« Le cas de M. Ali Aarrass, citoyen Belge d’origine marocaine, bien que déjà cité dans le rapport alternatif soumis au Comité, nous semble particulièrement éloquent sur l’absence de sérieux dans les enquêtes relatives aux allégations de tortures à la lumière des derniers éléments relatifs à l’expertise médicale qu’il a subi ». C’est ce qu’on peut lire dans le nouveau rapport de l’organisation Alkarama (http://fr.alkarama.org/ Alkarama Foundation, 2bis Chemin des Vignes, 1209 Genève, Suisse ) du 26 avril 2013, adressé au Comité contre la torture de l’ONU.
Voci de larges extraits de ce rapport qui porte le titre : « Des avancées encourageantes et des défis importants . Soumission de la liste des questions dans le cadre de l’examen du 5ème rapport périodique du Maroc par le Comité contre la torture. »
« ..Malgré les nombreuses recommandations des organisations de droits de l’homme comme des divers organes des Nations Unies, la loi anti-terroriste 03-03 reste toujours en vigueur dans sa forme initiale… De nombreuses personnes (entre 500 et 850 selon diverses sources) restent à ce jour détenues après avoir été condamnées en vertu de cette loi. » (pg 3)
« ..A la suite des attentats du 16 mai 2003, des milliers de suspects ont été arrêtés, inculpés pour appartenance à un groupe terroriste, préparation d’actes terroristes et/ou atteinte à la sûreté de l’Etat. Ils ont souvent été arrêtés par des agents de la DGST, alors même que ces derniers n’étaient pas habilités légalement à procéder à ces arrestations. Ils se déplaçaient souvent en tenue civile dans des voitures banalisées. Les personnes interpellées n’étaient pas informées des raisons de ces arrestations sans mandats de justice.
Les suspects étaient le plus souvent enlevés et maintenus au secret dans les locaux de la DGST et en particulier au centre de Temara pour être interrogés pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant d’être remis aux services de la police judiciaire.
Les familles n’étaient pas été informées du lieu où se trouvaient les personnes arrêtées et les autorités niaient le plus souvent leurs détentions. Afin de masquer ces détentions abusives, les dates d’arrestation étaient modifiées dans les procès verbaux établis par la police judiciaire.
Ce modus operandi avait pour objectif d’extorquer des déclarations des suspects sous la torture ou diverses autres formes de contraintes. Les « aveux » étaient consignés dans des procès verbaux de la police judiciaire qui serviront de base aux poursuites pénales.
Si cette pratique semble avoir régressé d’une manière notable depuis 2012, Alkarama n’ayant pas depuis relevé de situations de ce type, les personnes condamnées sur la base des aveux extorqués dans les conditions décrites restent en détention à ce jour. » (pg 5)
« Les procès verbaux d’enquête préliminaire établis par la police judiciaire qui se basent sur des « aveux » faits sous contrainte ne sont très rarement rejetés par le juge. Les condamnations pénales sont dans la grande majorité des cas fondées sur ces seuls éléments de procédure. Le juge pénal privilégie une interprétation de l’article 291 du Code de procédure pénale considérant que les procès verbaux établis par la police judiciaire « font foi jusqu’à preuve contraire ». La prise en compte de ces aveux par les juges constitue cependant une violation manifeste de l’article 293 du même Code qui prévoit expressément que toute déclaration obtenue par la torture est frappée de nullité. » (pg 5-6)
«.. L’article 74, alinéa 8, du Code de procédure pénale fait obligation au Procureur du Roi d’ordonner une expertise médicale dès lors qu’un acte de violence ou des tortures sont portés à sa connaissance. L’article 134 alinéa 5, oblige par ailleurs, le juge d’instruction à ordonner l’examen médical immédiat de toute personne sur laquelle des signes de torture sont relevés. Or il est aisé de constater que l’application de ces dispositions légales relatives à l’ouverture d’une enquête judiciaire sur des allégations de tortures et à l’instauration d’examens médicaux ne sont pas garantis dans la pratique et que les poursuites contre les responsables restent dans ces conditions illusoires.. » (pg 8)
« Dans les rares cas où des enquêtes sont diligentées sur les allégations de torture, les médecins chargés de l’expertise médicale rendent le plus souvent des rapports non conformes aux standards internationaux et notamment du Protocole d’Istanbul. Les médecins désignés pour mener l’expertise sont des fonctionnaires relevant de la Délégation Générale de l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion et non du ministère de la santé. Leur indépendance ne semble pas, dans ces conditions,être totalement assurée.
Le cas de M. Ali Aarrass, citoyen Belge d’origine marocaine, bien que déjà cité dans le rapport alternatif soumis au Comité, nous semble particulièrement éloquent sur l’absence de sérieux dans les enquêtes relatives aux allégations de tortures à la lumière des derniers éléments relatifs à l’expertise médicale qu’il a subi.
Rappelons qu’il avait été arrêté à Algésiras, en Espagne le 1er avril 2008 et placé en détention, avant d’être extradé vers le Maroc 14 décembre 2010, malgré la demande expresse du Comité des droits de l’homme de ne pas l’extrader, en raison des risques de torture qu’il encourrait au Maroc. Dès son arrivé au Maroc, il a été détenu au secret pendant plus de dix jours, gravement torturé et contraint de signer des aveux, en arabe, langue qu’il ne lit pas. C’est sur la base de ces aveux obtenus sous la torture qu’il a été condamné le 24 novembre 2011 à 15 années d’emprisonnement ferme. Ce n’est qu’à la suite de la saisine du Comité contre la Torture que M. Aarrass a fait l’objet d’une expertise médicale pour vérifier ses allégations.
Le rapport d’expertise médicale établi par trois médecins désignés par le Procureur général près la Cour de Rabat concluant à l’absence « de traces pouvant être en rapport avec des actes de torture allégués », a été analysé par un expert indépendant de l’association IRCT (International Rehabilitation Council for Torture Victims) qui en a relevé les nombreuses failles et insuffisances.
Il souligne que ce rapport médico-légal est « bien en deçà des normes internationalement admises pour l’examen médical des victimes de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, tels qu’il sont définis par le Protocole d’Istanbul ».
Il précise notamment que le rapport médico-légal, très bref, « ne fournit presque aucun détail sur les examens effectués, et une description très partielle des résultats de ces examens.[…] Aucune tentative n’est faite dans le rapport pour corréler, ou non, les résultats de l’examen physique avec les allégations de torture, ni d’ailleurs avec des antécédents de traumatisme. […] Il n’apparaît nulle part que M. Aarrass ait consenti à cet examen, ni dans quelles conditions ce dernier s’est déroulé (durée de l’examen, autres personnes présentes, détenu menotté ou non etc). […] Il relève l’absence de diagrammes du corps d’appui et de photographies annexées au rapport qui indiqueraient plus précisément la position anatomique et la nature des marques indiquées[…]. Le rapport médical ne fait aucune mention d’une évaluation psychologique ou psychiatrique, en dépit des problèmes de concentration, la peur et le stress excessif décrits par la victime. Il s’agit d’une omission importante de l’évaluation et du rapport, qui démontre que l’examen n’est pas conforme aux normes internationales pour l’évaluation des allégations de torture».
Ces insuffisances ont également été soulignées par le Rapporteur spécial sur la torture, M. Juan Méndez, à la suite de sa visite dans le pays en septembre 2012. En effet, ce dernier relève après examen d’un échantillon de certificats médicaux, « que la plupart des examens médicaux sont effectués non pas par des experts médico-légaux mais par de simples cliniciens figurant dans les listes d’«experts» des tribunaux. Ces personnes n’ont aucune formation ou compétence spécifique en matière de médecine légale. Les rapports médicaux produits à la suite d’allégations de torture et de mauvais traitements sont de très mauvaise qualité; ils ne sont pas conformes aux normes minimales internationales régissant les examens médico-légaux auxquels ont droit les victimes et ne sont pas acceptables en tant que preuves médico-légales. Ni le personnel de santé des prisons ni les cliniciens qui remplissent la fonction d’expert auprès des tribunaux n’ont la formation requise pour évaluer, interpréter et documenter les actes de torture et les mauvais traitements.» (pg 8-9)
« Conclusion. Les changements législatifs introduits depuis 2011 et le processus de ratification en cours, et en particulier du protocole facultatif à la Convention contre la torture, prévoyant la création d’un mécanisme national de visite des lieux de détention, constituent des signes encourageants dans le renforcement de l’Etat de droit au Maroc. Par ailleurs, le processus de réforme du système judiciaire constituera une avancée particulièrement attendue qui doit aboutir à une indépendance réelle du pouvoir judicaire. Cependant, le passif de la période ayant suivi les attentats de Casablanca de 2003 marqué par le recours massif à la détention au secret, à la torture et aux procès inéquitables, dénoncés par toutes les organisations locales et internationales des droits de l’homme, constitue encore un problème réel de société et doit être reconnu. Ce problème ne pourra être dépassé qu’avec une prise de décision courageuse de libérer les centaines de détenus condamnés à la suite de procès inéquitables fondés le plus souvent sur des aveux arrachés sous la torture et de garantir la non répétition de telles pratiques. Nous espérons qu’un dialogue constructif entre le Comité et les autorités marocaines permettra d’approfondir ces sujets de préoccupation dans le but de combattre efficacement la torture et les autres violations des droits fondamentaux qui la favorisent. » (pg 9-10)