesty International [2] : Ali Aarrass a bel et bien été torturé.

Nous insistons donc pour que son calvaire, qui est indescriptible, puisse enfin cesser. Et nous tenons à terminer notre appel, par le témoignage de sa femme, Houria :

« Nous voilà déjà le 1er avril 2015, une date que je ne peux oublier, qui reste gravée dans ma mémoire. En effet, cela fait sept ans que mon mari, Ali Aarrass, est emprisonné au Maroc. Sept longues années qu’on se bat contre cette injustice qu’est la sienne. Chaque année qui arrive, je me dis que c’est la dernière qu’il passe derrière ces terribles barreaux. Jusqu’à maintenant, je n’arrive pas encore à comprendre le pourquoi de cette détention. Je vis dans le stress constant. Sa fille me pose toujours la même question : « quand va rentrer papa ? », une question à laquelle j’ai du mal à répondre. Je sais que son père lui manque terriblement. Pendant ces sept longues années de combat, j’ai pu rencontrer des personnes formidables qui soutiennent la cause d’Ali. Grâce à elles, je ne suis pas seule et elles me permettent de continuer à me battre pour la libération de mon mari. Le père d’Ali qui est très âgé vit dans l’espoir de voir son fils libre. Moi, j’espère me réveiller de ce long cauchemar qui est le mien et celui d’Ali Aarrass … ».

Texte écrit par Aurore Van Opstal, auteure et réalisatrice indépendante

1 http://www.freeali.be

2 http://www.yabiladi.com/articles/de…

3 CAT, Communication 477/2011, CAT/C/52/D/477/2011

4 http://www.lesoir.be/651673/article…

5 http://www.amnesty.be/jeunes/spip.p…

Signé par :

Akro, du groupe Starflam

Farida Aarrass, sœur d’Ali

Myriem Amrani conseillère communale (PS)

Nicolas Ancion, écrivain

Mark Bellido, auteur de bandes dessinées et photojournaliste

Sfia Bouarfa, députée honoraire, ancienne sénatrice

Mourad Boucif, cinéaste

Véronique Clette-Gakuba, chercheure, ULB

Michel Colson, député régional bruxellois (FDF)

Vincent Cornil, directeur du MRAX

Carlos Javier Crespo Garcia, président du MRAX

Matthieu Daele, député wallon (Ecolo)

Arnaud de la Croix, essayiste et enseignant

Martin Deleixhe, chercheur en sciences politiques, KU Leuven

Céline Delforge, députée bruxelloise (Ecolo)

Bea Diallo, député bruxellois (PS)

Hervé Doyen, député bruxellois (cdH))

Isabelle Durant, députée (Ecolo)

Mathilde El Bakri, députée bruxelloise (PTB)

Jean-Claude Englebert, 1er échevin de Forest (Ecolo)

Fabian Fiorini, pianiste – compositeur

Julie Frère. porte-parole de Test-Achats

Zoé Génot, députée fédérale en cheffe de groupe Ecolo au parlement de la région bruxelloise (Ecolo)

Henri Goldman, revue Politique

Claire Geraets, députée bruxelloise (PTB)

Benjamin Hannesse, président de l’association culturelle « L’étrier »

Jamal Ikazban, député bruxellois (PS)

David Jamar, chercheur, ULB

Malika Hamidi, docteure en sociologie et directrice générale de European Muslim Network

Youssef Handichi, député bruxellois (PTB)

Stéphane Hazee, chef de groupe Ecolo au Parlement wallon

Raoul Hedebouw, porte-parole national du PTB, député fédéral

Emile Hesbois, auteur dramatique

Mohammed Jabour, échevin (PS)

Julie Jaroszewski, chanteuse, auteure et comédienne

Zakia Khattabi, députée fédérale (Ecolo)

Ozdemir Mahinur, députée (cdH)

Luc Malghem, auteur

Alain Maron, député bruxellois (Ecolo)

Olivier Massart, acteur et comédien

Vanessa Matz, députée fédérale (cdH))

Jacky Morael, sénateur honoraire et Ministre d’État (Ecolo)

Jean-Pierre Orban, auteur Mohamed Ouriaghli, député bruxellois (PS)

Özlem Özen, députée fédérale (PS)

Arnaud Pinxteren , député bruxellois (Ecolo)

Benoît Poelvoorde, acteur

Axelle Red, chanteuse

Hélène Ryckmans, députée FWB (Ecolo)

Khadija Senhadji, socio-anthropologue

Jacques Sojcher, écrivain

Simone Susskind, députée francophone bruxelloise (PS)

Sam Touzani, artiste

Barbara Trachte, députée bruxelloise (Ecolo)

Julien Uyttendaele, député francophone bruxellois (PS)

Michael Verbauwhede, député bruxellois (PTB)

Youri Lou Vertongen, chercheur, Université Saint-Louis Bruxelles

Luk Vervaet, auteur et citoyen engagé

Pascale Vielle, professeure de droit social, UCL

Marianne VL Koplewicz, éditrice

Lorent Wanson, metteur en scène

Marie Warnant, chanteuse

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